Armel Duteil

Senegal 2012

  • Résumé : Pourquoi cette révolte ?
  • Pourquoi les sénégalais se révoltent-ils ?
  • Quel avenir pour le Sénégal ?
  • Réactions suite aux élections présidentielles au Sénégale (26-1-2012)
  • Situation du pays, septembre 2012
  • Quel avenir pour le Sénégal ?

  • Résumé

    Le monde entier a été surpris de voir en janvier 2012, sur tous les écrans de télévision, des scènes d’une violence inouïe de la part de forces de l’ordre se déchainant contre des citoyens sans défense, dans les rues et les places de toutes les grandes villes du Sénégal, des pneus brûlés partout, dans un pays réputé pour sa paix et sa démocratie.

    Pourquoi cette révolte ?

    Le pays, ayant été dirigé d’abord par le Président Léopold Sedar Senghor, puis par Abdou Diouf, appartenant tous deux au parti socialiste, un besoin de changement s’est fait sentir, que l’opposant de longue date, l’avocat Me Abdoulaye Wade, a su saisir en lançant le mot d’ordre wolof « SOPI » ou changement par lequel il a été élu Président de la République au 2ème tour en 2000. Le gouvernement, suivant alors la doctrine libérale, s’est lancé dans de grandes réalisations matérielles : œuvres de prestige comme le monument de la Renaissance Africaine, un nouveau Tribunal, un nouvel aéroport, un nouveau grand théâtre, des autoroutes. Ces grands chantiers très coûteux, ont été réalisés suite à une dilapidation du domaine public et leur gestion a été entourée d’une totale nébuleuse. Mais le domaine socioéconomique en faveur des populations a été totalement négligé : des coupures intempestives et prolongées d’électricité et d’eau ont gravement pénalisé l’industrie, des grèves ont bloqué plusieurs secteurs névralgiques comme les magistrats, les transporteurs et tout le système scolaire et universitaire jusqu’à ce jour, une corruption généralisée, un accaparement de terres immenses bradées à des sociétés étrangères, des détournements de fonds, et surtout une gestion autoritaire du pouvoir, le président s’entêtant à briguer un troisième mandat, ce que la Constitution lui interdit. C’est à partir de là que le mécontentement a commencé à se faire sentir.

    Le point culminant a été atteint le 23 juin 2011 quand le Président a voulu imposer par la force, le vote par l’Assemblée nationale, d’une loi imposant un « ticket présidentiel » lui permettant de transmettre le pouvoir à son fils. Suite à la pression de la rue massée devant les grilles de l’Assemblée, le projet a été retiré et toutes les forces vives se sont regroupées en un vaste mouvement du 23 Juin (M 23). Parallèlement, un groupe de rappeurs très aimés et très influents dans le milieu jeunes, a lancé le mouvement « Y en a marre » qui ne représente pas simplement un mouvement de contestation populaire mais bien une prise de conscience citoyenne surtout chez les jeunes bien décidés à prendre leur avenir en mains.

    En 2007, un vaste mouvement regroupant partis politiques, ONG, syndicats et Société Civile, s’appuyant sur un travail énorme de réflexion et de consultation des populations à la base, a mis en place les Assises nationales qui ont produit une charte de gouvernance démocratique et défini les grandes orientations pour les 50 années à venir.

    Au moment où j’écris ces lignes, nous attendons le deuxième tour des élections du 25 mars. Un très gros effort est demandé aux populations pour refuser violence et corruption, d’aller voter car il y a eu plus de 40 % d’abstentions au 1er tour et surtout d’accepter les résultats. En ce moment l’Eglise catholique, comme un certain nombre d’ONG, s’implique fortement pour cette dernière semaine de campagne électorale, en ayant formé 800 observateurs, après un long travail de formation et conscientisation de la population par la commission Justice et Paix.


    Pourquoi les sénégalais se révoltent-ils ?

    Depuis l’indépendance, c’était le Parti Socialiste (PS) qui était au pouvoir, le pays étant dirigé d’abord par le Président Léopold Sedar Senghor puis par Abdou Diouf. Mais après 40 années le PS s’était endormi et un besoin de changement se faisait sentir. C’est ce qu’a su comprendre et utiliser l’opposant de longue date, l’avocat Me Abdoulaye Wade. Il a donc lancé comme mot d’ordre le SOPI en wolof, ce qui veut dire le changement, si bien qu’il a été élu Président de la République au 2ème tour en 2000. Le gouvernement a donc changé d’orientation, suivant la doctrine libérale. Il faut reconnaître qu’il a fait de grandes réalisations matérielles, bien visibles, qui ont plu et donné aux gens de la fierté. Mais peu à peu, les gens ont commencé à se rendre compte qu’il y avait aussi beaucoup de discours, de promesses non tenues, de théories irréalistes et de réalisations de prestige qui ne servaient pas à la population. Malgré tout le président Abdoulaye Wade a été réélu en 2007

    Egalement en 2007, les partis d’opposition ont boycotté les élections législatives. Ce qui fait que le président Wade a pu gouverner le pays comme il le voulait, la très grande majorité des députés étant de son parti, le PDS. Ce qui fait qu’il a encore intensifié l’orientation libérale du pays, mais aussi le favoritisme, y compris en faveur de ses propres enfants et le développement de la corruption. Alors que la réalisation d’œuvres de prestige se continuaient, comme par exemple le monument de la Renaissance Africaine, un nouveau Tribunal, un grand théâtre, des autoroutes de l’aéroport vers le centre de la ville et pour la sortie en direction des zones touristiques, le domaine social et le domaine économique en faveur des populations, spécialement des plus pauvres, ont été négligés. Ces réalisations ont coûté très cher, elles ont été financées par une dilapidation du domaine public et la gestion n’en a pas été claire. C’est à partir de là que le mécontentement a commencé à se faire sentir. D’abord à cause de la corruption et des détournements d’argent, et aussi des tendances autoritaires du président, qui a renvoyé plusieurs premiers ministres. Mais ce qui a déclenché les réactions les plus vives, cela a été les coupures d’eau et surtout les coupures d’électricité, spécialement en ville. Et il est vrai que cela correspond à des priorités pour la vie de tous les jours. Un groupe de rappeurs très aimés et très influents dans le milieu jeunes, a lancé le mouvement qu’ils ont appelé « Y en a marre ». Ce mouvement s’est manifesté en particulier au cours du Forum Social Mondial de janvier 2011. Ce mouvement est indépendant des partis politiques. Il ne s’agit pas simplement d’un mouvement de contestations populaires mais bien d’une prise de conscience citoyenne, avec une volonté très forte d’éducation des jeunes en leur disant en particulier : « prenez votre vie en main, faites ce que vous pouvez déjà par vous-, lancez des activités économiques pour vivre, sans tout attendre du gouvernement ».

    Cette contestation s’est peu à peu étendue pour atteindre les villages qui ont commencé à réclamer eux aussi de l’eau et des forages, et de l’électricité. Mais aussi des écoles et des dispensaires, qui manquent cruellement dans les villages.

    Les problèmes sociaux ont continué à augmenter ce qui a amené un mouvement ininterrompu de grèves dans de nombreux secteurs de la société. Par exemple chez les boulangers à cause de l’augmentation du prix de la farine importée, alors que le prix du pain est bloqué. Grève des transporteurs pour les mêmes raisons : le prix de l’essence augmente, mais le prix du transport est fixé par l’autorité. Mais aussi grève dans le domaine de la santé : pas seulement à cause des salaires trop bas, mais d’une mauvaise organisation de la santé, de manque de moyens, de médicaments, d’appareils etc. Et surtout grève des enseignants qui se continue jusqu’à maintenant et qui risque d’entraîner une année blanche et donc perdue pour tous. Dans la plupart des lycées officiels, il y a grève depuis 4 mois, alors que les collèges et lycées privés continuent à fonctionner, ce qui amène de grandes frustrations. Les nouveaux bacheliers n’ont pas commencé les cours dans les universités, et les cours à l’université sont également interrompus depuis plusieurs mois et également toute l’administration, ce qui ne permet pas de préparer de nouveaux concours ou de commencer de nouvelles études. On peut noter que ces grèves des enseignants sont causées par le fait que le gouvernement a mené des concertations avec les différents syndicats, mais que les accords signés n’ont pas été respectés. Cela est d’ailleurs un problème général. Le gouvernement a tendance, pour arrêter les manifestations, à faire de grandes promesses et à signer des accords beaucoup trop généreux, si bien qu’ensuite il ne peut pas tenir ses engagements, les intéressés se révoltent et repartent à nouveau en grève. On a donc là un cycle ininterrompu. Il y a eu de grands programmes de lutte contre le chômage des jeunes mais qui n’ont été que de la poudre aux yeux, se limitant à de grandes déclarations théoriques. En tout cas, le chômage ne fait qu’augmenter, en particulier au niveau des jeunes. De même des milliards ont été investis dans l’électricité pour le plan Takkal, en payant très cher des sociétés étrangères pour fournir de l’électricité, mais les délestages et les coupures de courant continuent et la suspicion augmente, si bien qu’il y a des accusations de détournement d’argent également à ce niveau.

    Dans le monde rural, de grands projets ont été faits pour relancer l’élevage et l’agriculture comme le plan Goana. Beaucoup d’argent a été dépensé mais les paysans et les éleveurs à la base n’en voient pas les effets et cela n’a entraîné aucune amélioration de leurs conditions de vie. Bien plus pour la culture d’arachide, qui est l’une des principales ressources du pays et fait vivre la majorité de sa population, la vente de l’arachide a été libéralisée. Si bien qu’il y a le danger que ce soit des sociétés étrangères qui viennent acheter l’arachide car ayant davantage d’argent. Les huileries sénégalaises ne vont pas pouvoir tourner faute de matière première, et en plus les prêts et les avances qu’elles ont faits aux paysans ne seront pas remboursés. Pour ces derniers, les pluies de l’année dernière ont été insuffisantes, tardives, et surtout irrégulières. Ce qui fait que les récoltes n’ont pas été bonnes. Avec deux conséquences : les paysans n’ont pas beaucoup d’argent pour vivre ni beaucoup de nourriture, et d’autre part ils n’auront pas de semences. En effet, beaucoup de graines d’arachide sont vides ou très petites, n’ayant pas pu se développer suffisamment et ne pourront pas être utilisées comme semence l’année prochaine. Il y a un grand danger de famine pour le pays. On parle de 800 000 personnes qui seront touchées, d’autres parlent même de 2 millions, et pour la zone du Sahel au moins 8 millions de personnes qui vont connaître la famine. Dans la plupart des autres pays, les gouvernements ont tiré la sonnette d’alarme et ont commencé à chercher des moyens pour procurer de la nourriture aux personnes qui vont être touchées par cette famine en s’adressant en particulier aux Nations Unies et aux organisations internationales. Mais au Sénégal, comme on est en pleine campagne électorale, d’abord on pense davantage à la politique qu’à l’économie, et du côté du pouvoir on ne veut pas parler de ces problèmes qui donneraient une impression négative de l’action du gouvernement et risqueraient de faire perdre des voix. Mais c’est les populations qui vont en souffrir.

    Plus généralement le coût de la vie a énormément augmenté (voir le tableau ci-joint). Cela n’est pas dû seulement à une mauvaise gestion du pays, mais aussi à un contexte international. Il n’empêche que cela pèse très lourd sur la population car les salaires n’ont pas suivi. De toutes façons, la majorité des habitants du Sénégal, ne sont pas salariés, mais font des petits métiers dans le secteur informel. La grogne augmente en particulier dans les banlieues de la capitale, Dakar, car les banlieues ne sont pas aménagées que ce soit pour la santé (dispensaires et postes de santé), pour l’eau, pour l’électricité, mais aussi pour les égouts (des quartiers sont encore inondés depuis la saison des pluies de l’été dernier) et pour l’évacuation des eaux usées (à Cambérène des tuyaux ont éclaté ce qui entraîne une révolte populaire). De même, beaucoup de rues sont en sable et sont très difficilement praticables.

    Depuis un an, toute cette opposition s’est cristallisée au niveau politique, puisque cette année est celle des élections présidentielles (2ème tour le 25 mars) qui seront suivies des élections législatives. Déjà depuis l’année dernière, des grosses manifestations ont eu lieu. D’abord le 23 juin 2011, car le président voulait faire un nouveau changement de la Constitution en introduisant un ticket présidentiel à l’image de ce qui se passe aux Etats Unis, donc en nommant un Vice-président et avec la possibilité d’être élu simplement avec 25 % des voix. Bien sûr les partis politiques de l’opposition et les jeunes se sont révoltés. Ils ont organisé une manifestation monstre qui a amené le président à retirer son projet.

    Ce qui mécontente profondément les gens, ce sont aussi toutes les manœuvres du président non seulement pour favoriser son fils à qui il a confié un énorme super ministère regroupant 4 ou 5 ministères différents dans les secteurs aussi essentiels que celui de l’énergie et des transports, mais également son désir exprimé même publiquement de faire nommer son fils comme futur président. Ce que la population a refusé absolument.

    Tout au long de l’année il y a eu des changements dans l’administration : le gouvernement a nommé des personnes pour diriger certaines communautés rurales à la place de celles qui étaient élues, sous prétexte d’efficacité. Beaucoup de gens ont interprété cela comme une volonté de récupérer des zones électorales de l’opposition, en y nommant des gens à la solde du gouvernement et du parti du président. Il y a eu des manifestations, des révoltes et même des morts. Autre chose qui indispose aussi beaucoup de gens c’est toute l’utilisation de l’argent et de la corruption par le président et son parti pour être réélu : Un salaire attribué aux chefs de village et des communautés rurales et même des cadeaux de voitures 4x4 qui coûtent évidemment très cher. Sommes d’argent importante (plusieurs millions) distribuées par exemple aux lutteurs pour qu’ils soutiennent le président, et aussi aux marchands ambulants. Mais surtout aux chefs religieux musulmans pour qu’ils donnent à leurs fidèles un ordre de vote en faveur du président (ce qu’on appelle le ndiguel) comme cela se passait autrefois. Mais actuellement on assiste à un refus presque général des chefs religieux musulmans de donner un ordre de vote, même si beaucoup d’entre eux continuent à prendre les millions qu’on leur offre, et si le président, au mépris de son rang et de sa fonction présidentielle, fait le tour de toutes les confréries religieuses musulmanes et va s’agenouiller devant ces chefs religieux pour obtenir leur bénédiction, afin de garder le pouvoir.

    Ce qui indispose également les gens, c’est le nombre de cérémonies dites « mystiques » et de sacrifices. On immole des tas d’animaux que l’on donne aux génies du fleuve pour être réélu et on parle même de sacrifices humains. Ce qui n’a pas été prouvé, mais plusieurs personnes, en particulier des jeunes, ont disparu ces derniers temps. Et les albinos en particulier se sentent menacés et n’osent plus sortir dans la rue. De même il y a eu de nombreuses cérémonies « mystiques » contre les opposants, en particulier au 2ème tour, pour « marabouter » le candidat de l’opposition.

    Les partis d’opposition se sont réunis au sein d’une organisation appelée le M23, en souvenir de la grande manifestation du 23 juin 2011. Ce mouvement M23 s’appuie sur un travail énorme de réflexion très approfondie et très valable des assises nationales. Ces assises ont regroupé de nombreuses ONG et organisations de la Société Civile qui ont réfléchi pendant plus d’une année, et ont proposé une autre organisation du pays et une autre façon de gouverner, avec des orientations précises dans les différents domaines sociaux, économiques, culturels, religieux (laïcité) etc. Ces orientations vont bien sûr complètement à l’encontre des orientations libérales du gouvernement actuel.

    La troisième candidature du président Wade : Le président Wade a changé la Constitution en réduisant la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans et en limitant le nombre de candidatures à 2. Or, le président Wade a déjà dirigé deux fois de suite le pays. Malgré tout il se présente une troisième fois, en disant que sa première candidature ne doit pas être comptabilisée puisqu’elle a eu lieu avant le changement de la Constitution. Ce que les candidats de l’opposition et une grande partie de la population refusent en disant que 12 années ça suffit et que de plus maintenant il est très âgé (plus de 86 ans). Malgré tout le président a maintenu sa candidature et celle-ci a été approuvée par le Conseil constitutionnel. Il faut savoir que les 5 membres du Conseil constitutionnel ont été nommés par le président. Ce qui fait penser à beaucoup qu’ils ont été non seulement influencés, mais même achetés. Ce qui est sûr c’est qu’ils ont reçu une augmentation de salaire de plusieurs millions et de nombreux cadeaux. Mais plusieurs personnes ont été mises en prison pour avoir affirmé cela. Dans le même temps, la candidature de Youssou Ndour, un chanteur très populaire a été refusée, pour une question de signatures non reconnues. Cela a révolté les jeunes, qui sont ses fans, quoiqu’on puisse penser de la capacité de cet artiste à diriger le pays. Les manifestations de l’opposition se sont donc multipliées. Elles ont été réprimées fortement et souvent avec une violence excessive des forces de l’ordre, qui ont utilisé non seulement des grenades lacrymogènes, mais même des balles réelles. Il y a eu plusieurs morts au cours de ces manifestations. Cela a créé un sentiment d’insécurité et de peur, si bien que beaucoup de personnes n’ont pas voté au 1er tour. Mais cela a augmenté aussi la détermination et l’opposition de beaucoup de personnes. Finalement grâce à la sagesse populaire, le 1er tour des élections s’est passé dans la paix et dans la légalité, grâce à la présence d’observateurs,, non seulement de l’Union Européenne et de l’Union Africaine, mais également d’ONG sénégalaises et en particulier de l’Eglise catholique. Au moment où j’écris ces lignes, nous attendons le 2ème tour des élections du 25 mars. Un très gros effort est fait pour demander aux gens de refuser à la fois la violence et la corruption, d’aller voter car il y a eu plus de 40 % d’abstentions au 1er tour et surtout d’accepter les résultats. Nous attendons donc les résultats de ce 2ème tour, en espérant qu’il se passera dans la paix et que les résultats contrôlés à nouveau par les observateurs seront acceptés. En ce moment l’Eglise catholique, comme un certain nombre d’ONG, s’implique fortement pour cette dernière semaine de campagne électorale avant le 2ème tour. Non seulement par les déclarations du Cardinal mais par un travail de sensibilisation et de conscientisation de la population à la base.

    Il reste que, quelque soit le président qui sera élu, il va se trouver confronté à d’énormes problèmes économiques et à une grande impatience de la population qui souffre beaucoup, qui est découragée et qui demandera des changements le plus rapidement possible, sinon elle risque à nouveau de se révolter. L’avenir est donc inquiétant et il va falloir continuer à travailler et à réfléchir pour que les choses se passent le mieux possible. Et que les promesses électorales soient tenues.

    Notes

    1. Au sujet des grandes réalisations, il y a de plus en plus d’accusations de corruption et de détournements. Ainsi la construction de l’autoroute de sortie de Dakar vers le nouvel l’aéroport (encore une œuvre de prestige qui n’était peut-être pas nécessaire ni en tout cas la plus urgente étant donné les difficultés financières du pays) la construction de cet autoroute a coûté plus de 100 milliards de FCFA. Ce qui est nettement surélevé et ce qui amène les gens à penser qu’une bonne partie de cet argent a été détourné det reversé en pots de vin. De même pour construire le monument en l’honneur de la Renaissance africaine, le président a récupéré plusieurs centaines d’hectares pris sur des terrains publics aux alentours de l’aéroport de Yoff pour les donner à la société coréenne qui devait construire ce grand monument. Bien sûr cette société s’est empressée de revendre les terrains aux gens les plus riches et les mieux placés dans la politique et dans le parti. De plus le président ayant fait les plans de ce monument qui, bien qu’en l’honneur de la Renaissance africaine n’a absolument rien d’africain mais ressemble étrangement aux anciens grands monuments des partis communistes de l’Europe de l’Est, donc le président s’est attribué 35 % des bénéfices des visites de ce monument pour lui-même et sa famille. Ce qui a aussi énormément indisposé les gens.

    2. Au sujet du nombre d’abstentions : Mais il est vrai qu’un certain nombre de personnes décédées sont encore sur les listes électorales, et en tout cas plus de 300 000 cartes d’électeurs n’ont pas été retirées au 1er tour


    Quel avenir pour le Sénégal ?

    La présidence de Abdoulaye Wade a été marquée en particulier par l’exercice d’un pouvoir personnel et corrompu, la réalisation d’actions de prestige avec le soutien des grosses sociétés étrangères au détriment des pauvres du monde rural, des jeunes au chômage et du secteur informel. Tout cela a conduit à sa chute et à l’élection d’un nouveau président Macky Sall.

    Depuis plusieurs années, les partis d’opposition avec la société civile avait lancé un travail de réflexion très profond sur la situation du pays (les Assises nationales) qui a abouti à la rédaction d’une charte avec des propositions concrètes dans les différents domaines, politique, économique, social, culturel religieux. Les différents partis qui ont signé cette charte qui se sont retrouvés dans la coalition appelée M23, en souvenir du 23 juin 2011, jour d’une grande manifestation contre l’ancien président. Cette coalition a gagné les élections présidentielles et porté Macky Sall au pouvoir.

    Le nouveau gouvernement mis en place s’est immédiatement mis au travail :

    1. Réduction du coût des produits de première nécessité : riz, huile et sucre. Mais le riz, par exemple, base de la nourriture au Sénégal, est en grande partie importé et les prix sont fixés par le commerce international. Le problème est donc d’augmenter la production locale, alors qu’en ce moment la famine menace. Le gouvernement fait un gros effort pour préparer la prochaine campagne agricole. Mais les intérêts de la population sont divergents. Les paysans voudraient vendre leur riz plus cher, pour pouvoir vivre normalement, tandis que les gens des villes le veulent le moins cher possible. Dans le même domaine, le gouvernement a arrêté l’importation massive d’oignons étrangers, qui faisait que les paysans sénégalais ne pouvaient plus vendre leur production locale.

    2. Annulation des 29 autorisations de pêche aux bateaux étrangers qui pillaient les fonds marins. Les pêches des pirogues sénégalaises sont de plus en plus réduites et la population manque de poisson qui est la base essentielle de protéines pour la nourriture.

    3. Récupération des voitures de l’Etat qui avaient disparu après les élections présidentielles. Les voitures distribuées aux chefs de village et de quartier ont été récupérées pour être remises aux services administratifs qui en manquent cruellement.

    4. Audit des différents ministères du régime précédent et lutte contre la corruption.

    5. Plus grande clarté et efficacité de la justice. Cela s’est manifesté par exemple par l’arrestation de Cheikh Bethio Thioune, un chef religieux très remuant et imprévisible, suite à une bagarre entre ses disciples ayant entraîné la mort de deux personnes, enterrées clandestinement pour masquer l’affaire.

    6. Augmentation de 10% de la retraite. Mais seule une petite minorité des personnes âgées en profitera, très peu ayant été inscrits à la Sécurité Sociale (seulement les salariés, pas ceux du secteur informel, le plus nombreux).

    7. Réduction du nombre de ministres et du train de vie de l’Etat. Mais en même temps, nombre élevé de conseillers avec rang de ministres ! Et beaucoup, comme par exemple les employés de la Sénélec (électricité) refusent de perdre leurs avantages passés.

    La question est de savoir si ces premiers efforts seront maintenus et aboutiront à des résultats réels et valables.

    De toute façon, de nombreux problèmes restent en suspens : la grève des enseignants, depuis le début de l’année scolaire, risque d’entraîner une année blanche avec toutes ses conséquences. Le manque de moyens dans le secteur de la santé, cause de grèves récurrentes. La paix en Casamance où une rébellion est à l’œuvre depuis plus de 30 ans. Plus concrètement, les prix élevés du pain, du carburant et de l’électricité, le manque d’eau potable dans les villages et même en ville, sont cause de nombreux mécontentements.

    C’est pourquoi la population reste vigilante, en particulier la Société Civile et les organisations des Droits Humains et des consommateurs, entraînées par le mouvement « Y en a marre ».

    Des questions : Le Président élu va-t-il respecter la Charte des Assises Nationales qu’il a signée ? Va-t-il supprimer le Sénat qui coûte très cher au pays, comme on le lui a demandé ? Quels vont être les résultats des élections législatives du 1er juillet : Le président a besoin d’une majorité au Parlement pour pouvoir gouverner. Mais il ne faudrait pas que celui-ci devienne une simple chambre d’enregistrement, comme au temps du président précédent.

    La vie reste très difficile pour la majorité de la population et il faudra du temps pour mettre en place les réformes économiques nécessaires. La population aura-t-elle la patience et la sagesse pour attendre le temps qu’il faut ?

    Les forces vives de la Société civile, comme la commission Justice et Paix de l’Eglise catholique, sont engagées à nouveau pour les élections législatives prochaines, et plus largement pour l’avancée du pays. Mais il s’agit de mobiliser et d’unir davantage tous ceux qui sont prêts à travailler pour construire le pays.

    Dans son message de Pâques, le Cardinal Adrien Sarr a demandé « de réagir contre l’appétit du pouvoir et de l’avoir et de rejeter les sentiments qui amènent la division ». Il a mis en garde contre « la fuite des responsabilités, la peur de la vérité et les justifications trompeuses de la rancune et de la vengeance ». Tout un programme !

    Nul doute que les choses vont continuer à évoluer dans les jours qui viennent.


    Réactions suite aux élections présidentielles au Sénégale (26-1-2012)

    Beaucoup de gens me posent des questions au sujet des résultats du 2° tour des élections présidentielles. Il faudra analyser sérieusement ces résultats pour en tirer les conséquences pour la vie du pays et nos propres engagements. Cependant, voici déjà quelques premières réflexions personnelles à chaud, qui sont bien sûr discutables, qui seront à approfondir par vous-mêmes et avec ceux avec qui vous vivez et travaillez, et sur lesquelles je serais heureux d’avoir vos réactions, en attendant les propositions de la commission Justice et Paix

    1. LES PERDANTS : Beaucoup de gens sont satisfaits des résultats, mais pas tous. Il s’agit de respecter les candidats du président sortant Abdoulaye Wade, et de les encourager à continuer à participer activement à la construction du pays. Et que ceux qui ont soutenu Macky Sall ne cherchent pas à en obtenir des récompenses, des avantages ou des places.

    2. LA MISE EN PRATIQUE DES ASSISES NATIONALES : Beaucoup rappellent que la population a plus voté contre Abdoulaye Wade à cause de ses excès, que pour Macky Sall lui-même ou pour son programme. Ils rappellent qu’il est lui-même de tendance libérale, et qu’il a été 1° ministre et président de l’Assemblée Nationale (la chambre des députés) au temps de l’ancien président. Bien sûr, tout nouvel élu mérite la confiance au départ et tout homme est capable de changer et de progresser. De plus, Macky Sall a signé la charte des Assises Nationales et il s’est engagé avec les différents partis de l’opposition pendant la campagne du 2° tour. Mais nous devons être tous vigilants (c’est notre devoir) pour que les orientations et propositions de cette charte soit effectivement mises en pratique, selon les accords conclus.

    3. PATIENCE ET ENGAGEMENT/ Le nouveau président ne pourra pas répondre immédiatement à tous nos espoirs, régler tous nos problèmes et satisfaire tous nos besoins : réduire le coût de la vie (se rappeler les grèves des transporteurs, des boulangers,…), diminuer le chômage des jeunes, soutenir le monde rural spécialement avec cette famine qui s’annonce, fournir l’électricité et l’eau dans les villages et pas seulement en ville, régler les problèmes de l’école pour arrêter la grève des enseignants et éviter une année blanche, mais aussi les autres problèmes sociaux, en particulier dans la santé, etc…Il nous faudra donc faire preuve de patience et de compréhension. Mais surtout agir par nous-mêmes et en comptant sur nos propres forces et les moyens que nous avons, sans tout attendre du président ou du gouvernement qu’il va mettre en place.

    4. LES ELECTIONS LEGISLATIVES : Il nous faut les préparer, en tenant compte et en continuant les réflexions, les formations et les sensibilisations que nous avons menées pour les présidentielles. Pour avoir des députés issus des différents partis mais surtout engagés pour le bien du pays avec le souci des plus nécessiteux, capables de jouer leur rôle législatif en toute indépendance pour équilibrer le pouvoir exécutif, et représentatifs des différentes couches de la population mais sans ethnicisme.

    5. RENDRE MEILLEURE NOTRE DEMOCRATIE : Beaucoup disent que ces élections présidentielles ont été une victoire de la démocratie. C’est vrai. Mais il ne faut pas oublier toutes les limites que nous avons constatées et auxquelles il nous faudra trouver des solutions : Le danger toujours présent du « ndigël » (ordre de vote de la part de certains chefs religieux musulmans) pour mettre en place une vraie laïcité conforme à la constitution du Sénégal, une véritable indépendance de la justice, plus efficace et moins marquée par l’argent, un contrôle des forces de l’ordre pour éviter la répression et l’usage abusif de la force et une éducation des citoyens pour apprendre à réagir sans casse ni violence (il y a eu des morts pendant cette campagne électorale), lutter contre la trop grande place de l’argent et même la corruption et l’achât des votes et des consciences (et donc limiter le budget de la présidence et supprimer les caisses noires de toutes sortes), lutter contre le clientélisme et le pouvoir personnel, arriver à une vraie indépendance du pouvoir législatif et judiciaire face à l’exécutif (il y a eu 15 changements de la constitution en 12 ans !)

    6. QUEL PROJET DE SOCIETE ? Un travail sérieux et approfondi a été mené par la société civile et repris par les partis politiques de l’opposition au cours des Assises Nationales, qui a abouti à des propositions concrètes pour la construction et la direction du pays. Comment faire pour que ces propositions soient effectivement mises en place et que la société civile puisse continuer à jouer véritablement son rôle en toute indépendance, sans se faire récupérer par le pouvoir ou les partis politiques ? Cela aussi dépend de chacun d’entre nous.


    Situation du pays, septembre 2012

    Cet hivernage (saison des pluies) a été marqué par de graves inondations qui ont causé des morts (maisons qui se sont effondrées) et inondé de nombreux quartiers, causant beaucoup de dégâts. (Voir mes « Nouvelles »). Cela a beaucoup touché les gens et tout un mouvement de solidarité s’est mis en place. Et cela a même été l’occasion de régler un certain nombre de choses au niveau institutionnel. A commencer par le Sénat. En effet, c’était une institution très discutée. D’abord beaucoup de gens pensent que, pour le Sénégal, c’est une institution inutile qui, en plus, coûte très cher au pays en salaires, investissements, etc… Entre 4 et 7 milliards CFA par an (soit 10 millions d’Euros). En fait, c’était un moyen pour le Président de placer ses gens et de les récompenser. En effet, sur 100 Sénateurs, 65 étaient non pas élus par les maires et autres autorités, mais choisis par le président lui-même. C’est pourquoi la suppression du Sénat avait été demandée par les Assises Nationales (un grand mouvement de réflexion de plusieurs années de la Société Civile).

    Comme on avait besoin d’argent pour aider les sinistrés suite aux inondations, le Président actuel a demandé à l’Assemblée de voter la suppression du Sénat « pour faire des économies ». Bien sûr, la plupart des Sénateurs nommés par l’ancien président, et maintenant dans l’opposition, ont refusé, car cela leur faisait perdre de nombreux avantages (salaires importants et nombreuses primes et avantages, voitures et maison des fonction, etc..). Mais ils ont été minoritaires au cours du vote par le Congrès. Des dispositions vont être prises pour donner un autre travail aux divers employés du Sénat. Du même coup, le poste de vice-président a été supprimé. Il avait été la cause d’une grande révolte populaire le 23 Juin 2011 qui a entraîné la chute de l’ancien président Abdoulaye WADE qui voulait mettre son propre fils à ce poste pour qu’il lui succède. En même temps, le Conseil économique et social est devenu depuis : «  le Conseil économique, social et pour l’environnement », car cette question de l’environnement est très importante pour l’avenir du pays, à cause de tous les problèmes qui se posent : inondations, sécheresse, avancée du désert et déboisement, montée de l’océan, pollution, etc…

    Dans la foulée, des voix s’élèvent pour que le Président de la République, comme le Président de l’Assemblée, diminuent leurs « fonds spéciaux » qui sont très importants, à la fois comme signe important de la volonté des dirigeants de diminuer les dépenses, et en particulier pour aider les sinistrés.

    Le Premier Ministre a fait une déclaration de politique générale qui était très attendue (5 mois après sa nomination). Il a abordé la plupart des problèmes du pays (voir mon dernier article) en insistant sur la nécessité de changements profonds pour plus de sérieux, d’efficacité et de transparence. Et il est vrai que les audits des différents services et ministères se poursuivent, pour lutter contre la corruption. Mais un certain nombre de questions restent posées : les problèmes sont importants et nombreux, on ne pourra pas tout régler à la fois. Il va falloir dégager des priorités et qu’elles soient acceptées. Et surtout, la plupart des gens attendent tout de l’Etat au lieu de compter d’abord sur leurs propres forces. Il y a là tout une mentalité à changer. Le Président vient de mettre en place une Commission dirigée par l’ancien responsable de l’UNESCO, Moktar MBOW, pour revoir toutes les institutions.

    A la base, les difficultés sont écrasantes et les choses ne changent pas beaucoup ! (Voir mes « Nouvelles »).


    Quel avenir pour le Sénégal ?

    La situation

    Le Sénégal donne l’apparence d’un ilot de paix, dans une Afrique de l’Ouest très perturbée par l’instabilité et les coups d’état en Guinée Bissau, les tensions ainsi que la blessure par balles du président en Mauritanie, les changements de gouvernement et l’insécurité en Côte d’Ivoire, et surtout la séparation du nord du Mali passé sous la domination de plusieurs mouvements islamistes, qui d’ailleurs ne s’entendent pas entre eux. Qu’en est-il exactement du Sénégal ?

    Le Sénégal apparaît comme un pays démocratique. Il s’appelle lui-même le pays de la téranga (l’hospitalité en ouolof). Mais dans la réalité, la situation est beaucoup plus complexe. Il est vrai que les populations vivent habituellement d’une manière pacifique. Pourtant les situations de violence n’ont pas manqué. Déjà au début des années 90, de nombreux sénégalais ont été tués en Mauritanie, mais de nombreux mauritaniens ont été tués également au Sénégal. Les dernières élections ont été célébrées comme étant démocratiques. Et c’est vrai que les élections se sont bien passées, et que le président Wade a accepté aussitôt sa défaite, suite à de nombreuses pressions. On a eu ainsi une alternance dans le pays. Mais la campagne électorale n’a pas été exempte de violences pour autant. Des manifestations ont été très violemment réprimées par les forces de l’ordre. Il y a eu des morts parmi les manifestants, mais aussi un policier tué par ces derniers. Ce n’était pas la première fois que police et gendarmerie intervenaient avec une force disproportionnée. Ils sont souvent intervenus violemment au cours des grèves des travailleurs ou des manifestations des étudiants. On parle aussi de coups et des tortures dans les commissariats, ayant entraîné la mort de prévenus. Deux officiers (un policier et un gendarme) sont actuellement en prison en attente de jugement, pour avoir tué des manifestants à Podor et à Sangalkam.

    Cette violence se retrouve même dans la vie de tous les jours. En particulier en politique où l’on assiste parfois à des agressions verbales mais aussi physiques très fortes, et aussi dans le sport au niveau des jeunes. La lutte traditionnelle est devenue la lutte avec frappe où il y a souvent des blessures et où le sang coule. Les matchs de football des associations de quartier (les navétanes) se terminent souvent par des bagarres et de nombreux blessés. Il y a donc une violence sous jacente qui éclate en cas de problèmes ou de difficultés graves. Certains menacent même de faire la grève de la faim et de s’immoler par le feu. Et l’un ou l’autre l’a effectivement fait. Depuis 30 ans, il y a une rébellion en faveur de l’indépendance en Casamance dans le sud du pays, et jusqu’à maintenant, on n’arrive pas à régler cette question. Sant Egidio a été contacté pour conduire à une intervention. Mais certaines des personnes impliquées refusent sa médiation.

    Au-delà de ces agressions, il y a de nombreuses tensions et oppositions dans les différents domaines de la vie courante. Nous avons vécu des élections transparentes et démocratiques qui ont permis une alternance. L’ancien président Abdoulaye Wade n’a pas été reconduit et c’est une coalition de différents partis BBY (Bennoo Bokk Yaakaar : Ensemble pour l’espérance) qui a pris la direction du pays, autour du nouveau président Macky Sall. Mais les critiques ne manquent pas. Si bien qu’au bout de 7 mois, le président a dû remercier certains ministres et opérer un remaniement ministériel. En effet, les attentes sont très grandes de la part de la population, surtout au point de vue économique. Beaucoup de gens ont des problèmes pour vivre. Le nouveau président a voulu baisser le prix des produits de consommation courante (riz, huile, sucre). Mais malgré les subventions gouvernementales, cela n’a pas été suivi d’effet, au grand désappointement des populations. Le prix du carburant a augmenté, et on parle de l’augmentation du coût de l’électricité, là aussi malgré les subventions très importantes de l’Etat. « La Senelec (Compagnie Nationale d’Electricité) croule sous une dette de 510 milliards malgré des centaines de milliards déversés dans le secteur (plus de 200 milliards de F CFA cette année) » Journal Le Populaire du 12 novembre 2012, page 5.

    Le nombre de pauvres ne diminue pas et le Sénégal ne pourra pas attendre certains des objectifs du 3ème millénaire de l’ONU. Chaque jour dans le pays, il y a des manifestations, en particulier dans le secteur rural, pour demander de l’eau et de l’électricité, et aussi des routes, des écoles et des dispensaires. Les populations sont fatiguées, et certaines même découragées. On ne voitpas de solution au chômage des jeunes.

    Avec l’arrivée du nouveau régime, les grèves sont moins nombreuses, mais l’année dernière, on a évité de justesse une année blanche dans l’enseignement, et les syndicats des enseignants estiment que leurs revendications n’ont pas été satisfaites jusqu’à maintenant. Sans doute qu’elles ne pourront pas l’être d’ailleurs, dans la mesure où l’ancien président avait fait de nombreuses promesses irréalisables pour se faire réélire. Les grèves dans les hôpitaux ont cessé pour le moment, mais il y a de nombreuses manifestations des travailleurs dans beaucoup d’entreprises et de sociétés. Tout cela entraîne un sentiment d’insécurité et même de révolte, et donc une fragilité du pays. Le président et le gouvernement cherchent vraiment à assainir la vie publique. Ils ont mis en place une Cour pour la répression de l’enrichissement illicite, ils luttent contre le blanchiment et les détournements d’argent et cherchent à récupérer les fonds très importants qui ont été placés à l’étranger. Les anciens responsables du pays sont donc convoqués à la police et à la gendarmerie pour enquête. Mais certains ont l’impression qu’il s’agit d’un règlement de comptes et même d’un acharnement à visée politique. Le jeudi 15 novembre, le fils de l’ancien président, Karim Wade, a été convoqué pour la troisième fois et pendant 1O heures de suite. Il a été convoqué pour une quatrième fois le jeudi suivant. Si bien que des personnes accusées, en particulier les leaders et anciens ministres du PDS (Parti Démocratique Sénégalais), le parti de l’ancien président, attaquent en retour le président actuel et d’autres personnes au pouvoir, les accusant également d’enrichissement illicite dans le passé. D’autant plus que ces différentes personnes ont été membres du gouvernement précédent, et même Premier Ministre et Président de l’Assemblée Nationale pour Macky Sall. Le Premier Ministre lui-même est accusé d’avoir blanchi l’argent de Hussein Habré, l’ancien dictateur du Tchad, qui va finalement être jugé au Sénégal pour des violences commises dans son pays depuis 1982, cela fait donc 30 ans maintenant.

    Toutes ces affaires sont suivies avec passion par toute la population. C’est l’occasion d’attaques verbales et d’oppositions fortes, et finalement cela entraîne un climat de suspicion qui n’est pas propice à la construction du pays. Même si la lutte contre l’enrichissement illicite est tout à fait légitime et très importante.

    Même au niveau religieux, les tensions ne manquent pas. Un chef religieux imprévisible, Bethio Thioune, a été arrêté suite à l’assassinat de deux de ses disciples qu’il aurait laissé faire, ou même dans lequel il serait impliqué. Après son transfert de la ville de Thiès à Dakar, ses disciples se sont révoltés et ils ont saccagé le centre de la capitale, caillassant les feux rouges et plus d’une centaine de voitures. A cette occasion, à l’inverse des fois passées, les forces de l’ordre ne sont pas intervenues rapidement. Certains disant même qu’elles sont maintenant découragées et ont peur d’agir, dans la mesure où un certain nombre de leurs responsables ont été accusés et emprisonnés, pour motif de violence disproportionnée contre la population.

    Malgré tout, la paix

    Malgré ce tableau qui peut sembler très sombre, la population vit dans une paix relative et il n’y a pas la violence partout. D’où vient ce calme ? D’abord il y a la culture et la religion traditionnelle qui restent encore très influentes et qui agissent pour la paix et la réconciliation. Déjà quand on se rencontre dans la rue, on se salue en se souhaitant la paix et cela crée un état d’esprit favorable. Le jour de la fête de la Tabaski (la fête du sacrifice d’Abraham : Aïd el Kebir), comme chaque année, les gens se sont demandé mutuellement pardon. Dans les familles et les associations, spécialement en secteur rural, les formes de réconciliation traditionnelle restent présentes, actives et efficaces.

    Il y a une bonne compréhension et une vraie collaboration entre les religions chrétiennes et musulmanes, et déjà entre les différentes Eglises ou entre les différentes confréries musulmanes. Il faut dire que dans un certain nombre de familles du centre et du sud du pays, dans la même famille, il y a des chrétiens et des musulmans. Cela aide beaucoup à l’acceptation mutuelle. Les chefs religieux sont très influents au niveau de la paix. Par exemple, le Cardinal Théodore Adrien Sarr vient de présenter le 3ème Plan d’Action Pastoral pour les années 2013 à 2017, comme un moyen de renforcement du dialogue islamo-chrétien au Sénégal : « Je voudrais dire à nos frères et sœurs sénégalais, nos compatriotes, que nous voulons vivre au milieu d’eux en cultivant la paix mais aussi la solidarité et l’attention aux autres, afin que nous puissions tous nous entraider, mettre ensemble nos moyens et nos idées, pour bâtir un Sénégal de paix et un Sénégal toujours meilleur. » Et au sujet des tensions politiques et accusations mutuelles de détournement d’argent et d’enrichissement illicite entre le parti de l’ancien président Abdoulaye Wade et les membres importants du gouvernement de Macky Sall, le grand marabout de la confrérie mouride à Touba a clairement déclaré qu’il ne voulait pas s’immiscer dans ces problèmes, malgré les demandes de soutien des uns et des autres, et qu’il laisserait faire la justice. Ce qui est un grand changement par rapport aux interventions des chefs religieux musulmans dans le passé, et donc un signe d’espérance.

    Lors des élections présidentielles et législatives, des groupes et associations comme la commission Justice et Paix de l’Eglise catholique, ont beaucoup travaillé pour faire réfléchir et former tous les citoyens sans distinction à faire un choix réfléchi, et pour que ces élections se passent dans la paix et dans la transparence. Ce qui a beaucoup aidé au bon déroulement des élections, et à l’acceptation positive des résultats, malgré toutes les tensions et les violences de la campagne électorale, c’est la présence de nombreux observateurs locaux qualifiés. Cette action va se poursuivre, puisque l’année prochaine auront lieu les élections locales, qui vont intensifier la mise en place de la décentralisation et de la responsabilisation de la base.

    Les mouvements d’éducation et d’action pour la non violence ne sont pas développés en tant que tels au Sénégal. Malgré tout, il y a une éducation et une action diffuse qui se répand dans le pays permettant l’acceptation mutuelle et la paix. Grâce à l’action en particulier des associations pour les Droits Humains et la mise en place peu à peu d’une véritable Société Civile. Même si celle-ci doit se montrer vigilante et neutre, ses responsables ayant tendance à se lancer dans la politique politicienne, ou à se faire récupérer par les partis.

    Même si l’éducation civique, en particulier aux droits humains, n’est pas suffisamment développée dans les écoles, et souvent mal orientée, le fait que des enfants se retrouvent ensemble à l’école, chrétiens et musulmans, est un apprentissage à la vie commune et à l’acceptation mutuelle, très important. Et encore plus l’action des mouvements d’action catholique des enfants et des jeunes qui sont ouverts aux musulmans.

    Un gros effort est fait aussi pour l’éducation à la paix à l’intérieur des prisons, en particulier par les aumôneries catholiques. Et également pour la réconciliation des prisonniers avec leur famille et avec leurs victimes.

    Agir sur les causes

    La cause principale de toutes ces tensions reste la pauvreté. Un seul exemple : ce sont seulement les 20 % de travailleurs salariés qui peuvent profiter de la sécurité sociale. Les 80 % autres, les travailleurs du monde rural ou du secteur informel, ne peuvent pas en bénéficier, ce qui entraîne bien sûr de nombreuses tensions. De nombreux jeunes ne trouvent pas d’emploi même après leurs études qui, d’ailleurs, ne les préparent pas à entrer dans le monde du travail. C’est là la cause de nombreux mécontentements et de violences. Quand on n’a pas ce que l’on espère, on casse. Certains de ces jeunes désœuvrés se laissent prendre par l’alcool, la drogue et la délinquance. Ils sont également prêts à se faire récupérer par des intégristes, qui leur promettent à la fois bonheur et salut. L’universitaire Massaër Diallo affirme par exemple « qu’un grand mouvement populaire contre le régime est possible dans une société où plus de 50 % de la population sont des jeunes exigeants et impatients…La cherté de la vie, le chômage des jeunes, la crise énergétique, le déficit de communication…sont autant de facteurs qui peuvent provoquer la fin de l’état de grâce du président de la République, Macky Sall et engendrer la rupture entre ce dernier et son peuple….Il urge d’installer un langage de vérité à travers un dialogue sincère entre gouvernants et gouvernés. ..Tout ce qui a été promis par les dirigeants du nouveau régime ne peut pas être tenu, notamment avec un taux de croissance inférieur à 7 % ». Sur la crise Casamançaise, Massaër Diallo suggère « le déracinement du conflit par des actions politiques et des actions de développement. Il s’est réjoui de la volonté exprimée par certains acteurs du MFDC (le mouvement pour l’indépendance) à renouer le fil du dialogue avec le gouvernement Sénégalais » (site seneweb-15 novembre 2012)

    Ce ne sera pas facile, car Il manque 1283 milliards de francs CFA (près de 2 milliards d’euros) pour la stratégie nationale de développement économique et social des années 2013 à 2017. Le site seneweb explique : « Par ces temps, les populations ne cessent d’exprimer leur inquiétude, face aux contraintes qui les assaillent, au quotidien. Et qui ont noms : cherté de la vie, difficultés liées aux inondations mais aussi, recrudescence des accidents mortels de la circulation, affaissements de bâtiments, auxquels s’ajoute la violence, corolaire du banditisme, avec son lot d’agressions physiques sur les populations. Toutes ces difficultés qui attisent le front social, font le lit de complaintes, de la part des populations qui trouvent donc à redire sur toutes les initiatives posées par le gouvernement ». 

    Il est important de réduire les tensions au niveau politique, en développant les organisations des droits humains et la société civile en général. Une action spécifique d’éducation à la non violence serait la bienvenue et aurait besoin d’être développée dans le pays. On parle aussi de plus en plus de l’enseignement religieux dans les écoles. Encore faudra-t-il voir quel enseignement sera dispensé.

    Voici ce que dit Cheikh Tidiane Dieye (journal Le Populaire du 23 octobre 2012) : « On a besoin de la restauration des valeurs et de l’éthique à travers d’une part, la promotion de la compétence, de la vertu, du mérite et de l’intégrité et d’autre part, la lutte sans complaisance contre l’incivisme, l’indiscipline, la médiocrité, la corruption systématique, routinière et banalisée et la prédation et l’accaparement des deniers publics par une minorité, enfin, la refondation des institutions. »

    Ainsi, l’espoir est permis, mais il y a du travail à faire !