Armel Duteil

P. Gustave Bienvenu




Le 23 Octobre 2006, mourait le Père Gustave BIENVENU qui a travaillé en deux fois à KATACO d’une façon extraordinaire.

Voici une présentation de sa vie qui retrace, par la même occasion, l’histoire de KATACO à travers l’un de ses acteurs.

VIE DU PERE GUSTAVE BIENVENU

Gustave BIENVENU naît le 5 Mai 1930 à Saint Georges du Rouelley, dans la Manche, en Basse Normandie.

Son école primaire se passe à St Georges. Puis, ses parents l’inscrivent à l’Institut Notre-Dame d’Avranches. Il y effectue sans problème son cycle secondaire et obtient son baccalauréat. Il en gardait bon souvenir, comme de sa participation au groupe de la J.E.C.

Tant dans sa famille qu’au Collège, il est habitué à l’évocation de missionnaires issus du Diocèse de Coutances. Il est familier de contacts avec les Spiritains de l’Abbaye Blanche de Mortain.

Il décide de rentrer dans la Congrégation du Saint Esprit.

Sa formation se passera de Septembre 1949 à 1967. Sa première année se passe à Cellule, en Auvergne. Il prononce son engagement le 8 Septembre 1950. Il passe alors deux ans de formation philosophique à Mortain.

En 1953, c’est la première parenthèse de son service militaire qu’il accomplit en Algérie. Il est dirigé sur l’Ecole des E.O.R. . Il en sort sous-lieutenant de réserve.

Les Supérieurs, à bon escient, le dirigent vers Rome pour son Cycle de théologie, de 1954 à 1957. Mais c’est le 1er Juillet 1956 qu’il est ordonné prêtre.

L’année suivante, il est affecté en GUINEE (alors française).Il y arrive à l’automne 1957. L’Evêque de Conakry le nomme à la Mission de KATACO, à 250 km au nord-ouest de la capitale. Il fait un stage à BOFFA où il apprend vite et bien le Soussou, langue la plus usuelle de cette région. Plus tard, il entreprendra de parler le dialecte de l’ethnie BAGA dont KATACO est le centre. Il va y vivre une première fois 10 ans. Le secteur de la Mission est imbriqué dans le delta du Nunez ; les visites ne se font qu’à pied ou en pirogue à travers les rizières et les îles.

Le mutuel enchantement des gens et de Gustave cesse d’être vécu sur place : le 31 Mai 1967, le décret d’expulsion des missionnaires européens les oblige à quitter le pays. Sensible et ému, il écrira et chantera dans une série de poèmes sa nostalgie du Bagataïe et sa fidélité aux gens rencontrés et aimés.

Dès Octobre 1967, ce sera le Sénégal. Cela commence par deux années de professorat au séminaire de N’Gazobil. Ce qui lui donne le temps d’observer la vie pastorale du diocèse de Dakar.

Aussi, sera-t-il séduit par la tâche spéciale que Mgr THIANDOUM, l’Archevêque, lui demande : inventer et mener une pastorale appropriée pour les très nombreux migrants MANDJAQUES originaires de Guinée portugaise qui travaillent dans le grand Dakar. Il s’y attelle tout de suite. Cela va durer 16 ans.

Il s’initie d’abord à leur langue et écrira la première grammaire mandjaque. Il contacte les gens, famille par famille…., les groupes de catéchèse…., il découvre leur réputation de très bons peintres en bâtiment. Et surtout leur charisme pour leur tissage traditionnel spécifique. Il les aidera à créer une coopérative ouvrière qui lui prendra beaucoup de temps et lui donnera beaucoup de joie.

En effet, il est maintenant outillé pour mener des actions d’évangélisation et de développement économique. Il y réussit si bien que le Cardinal THIANDOUM le charge de la formation des catéchistes de l’Archidiocèse et de la direction de la CARITAS sénégalaise. Sans parler de la grande kermesse annuelle du Diocèse.

D’abord basé à la maison spiritaine principale de Dakar, à partir de 1974 Gustave vivra en plein quartier populaire de Médinah, en communauté avec des familles de catéchistes, des personnes ou des étudiants en difficulté. La cour, sise au milieu de quelques maisons hétéroclites, grouillait de monde, laborieux toujours, joyeux ou en pleurs aux événements. En ce moment même dans cette cour, en coordination avec notre propre cérémonie, les fidèles mandjaques de Dakar célèbrent leur eucharistie de deuil.

En 1984, à la mort de Sékou Touré, le nouveau pouvoir rétablit la liberté religieuse. L’Archevêque de Conakry, Mgr Robert SARA rappelle les spiritains. Pour Gustave c’est un dilemme. La Guinée portugaise est devenue GUINEE BISSAU, indépendante. Aussitôt, le Père a visité le vrai terroir d’origine des Mandjaques et l’Evêque du pays a demandé l’aide des spiritains. Gustave a mené la tractation : une mission a commencé à BAJOB depuis Novembre 1979. Elle fonctionne mais Gustave pourrait enfin en être le leader.

Par ailleurs la mission mandjaque à Dakar s’intègre aux paroisses.

Le dilemme est donc : KATACO ou BAJOB. Ce sera KATACO.

Il retrouve une mission et une population enthousiastes. Il leur donnera 15 années de plus.

Les Pères BESSON, puis ENGEL se sont joints à lui. Son réseau d’amis n’a pas reculé de cumuler l’aide envers les Mandjaques et les Bagas. Ce réseau est bien représenté aujourd’hui dans cette église. La situation politique et économique guinéenne, un moment apaisée, se dégrade de nouveau. Le Père prend de l’âge. De jeunes spiritains africains sont désignés pour prendre le relais. L’Archevêque nomme Gustave comme recteur du Pèlerinage de Boffa, titre honorifique dont il se serait bien passé pour diverses raisons. Par contre, il accepta d’être promu Chevalier de la Légion d’Honneur.

Il rentre en France en 2004 et prend place à Piré. Il va y rendre bien des services à notre communauté de spiritains retraités. Mais aussi il assura, à la demande, messes dominicales, baptêmes et mariages, animation de groupes à l’extérieur et spécialement à St Georges de Rouelley. Qui lui fit en Septembre dernier une fête mémorable pour ses 50 ans de prêtrise.

Dimanche matin une attaque cérébrale le surprend. Il meurt le lundi 23 Octobre, à 16 heures.

Une vie exceptionnelle, dont nous devons intensément rendre grâce en cette Eucharistie.


Questions posées par l'abbé Justin BOISSY, au père Bienvenu, spiritain

Père, si tu commençais par te présenter ?

Je suis né en Normandie en 1930. J’ai été un assez mauvais élève qui a donné beaucoup de fil à retordre à ses éducateurs et beaucoup d’inquiétudes à ses parents, surtout dans les dernières années de mes études secondaires.

Je suis tout de même devenu spiritain.

On m’a envoyé faire mes études de théologie à Rome et j’y ai appris à rencontrer des gens d’une autre nationalité, d’une autre culture que la mienne et à m’y intéresser (en commençant par la langue) et cela me semble très important dans la formation d’un futur missionnaire.

Je suis devenu prêtre en 1956 et je suis parti pour la Guinée française (c’est comme cela qu’on disait encore en ce temps-là), en Octobre 1957. J’y ai vécu la période exaltante de l’indépendance…. Et puis les rapports se sont gâtés et nous avons été expulsés en 1967.

C’est alors que je suis venu au Sénégal. J’ai fait deux ans au petit séminaire de N’Gasobil : j’y ai beaucoup aimé le site et mes élèves aussi, mais ce n’était pas mon « métier » et j’ai supplié Monseigneur THIANDOUM de me redonner un ministère actif. C’est comme cela qu’en 1969 j’ai été nommé aumônier des Mandjaques.

En Guinée, quelle était donc l’orientation de ton apostolat ?

Je me trouvais au « bagatai », une région qui ressemble à la Basse-Casamance, pays de rizières et de marigots. J’ai eu pas mal d’aventures qui sont restées célébres avec mon camion et mon bateau. Mais j’y ai rencontré l’amitié de tout un peuple dont j’ai partagé intimement la vie.

Nous tous qui étions en Guinée à ce moment, nous avions senti que l’essentiel était de préparer l’avenir, d’aider l’église locale à prendre sa taille adulte, c’est-à-dire à devenir responsable de sa propre existence en formant des hommes capables de prendre en main sa destinée.

Pour ma part, je me suis attaché à la formation des catéchistes de mon secteur (isolés dans des villages éloignés) par des sessions fréquentes, des visites mensuelles, des stages de plus longue durée.

Aux dernières nouvelles, dans ces villages où le prêtre ne peut passer que très rarement, ces gars-là sont les animateurs de communautés dont la vitalité n’a fait que grandir depuis notre départ.

Puis, tu es venu au Sénégal….

Oui, je suis venu au Sénégal… Alors là, il y a une épreuve difficile à comprendre pour celui qui ne l’a pas vécue. Une « kénose ». Il faut accepter de redevenir petit enfant, accepter de balbutier une nouvelle langue, de ne plus rien comprendre, de ne plus être celui qu’on connaît, qu’on aime, qu’on reçoit bras ouverts parce que c’est un vieux de la vieille et qu’on a des tas de bonnes histoires à se raconter… sans oublier la souffrance de l’arrachement avec ce qu’on avait fini par croire définitif, acquis, et le souci de ceux qu’on a laissés… Je ne dis pas cela pour faire du sentiment et il faut éviter de dramatiser. Ca fait partie du « métier » et cette éventualité doit être admise au départ. Mais il est bon peut-être de penser à ce que cela représente pour aider à comprendre telle ou telle personne, telle ou telle situation.

Et pourquoi, précisément, les Mandjaques ?

Parce que les Mandjaques posaient un problème à l’Eglise de Dakar. Par leur nombre d’abord. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié de l’ensemble des baptêmes faits dans la presqu’île sont des baptêmes d’enfants ou d’adultes mandjaques. Qu’il y a mille catéchumènes mandjaques à Dakar dans les catéchuménats d’adultes et que dans les paroisses de Pikine, Grand Ste Thérèse, St Joseph, 50 % des enfants catéchisés à l’école ou dans les catéchismes du mercredi sont des enfants mandjaques.

Problème de la langue aussi, aucun prêtre de Dakar n’étant capable de suivre l’évolution de ces catéchumènes. Et tout le monde sait que la plupart des Mandjaques qui viennent d’arriver à Dakar ont beaucoup de difficultés à parler le woloff.

Il y a aussi les problèmes particuliers à leur origine, à la conjoncture politique aussi, et puis il y a le fait qu’il n’y a actuellement aucun prêtre de cette ethnie, parlant la langue et connaissant les difficultés du milieu.

L’Abbé Alphone Dione avait fait un excellent travail, mais il venait de partir en Guinée, il y avait aussi l’abbé Jacques Lefèvre qui s’intéressait à la question, mais il était en instance de départ lui aussi. C’est ce qui a amené les prêtres et les catéchistes à demander un aumônier pour les Mandjaques et Mgr Thiandoum a pensé à moi, à ce moment….

Tu as appris la langue ?

Oui, mon premier souci a été de m’intégrer, de « m’enraciner avec »… Je suis allé en Casamance. A Soukouta où j’ai appris les premiers mots : (korom-korott), puis à Bindyaloum où je suis resté un mois. J’y suis souvent retourné, j’y retourne toujours. J’y ai vécu quelques heures inoubliables, par exemple le jour où les Portugais se sont approchés tout près du village et ont tiraillé dans les rizières avoisinantes.

J’ai écouté, observé, « baragouiné » mes premières phrases, fait mes premières traductions. J’ai participé aux liturgies traditionnelles. J’ai essayé de comprendre, de « créer des liens », …

6. Et puis tu as créé un centre…

Il m’est apparu que je ne pouvais rien faire tout seul, car c’est tout un monde qui s’avance vers nous et qu’il s’agit d’accueillir dans l’Eglise.

Mon second souci a donc été de constituer une équipe et à partir de cette équipe de base, de former des gens dans tous les domaines, des responsables. Alors, il y a eu Papis, puis Pierre Ukar, Alphonse, Jean-Pierre et d’autres. Il y a eu les étudiants que nous avons accueillis et qui se sont mis au service de l’ensemble.

Après beaucoup de difficultés, nous avons pu ouvrir un centre de formation de catéchistes (stages, cours du soir de formation générale, de formation biblique, session au centre et à l’extérieur, etc…).

Nous avons élaboré des instruments de catéchèse et de liturgie.

Nous nous déplaçons en équipe pour aller visiter les communautés mandjaques dispersées (Casamance, Gambie et même Mauritanie…).

Nous avons reçu un séminariste de Rouen, Philippe, qui est venu passer deux ans avec nous. Une spiritaine est venue aussi. Elle s’occupe de la formation des filles et des femmes.

Un aspect encore qui me semble important, c’est le lien qui s’est établi avec les aumôniers des communautés de France dont beaucoup sont venus faire un séjour à la communauté et visiter les familles des Mandjaques de France. Ils repartent avec une nouvelle vision des choses… et nous gardons le contact.

Et les tisserands ?

Avec mon équipe, nous avons pensé que pour être pris au sérieux, il fallait se battre sur tous les plans. Le principal problème pour tout le « petit monde » de Dakar, c’est le problème du travail.

Nous avons lancé un atelier de tissage. On a commencé « pour voir » avec deux métiers. On a fait des expositions, salle Biard, salle Brottier. Ca a marché. Nous avons actuellement douze métiers, absolument traditionnels et nous faisons ainsi travailler une trentaine de personnes.

Nous sommes allés faire des expositions en France et nous y retournerons, parce que notre production dépasse les possibilités d’écoulement sur place, mais aussi parce que nous sommes fiers de pouvoir présenter à l’extérieur et de faire connaître ce que j’estime un art authentique et le témoignage de toute une culture.

Tu parles de communauté. Vous vivez donc en « communauté » ?

Le principal élément de formation pour tous ceux qui sont au centre, c’est précisément cette vie en communauté, dans un esprit d’amitié, de partage, dans la volonté commune qui nous cimente les uns aux autres de travailler à la promotion du monde mandjaque.

Les plus jeunes de la communautés ne sont pas encore nés, nous les attendons incessamment (nous avons en effet deux ménages, celui de Papis et celui de Jean Pierre). La plus ancienne approche de ses 80 ans. Nous sommes entre 25 et 30 personnes, il y a des étudiants et des analphabètes, des garçons et des filles, des mariés et des célibataires, un prêtre, un séminariste et une religieuse. Notre désir est de vivre dans l’esprit de l’Evangile et des Actes des Apôtres et d’être ensemble, au milieu de nos frères, « témoins » de ce que nous proclamons. Nous avons parfois des difficultés bien sûr. Nous essayons de les résoudre dans le dialogue et la Foi. Foi en Celui qui est avec nous ; Foi aussi en la mission qu’Il nous confie et dont, je crois, nous nous sentons responsables collectivement, mais aussi chacun pour notre part.

Et si tu devais partir un jour….

Il y a deux ans, j’ai été malade un bon bout de l’année et j’ai dû passer environ cinq mois en France. La communauté, n’a jamais si bien marché… Cela a été d’ailleurs l’occasion pour les responsables de prendre leur véritable dimension.

Les modalités extérieures devront changer, évoluer, bien sûr, mais ce que nous avons vécu ensemble nous a marqués les uns et les autres pour la vie.

Quels sont tes moyens de financement ?

Au début, ça a été très dur. On s’est serré la ceinture avec les premiers membres de l’équipe. Et puis « Missio », une branche de la Caritas Allemande nous a accordé une aide pour l’ouverture d’un centre de formation de catéchistes. C’est sur cette subvention que nous vivons. Elle expire dans quelques mois. J’ose espérer qu’elle nous sera renouvelée pour quelques temps.

Il faut noter que le budget du tissage est totalement indépendant de celui de la Communauté. C’est un régime coopératif, et les tisserands sont au courant de toutes les recettes comme des dépenses globales. Ceux de nous qui travaillent à cet atelier reçoivent leur salaire, mais j’ai toujours tenu à ce que la communauté ne vive pas sur les bénéfices du tissage.

Quel est l’intérêt que les autorités, tant religieuses que civiles, tes confrères, les laïcs eux-mêmes, Mandjaques ou non, attachent à ton expérience ?

La réponse est complexe parce que les réactions sont diverses.

Il a fallu du temps pour qu’on nous prenne au sérieux. Et puis, quand on ne rentre pas tout à fait dans les structures existantes, ça surprend. Comme nous serions plus forts « en église », si nous étions capables d’avoir d’abord par principe un « regard de sympathie » pour les entreprises de nos frères !

Nous avons tout de même rencontré beaucoup d’amitié.

Notre évêque nous a toujours suivis très attentivement, en se demandant peut-être quelquefois où nous voulions aller, mais en sachant nous défendre quand cela a été nécessaire (et ça remonte le moral). Il y a eu le Père Ferrou qui nous a souvent judicieusement aidés avec le Père Terlet qui surveille nos comptes. L’évêque de Nouakchott qui passe souvent nous voir, comme ça, par amitié… Et puis il y a tous ceux qui viennent parce que ça leur plaît, parce qu’ils trouvent un accueil, un esprit, une communauté.

Il y a ceux qui viennent prier chez nous (des Européens parfois, des Mandjaques, on n’est pas racistes !!!) à l’occasion de baptêmes ou de décès, ou d’autres choses… parce que chez nous, il y a des gens qui vont s’unir à leur joie, à leur peine, à leur prière, en toute simplicité.

Peux-tu me situer ton travail par rapport à ton option sacerdotale ?

Dis donc, c’est une théologie du sacerdoce que tu me demandes… ?

Le prêtre, pour moi, c’est celui qui a reçu Mission et Pouvoir de rassembler et de vivifier (par les sacrements de la VIE), la Communauté chrétienne. J’ai essayé de rassembler autour de moi, non ! autour de LUI, cette équipe, qui se veut une équipe apostolique, une équipe tout entière au service de l’Evangile, de cet appel au grand « rassemblement », chacun avec ses dons différents et ses responsabilités particulières.

Alors veux-tu que je te dise : je suis heureux, pleinement heureux de vivre cela, et ça vaut le coup d’avoir donné sa vie pour ça.

Penses-tu faire concrètement œuvre de développement ? Autrement dit, penses-tu qu’un prêtre missionnaire et donc étranger puisse être considéré comme un agent du développement national ?

Je n’en sais rien, ou plutôt, j’aimerais, si tu veux, en parler une autre fois et longuement, pour qu’on s’explique bien.

Mais en tous cas, ce que je sais, c’est que dans le cas présent, ce n’est pas moi l’agent de développement, c’est la « communauté ». Moi, je l’anime avec mon charisme particulier, je la ressource sans cesse (j’essaye). Mais ce sont les gars (les filles aussi pour leur part) qui mènent la barque. Alors oui, je pense que nous travaillons à la Promotion d’un monde et nous essayons de le faire dans toutes les dimensions à la fois, religieuse, culturelle, sociale, etc…

Et si tu devais conclure…

Je dirais que nous n’avons pas choisi ce que nous vivons. C’est au gré des événements, des circonstances, à travers nos misères, nos fautes, notre bonne volonté aussi, que le Saint Esprit (je le crois) nous a amenés à vivre cela. L’essentiel, c’est de garder la voile tendue, prêts à marcher sur les chemins où Il nous emmènera.

A vous tous aussi frères, qui que vous soyez et quelle soit la forme de votre existence, BON VENT vous mène…


LES FRUITS DE L’ABSENCE

Le retour de deux spiritains en Guinée Conakry

C’est le 1er Juin 1967 que nous avons quitté la Guinée à la suite d’une décision du président Ahmed Sekou Touré. Nous étions alors autour de 70 prêtres étrangers en Guinée. Départ dans les larmes et le deuil. L’aéroport de Conakry était rempli de chrétiens venus dire é »adieu » à leurs pères avec des cris déchirants malgré un service d’ordre armé et menaçant. Pour ma part, j’avais quitté Kataco la veille à l’aube, mais la nouvelle avait déjà parcouru le village et je me suis sauvé pour éviter des incidents trop douloureux.

Il ne restait qu’une demi-douzaine de prêtres du pays. Une douzaine de prêtres africains, originaires d’autres territoires, sont alors arrivés et ont été autorisés à exercer le ministère ; mais très vite ils ont été assignés à résidence, la plupart ont dû rejoindre assez tôt leur pays et quelques-uns seulement ont réussi à se maintenir pendant un certain nombre d’années. Heureusement, les vocations ont fleuri, et les prêtres guinéens dépassent aujourd’hui la trentaine.

Chez nous, au Bagataï, nous étions trois prêtres spiritains (un quatrième venait même d’arriver depuis quelques mois seulement) pour couvrir cette mission de Kataco, avec sa quinzaine de gros villages perdus au milieu des marigots, dans les méandres du Rio Kapachez et du Sussudé et que l’on ne peut atteindre qu’après des heures de navigation ou de longues marches à pied. La mission restait vide. Les catéchistes veillaient sur l’église et la concession.

A 100 kilomètres du sud, la paroisse-mère de Boffa, avec le premier prêtre guinéen, déjà âgé et fatigué qui sera remplacé après sa mort par un autre prêtre du pays. Au nord, à 60 km, la paroisse de Boké et toutes ses dépendances, avec un prêtre, puis deux, pendant quelques années. C’est de cette paroisse que dépendra Kataco. Grâce au dévouement et à la générosité de ces prêtres, la mission de Kataco a reçu régulièrement des visites sacerdotales, espacées pourtant de plusieurs mois. Pour les autres villages, c’était plus difficile, surtout ces dernières années où les moyens étaient de plus en plus limités.

Comment a réagi la communauté chrétienne ?

D’abord, ils ont prié. Réflexion entendue à notre retour : « Mon père, quand vous étiez là, on ne priait pas. C’est à votre départ que nous avons compris la valeur de la prière, et nous avons prié ». Ils ont compris que le salut ne pouvait venir que du Seigneur. Ils ont vraiment crié vers Lui, et cela jusque dans les postes les plus éloignés et les plus isolés. Les psaumes que nous récitons chaque jour au bréviaire ont pour moi une toute nouvelle saveur quand je les replace dans cette histoire de notre mission. Et cela a duré pendant presque 20 ans.

Ils ont tenu. Il y a eu des défections. Mais quelle époque difficile n’a pas eu ses « lapsi ». Ce ne sont que des exceptions que l’on continue à appeler par leur nom chrétien et qui ne sont pas très fiers maintenant d’avoir flanché. Il faut dire que les pressions ont été fortes. De la part de la communauté musulmane qui pensait déjà « récupérer tout le monde », de la part du gouvernement, de l’administration, du « parti » tout puissant. Tout ce que l’on connaît dans les pays soumis à ce genre de régime. Ils ont tenu tête. Refusant l’investissement humain à l’heure de la prière, défendant pied à pied les locaux de la mission, se soutenant les uns les autres dans une charité fortifiée par l’épreuve.

Ils se sont organisés. Il faut dire que depuis 5 ou 6 années, après la nationalisation des écoles, toutes les forces vives avaient été engagées dans la formation des communautés chrétiennes, des équipes paroissiales et la préparation des responsables, en particulier des catéchistes. C’est cela qui a tenu.

A Kataco, le conseil paroissial a été plusieurs fois remis en cause et remanié, car les chrétiens voulaient pouvoir compter sur leurs cadres. Ce qui m’a surtout frappé, c’est que cette communauté chrétienne de Kataco s’est toujours sentie responsable de l’ensemble du bagataï. Des tournées ont été organisées. La fête des Rameaux a été célébrée chaque année dans un village différent, avec le concours de tous les autres villages, malgré les distances et la difficulté des déplacements, malgré aussi la méfiance des autorités politiques, et parfois leur opposition. Les équipes paroissiales de chaque village ont été mises en place et en cas de litige, on appelait Kataco à régler le différent. Les bagas ont naturellement le sens de l’organisation et de la discipline, cela leur a servi dans le maintien de leur Eglise.

Chaque secteur d’activité avait ses responsables. La liturgie et la prière, les jeunes, la catéchèse, les femmes, l’organisation et les relations avec l’extérieur, etc… Le responsable de l’ensemble est le vice-président, car la présidence a toujours été réservée au prêtre, même s’il n’était là qu’occasionnellement.

Le retour

« On ne l’aurait jamais cru ! ». La joie, l’émotion de ces retrouvailles sont absolument indicibles. Aucun président, aucun leader n’a été accueilli comme nous l’avons été à Kataco et dans chacun des villages de la mission. Cela correspond aussi au grand mouvement d’espoir et au sentiment de libération qui animent la population et dont ce retour est un signe. L’Eglise est en très bonne position. Car son attitude ferme et son « chemin de croix », comme ils disent » leur ont valu l’admiration et le respect de tous les esprits droits et sans préjugés. L’attitude, en particulier, de notre archevêque qui a véritablement risqué sa vie puisqu’il était sur la liste des prochaines condamnations.

Ce que nous avons trouvé

Une Eglise organisée, autour de ses équipes paroissiales. Je suis arrivé à Kataco le 20 décembre 1985. Pour la fête de Noël. Quatre jours après, un millier de personnes étaient là. Je n’ai eu à m’occuper que de la Messe et de ce que j’y avais à faire. Une chorale d’une centaine de jeunes assurait l’animation avec de nouvelles compositions en baga (la langue employée habituellement dans la liturgie est le sussu, langue véhiculaire sur toute la côte, mais les bagas ont leur langue propre). Le service d’ordre canalisait tout ce monde, le silence et la ferveur, la joie contenue de cette foule étaient impressionnants.

Une Eglise assoiffée d’Eucharistie. La Messe leur a manqué. Cela nous a tout de suite frappés de retrouver cette ferveur pour l’Eucharistie. Le désir de participer pleinement à cette eucharistie incite beaucoup de chrétiens à régulariser leurs situations matrimoniales et beaucoup de catéchumènes à se préparer au baptême. Toutes les fonctions du prêtre apparaissent nettement comme centrées sur cette responsabilité de l’Eucharistie : la Réconciliation, la catéchèse, le ministère de la communion des cœurs et des esprits qui préparent à la communion avec le Corps du Christ.

Une Eglise chaleureuse. Après les années d’épreuves, après le choc de l’expulsion et la honte que cela a infligé à la communauté chrétienne tout entière, il y a vis-à-vis de nous qui sommes revenus une véritable affection, j’allais dire « une tendresse », qui se manifeste dans toutes les attentions dont nous sommes les bénéficiaires. Cela n’a rien à voir avec une vénération de malauvais aloi, mais c’est une relation amicale et libérée, où l’on est capable de se dire ce qu’il y a à dire, mais où l’on sent le soutien et l’intérêt de toute une population. Les musulmans eux-mêmes ont multiplié les gestes de sympathie. Et cette sympathie se manifeste également envers ceux qjui ne sont pas revenus et on nous demande inlassablement des nouvelles.

Pourquoi a t'on souhaité notre retour ?

C’est la communauté chrétienne qui a demandé le retour des prêtres. Et cela d’abord parce qu’il y avait à réparer cette tache du départ dans la honte et la confusion. Dans une interview à des journalistes allemands envoyés par Missio et Miserere, un de nos paroissiens disait : « Moi, j’ai été élevé par les pères. Quand ils sont partis, c’était comme si on m’arrachait un membre de ma famille. Leur retour pour moi est une grande joie… ». Je saisis mieux l’importance pour le missionnaire de créer cette relation-là et d’en vivre, dans le respect, l’inculturation, la vie au coude à coude (nous y avions été tout particulièrement amenés, pendant les dernières années où tout le monde sentait notre présence menacée).

Mais surtout, ils ont ressenti le besoin du prêtre, à sa place, sans lequel une communauté chrétienne n’est pas « achevée », « accomplie ». Et je pense aussi qu’ils ont ressenti ce que peut apporter la présence du missionnaire qui donne le témoignage de la collaboration des Eglises et de l’esprit missionnaire.

Comment cela se vit-il aujourd'hui ?

Le mot qui me vient à l’esprit est celui de « joie ». Les psaumes du retour d’exil donnent une idée de cette atmosphère. Mais aussi dans le respect de ce qui a été vécu, de ce qui a été mis en place, de l’importance prise par les responsables et de leur rôle respectif. Je craignais un peu cette confrontation. Elle n’a posé aucun problème. Chacun se situe très bien. Nous ne faisons rien ni les uns ni les autres sans consultation ni réflexion mutuelle. Spontanément, pour « les tournées » qui durent plus d’une semaine, des délégués sont désignés pour accompagner le père et garder le contact entre les communautés. Nous avons été particulièrement touchés par la façon dont nous avons été pris en charge pour notre entretien. La collecte du denier du culte est assurée par les équipes paroissiales.


Père Bienvenu
Mission catholique de Kataco
Conakry, le 15 Mars 1991
BP 19 Kamsar (R. de Guinée)

Bien chers amis,

C’est le 8 Janvier 1985, cela fait maintenant 5 ans, que nous avons été installés officiellement à Kataco, le Père BESSON et moi-même, par Mgr SARAH, archevêque de Conakry, en présence de notre supérieur général et d’un grand concours de peuple. La joie était grande de se retrouver après plus de 18 ans d’absence. Philippe ENGEL et Jean-Claude ANGOUNOU, jeune spiritain camerounais, sont venus nous rejoindre ; l’un, il y a 3 ans, l’autre l’année dernière. Depuis le 3 Avril 1984, la Guinée s’était trouvée libérée d’une lourde dictature de 26 ans et s’essayait à l’ouverture et à la démocratie. Compte tenu des ressources naturelles de ce pays, on aurait pu penser que le « redressement » allait être spectaculaire. C’était sans compter avec l’inexistence de toute infrastructure et la permanence des vieilles mentalités. Nos frères des pays de l’Est font eux aussi l’expérience qu’on ne sort pas indemne de tant d’années d’un régime totalitaire et terrorisant et qu’on ne remet pas debout d’un coup de baguette magique une économie délabrée.

Le premier objectif du président, le colonel Lansanna CONTE, et de son équipe a été de faire taire les passions, d’apaiser la soif de vengeance des uns et de désir de reconquête des autres, d’exorciser la hantise des vieux comptes à régler (et Dieu sait s’il y en avait…). On ne voulait plus voir couler le sang guinéen. On ne voulait pas non plus revenir en arrière et revivre les heures terribles des années écoulées. C’est cela qui a fait l’unanimité, l’unité derrière le président et le comité de « redressement ».

Tout était à faire ou à refaire, à commencer par les routes, et ce n’est pas rien d’enjamber les montagnes du Fouta Djalon jusqu’à la frontière sénégalaise, de relier N’Zerekore à Conakry sur plus d’un millier de kilomètres vers l’est et le sud est, de venir jusqu’à Boké (en passant tout près de Kataco) en se faufilant pendant 300 km entre la mer et la montagne. Tout ce travail est en cours. Le centre et la capitale a repris l’allure d’un centre ville, même s’il reste beaucoup à faire dans les vastes banlieues aux routes défoncées. Les façades lépreuses ont été ravalées, repeintes, de nouveaux bâtiments s’élèvent, les marchés sont approvisionnés. Conakry est maintenant relié par téléphone au reste du monde, mais les régions n’obtiennent encore que très difficilement la communication avec la capitale. La scolarisation n’est que de 28 % et le niveau scolaire très bas malgré tous les efforts de recyclage du monde enseignant. Le franc guinéen, après la folle aventure du Syli, la monnaie révolutionnaire, avait été aligné sur le franc CFA (1 FF = 50 FCFA) en 1985, mais il a fortement chuté (actuellement 1 FF = 136 F guinéens). Du moins cette monnaie est elle convertible et les banques en Guinée fonctionnent normalement. Peu à peu on dégraisse la fonction publique (dire qu’elle était pléthorique est un euphémisme) et des entreprises privées apparaissent de plus en plus.

La vie s’organise. Une LOI FONDAMENTALE (constitution) a été élaborée et approuvée par l’ensemble de la population (referendum) après avoir été étudiée et expliquée jusqu’aux villages les plus reculés. Les « communes » se mettent en place et l’élection des maires de Conakry s’est faite dans le calme et la dignité, mais aussi a provoqué une réflexion et un débat sur les améliorations et les réformes à prévoir. Le comité militaire de redressement national (CMRN) est devenu le « Comité transitoire de redressement national » (CTRN) avec une majorité de civils à côté des militaires ; une assemblée nationale sera prochainement élue et, dans 4 ans, après l’émergence de partis politiques, doivent être organisées les élections pour la présidence de la république. (Tout porte à penser que cette échéance sera respectée).

D’autres auraient voulu aller plus vite : mettre en place tout de suite un gouvernement civil avec le retour d’intellectuels guinéen s émigrés depuis longtemps. La population se méfie de ceux qui n’ont pas vécu ce qu’elle a vécu. Elle sait le prix de ce qu’elle a acquis et paraît dans son ensemble accepter les délais. On ne peut être que très respectueux devant la prudence et l’évolution en cours quand on considère tous les handicaps qu’il a fallu surmonter et les défis auxquels il fallait faire face.

Quelle est la place de l’Eglise dans tout cela ?

Elle aussi a été secouée, divisée, traumatisée. Mais dans la tourmente elle est restée debout. Les communautés de base ont tenu le coup. A part quelques défections et apostasies, les chrétiens dans leur ensemble ont résisté vaillamment à toutes les pressions et se sont organisés. L’Eglise ne représente que 2 ou 3 % de la population qui est en grande majorité musulmane. Mais sa voix est écoutée. On regarde vers elle avec beaucoup de sympathie. On attend d’elle d’abord qu’elle redonne le « nord », qu’elle soit une référence. Tout n’a pas été clair et tout n’est pas clair encore dans l’Eglise de Guinée, mais au milieu de la déroute morale elle apparaît comme une lueur d’espoir, comme un phare.

Trois cents jeunes se retrouvent chaque année pour une session biblique et une réflexion religieuse pendant trois semaines. Le pèlerinage de Boffa rassemble plusieurs milliers de chrétiens venus de tous les coins du pays auxquels n’hésitent pas à se joindre un nombre de plus en plus important de musulmans. Privée de tout ses moyens d’action, l’Eglise avait dû se réfugier dans le culte, elle en reste marquée. Mais avec la liberté retrouvée elle prend sa part –une part appréciée- dans le « redressement » de la nation.

Le collège de Dixinn (l’ancien petit séminaire de prestigieuse mémoire) a repris ses cours depuis 3 ans avec des frères du Sacré-Cœur. Les résultats sont remarquables. Tout le monde attend que la « mission », comme on dit, reprenne ses écoles. Mais le problème est d’obtenir de l’Etat la promesse ferme de subventions qui seront réellement versées. Plusieurs dispensaires, jadis nationalisés, ont été repris en charge par l’Eglise et l’affluence des malades de toutes sortes vers ces dispensaires indique clairement la confiance mise en ceux qui en sont responsables.

Nous nous posions la question à la dernière réunion des évêques à laquelle nous étions quelques-uns à être invités : « Saurons-nous saisir cette chance, profiter de ce temps favorable, répondre à l’attente de tout un peuple ? ».

A Kataco, aussi, nous faisons le bilan.

Les bâtiments de la paroisse ont été remis en état. Nous avons un groupe électrogène et l’eau courante (quand la pompe ne tombe pas en panne). Nous pouvons accueillir des visiteurs (venez nous voir !). Nous sommes quatre prêtres maintenant. Quatre religieuses aussi de St Joseph de Cluny, deux guinéennes, une française, et une luxembourgeoise. Elles ont la charge du dispensaire qui reçoit une centaine de consultations par jour, sans compter les urgences et les accouchements, les vaccinations dans les villages et l’éducation à la prévention. Elles ont ouvert aussi un Centre de promotion féminine avec 70 à 80 jeunes filles (couture, alphabétisation, hygiène, etc…). L’une des sœurs guinéennes (baga, qui plus est, c’est-à-dire de chez nous) accompagne le Père dans ses tournées et rencontre les femmes. Dès notre arrivée, avec le Père BESSON, malgré la précarité de nos moyens à ce moment-là, nous avons tenu à visiter tout de suite toute l’étendue de notre territoire, de Boffa à Kataco, sur plus d’une centaine de kilomètres et pour tout un secteur à travers des îles perdues au milieu des marigots. J’ai fait ma première tournée à pied et en pirogue, comme au bon vieux temps, mais j’ai maintenant un petit bateau en polyester avec un moteur Yamaha de 8 CV. Partout les catéchismes se sont remis en route méthodiquement à partir d’un texte élaboré sur place avec les catéchistes, au fur et à mesure des besoins. (Nous pensons à le publier, ça pourrait servir à d’autres). Les liturgies du dimanche en soussou ont été rétablies à partir de textes traduits semaine par semaine pour redonner sa place à la Parole de Dieu dans les assemblées dominicales et la mettre à la portée de tous. (Nous avons maintenant les lectionnaires complets pour les trois années liturgiques). Nous faisons un e centaine de baptêmes et une quinzaine de mariages par an, pour 3.000 chrétiens ou catéchumènes. Nous organisons deux sessions d’une semaine chaque année pour nos catéchistes et nous réunissons aussi deux fois par an les conseils paroissiaux de tous nos villages.

Voilà pour le domaine proprement religieux.

Dans le domaine social, nous avons lancé une coopérative de menuiserie avec deux maîtres menuisiers auxquels nous avons fourni des outils et cinq ou six apprentis. Ils font de très jolis meubles. Le Père Philippe ENGEL, en plus des chantiers dont il a la charge en dehors de la paroisse –c’est sa spécialité- a construit une « unité villageoise agro-alimentaire » comprenant une décortiqueuse (pour soulager les femmes dans le dur travail de piler le riz), une presse à huile (huile de palme), un concasseur de noix de palmistes. C’est un progrès pour le village et un petit rapport pour la paroisse. En ce moment, Philippe est attelé à la construction de lieux de culte dans nos villages. Deux nouvelles églises sont en route dont les charpentes métalliques ont été réalisées à la mission (atelier de soudure). D’autres villages commencent à faire leurs briques et organisent les cotisations. Ca bouge partout. Nous rêvons aussi de ponts, de puits, de jardins,… ce sera pour les années à venir.

La semaine dernière, le Père Jean-Claude avait rassemblé plus de 500 jeunes dans le village de Bigori, lancement de la JAC. On espère mettre les jeunes en route et peut-être réaliser avec eux pas mal de choses. Ils ont réfléchi et prié ensemble pendant 3 jours. La jeunesse attend quelque chose. Il faut répondre. Tant d’appels, tant de sollicitations. Je pense à Jésus devant la foule, désarmé. Les séminaristes aussi nous interpellent (ils sont 6 au grand séminaire) par leurs correspondances, leur amitié. Ils veulent passer avec nous tout le mois d’août. Eux non plus il ne faut pas les décevoir…

Il y a aussi les pépins… Je suis à Conakry pour récupérer ma voiture dont le moteur a lâché. Elle ne sera pas prête pour dimanche prochain et c’est les Rameaux (grand rassemblement de tout le bagataï dans un de nos villages). Il faut me débrouiller pour remonter à Kataco puis revenir la chercher. Encore un parcours du combattant à prévoir sur la tôle ondulée et le bout de route en construction avec ses interminables déviations. Ca fait partie des charmes du métier……

Une grande affaire pour nous c’est la reprise éventuelle de notre école. L’an dernier, j’avais ouvert une classe : 60 inscriptions en deux jours. Une autre cette année. Avec des maîtres récupérés sur place et suivis de près, ça donne de très bons résultats. Tout le monde voudrait que nous reprenions notre ancienne école de six classes (300 élèves), nationalisée depuis 1961. C’est une affaire à suivre, je vous en reparlerai. En attendant, nous acceptons les fournitures (bics, cahiers, règles, etc..) que vous pourriez nous envoyer.

J’ai déjà été trop long, c’était une bonne occasion pour moi de regarder un peu le chemin parcouru et l’état de la question, et de partager tout cela avec vous, de le confier à votre amitié et, pour ceux qui y croient, à votre prière. Voici venir la fête de Pâques.

Vive en vous la Joie pascale. Il est ressuscité. C’est vrai, sans cela je ne serais pas là….
Je vous embrasse.
Signé : TATAVE


Entrevue à Kataco

Vingt quatre heures avec le Père Gustave BIENVENU dans son village de KATACO, c’est vingt quatre heures de fête : rire des enfants, visite chez l’imam, palabre avec les catéchistes sous la véranda, visite de Malik Key, vieux sage musulman qui est venu lui offrir deux poulets,, tour en barque dans la mangrove. Autant de moments de bonheur ! Vraiment « Tatave » est le frère, le père, le grand-père de tous ici, un missionnaire heureux.

Tatave, quel est le secret de ta connivence avec les villageois ?

Je vais te donner un exemple. Il y a quelques années, l’administration a commencé la construction d’une digue à travers les rizières pour relier le village à la ville de Kamsar. Sans explication, les travaux ont été stoppés à 600 mètres du but. Que faire ? On s’y est tous mis pendant des semaines. Je charriais les pierres avec ma Toyota. On est arrivé au but. Cela épargne à tous une vingtaine de kilomètres de détour. Cela soude des relations d’amitié avec les gens. Il y a là tout le secret de l’esprit missionnaire : vraiment partager la vie des cultivateurs Baga, aller vers les gens où qu’ils soient,, à 3 heures de barque à travers la mangrove ou à 10 heures à pied dans le poto-poto

Qui es-tu pour les gens ?

Dans un village, des frères, des chrétiens pourtant, ne se parlaient plus depuis longtemps. Au conseil paroissial, on a réfléchi et tous ont été convoqués ici. Le palabre a duré de 9 h à 14 h. J’ai expliqué que le chrétien peut réparer les offenses. Finalement, ils se sont jetés dans les bras l’un de l’autre. Ce matin même, on a réglé un palabre à l’intérieur du groupe de catéchistes. L’un d’entre eux avait été exclu parce qu’il n’avait pas participé aux sessions de formation. Je suis considéré comme un vieux sage.

Tu as l’air parfaitement chez toi ici ?

Je connais cette région comme ma poche. Il y avait ici d’anciens missionnaires prestigieux, tel de P. Marius BALEZ, solide lozérien qui connaissait parfaitement la langue, le Soussou. Je l’ai aussi apprise et je voulais être plus proche des gens. Je me suis aperçu que le plus pauvre était accueilli dans les villages. Alors, je suis parti avec Dieu, les mains dans les poches. Les gens n’en revenaient pas, mais ils m’ont adopté comme un pauvre, comme l’un des leurs.

Expulsé en 1967, tu es revenu en 1987 ?

Oui. L’accueil fut extraordinaire, par les catholiques et par les musulmans. Maintenant, mon bonheur est dans les longues courses en barque sur la mangrove, dans les villages, à partager la vie des communautés chrétiennes.

Après les vingt années d’éclipse sous le règne de Sékou Touré, il faut redonner confiance aux communautés, les renforcer, former les catéchistes, faire des livres de catéchèse en Soussou. Le travail missionnaire n’est pas achevé. Il reste à faire pour celui qui accepte d’être missionnaire aux pieds nus.


HOMELIE LE JOUR DE SON ENTERREMENT

Frères et sœurs,

Lorsque j’ai appris le décès de Tatave et qu’il me serait demandé de préparer cette messe des funérailles, je n’ai pas cherché de textes particuliers. J’ai pris tout simplement ceux que l’Eglise nous proposait le jour de son décès, lundi dernier. Ce sont des textes que nous avons médités en pensant à lui, le soir, au cours de la messe. Ces lectures conviennent parfaitement pour notre méditation d’aujourd’hui. Nous pouvons dire, en effet, que Tatave avait bien compris ce que le Christ voulait souligner par cette parabole que nous venons d’entendre : « Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui, au lieu d’être riche en vue de Dieu ».

Nous sommes réunis dans le souvenir de ce que nous avons partagé avec notre frère Gustave. Nous sommes réunis pour offrir sa vie, son ministère, ce qu’il a fait, ce qu’il a été pour nous. Et il m’a semblé que cette parabole convenait bien pour nous rappeler les choix fondamentaux de Tatave. Notre frère a choisi de suivre le Christ. Très jeune encore, il a fait le choix de devenir prêtre, puis d’être missionnaire en Afrique. Il a choisi de donner tout ce qu’il avait, tout ce qu’il pouvait faire. Il n’a pas construit de greniers pour lui. Il n’a pas amassé d’argent pour lui-même. Avec les dons qui étaient les siens, il aurait certainement pu en gagner pour lui-même. C’est vrai qu’il a souvent cherché de l’argent mais nous savons que c’était pour les autres ! Il a donné ses forces, ses talents, sa générosité. Au lieu d’amasser pour lui-même, Gustave a cultivé l’amitié. Et sa moisson, ce sont ses amis, c’est-à-dire, nous tous qui l’entourons ce soir.

Le Père René des Déserts nous a rappelé les grandes étapes de la vie et du ministère du Père BIENVENU. Il y aurait beaucoup à raconter sur chacune des étapes de cette vie. Mais en même temps, il serait difficile de raconter car il faudrait aussi se représenter les situations. C’est trop peu de les dire ! Il faut pouvoir les imaginer ! Avec Tatave, en effet, à tout moment, la profondeur côtoyait le cocasse ! Alors, ce soir, je vous invite, chacun personnellement, à vous souvenir de ce que vous avez vécu et partagé de meilleur avec lui.

Pour ma part, je retiendrai deux moments, deux dates.

Tout d’abord, 1956. C’est l’année de son ordination sacerdotale, à Rome. Et vous avez eu la joie de pouvoir célébrer avec lui son jubilé au mois de juin et ensuite au mois d’août à Saint Georges. Je regrette d’autant plus, ce soir, de n’avoir pas pu être avec vous en ces deux moments-là.

A l’époque de son ordination, j’avais douze ans. Et jusque-là, je le connaissais relativement peu. Mais je me souviens très bien de ce que son ordination a représenté pour nous. C’est à partir de là qu’il est devenu pour moi une sorte de grand frère. En effet, pour nous, Tatave, quand il venait en vacances à St Georges de Rouelley, c’était vraiment un rayon de soleil ! Pour comprendre cela, il faut se souvenir de ce qu’était notre village, il y a 50 ans. C’était un village qui était déjà, comme aujourd’hui, attachant, fraternel. Mais il est juste aussi de dire qu’à cette époque-là nous étions un peu au bout du monde ! Nous autres, là-bas, aux pieds de la Fosse Arthour, nous n’avions pas beaucoup d’informations sur ce qui se passait ailleurs. Alors quand notre ami Tatave revenait au pays, il représentait pour nous une ouverture extraordinaire. Une ouverture à la grande tradition de l’Eglise, car il était séminariste à Rome. Et Tatave était très sensible à cette grande tradition qu’il avait découverte au cœur de l’Eglise universelle. Il savait très bien en parler. Et puis surtout, une ouverture à l’Afrique ! Nous sommes beaucoup, ici, à nous souvenir de la manière dont il en parlait dans ses homélies, et plus tard dans ses lettres circulaires.

En même temps, et ceci n’est pas contradictoire avec l’ouverture dont je viens de parler, Tatave était complètement enraciné dans la vie de St Georges. Il était très attaché à ses parents, à son frère, aux commis –comme on disait à l’époque-. Nous sommes beaucoup à nous souvenir de Tatave, pendant les vacances, lorsqu’il conduisait le camion avec sa soutane de missionnaire et son grand chapelet. Il n’a jamais renié ses racines et il parlait volontiers de ces expéditions pour conduire les cochons à la foire. Notre ami n’aurait pas refusé que j’ajoute ici qu’il n’était pas simplement attaché à son pays d’origine. Il cultivait aussi son attachement aux produits du terroir ! Je suis sûr qu’il me pardonnerait volontiers d’y faire rapidement allusion, en toute amitié. A certains jours, nous aurions préféré que son attachement à ces produits fût un peu plus modéré. Mais bon ! Nous le lui pardonnons volontiers. Ou, plutôt, Tatave savait se le faire pardonner, à la fois par sa gentillesse, par sa générosité, mais surtout, en même temps, par la profondeur de ses engagements.

La seconde date que je retiens, c’est 1967, lorsqu’il a été expulsé de Guinée, avec certains d’entre vous qui êtes ici ce soir. Je me souviens très bien aussi de cette époque. A ce moment-là, je travaillais à Paris et j’étais allé le rencontrer. Tatave avait vibré aux espérances de son peuple et il s’était réjoui de la perspective de l’indépendance. Mais, très vite, il s’était heurté à la dictature de Sékou Touré. Et cette expulsion était restée pour lui comme une blessure, comme une brisure. Il avait le sentiment d’avoir été trahi dans ses amitiés et dans ses espérances. Mais il a refusé de céder à la tristesse. Il a su trouver l’énergie pour réagir. Il ne s’est pas enfermé dans la nostalgie, alors même qu’il était capable de la chanter magnifiquement.

Sans jamais oublier la Guinée, et je pense ici au soutien qu’il a toujours apporté à son ancien évêque de Conakry, Mgr TCHIDIMBO, il a su se tourner vers l’avenir, s’investir dans de nouveaux projets, avec la volonté tenace de demeurer fidèle à l’Afrique. Très vite, il est reparti au Sénégal. D’abord comme enseignant au Petit Séminaire de N’Gazobil. Mais il avait le sentiment d’y être un peu en prison et c’est pourquoi, peu de temps après son arrivée, il s’est fait nomade avec les nomades, en devenant aumônier des Mandjaques. Je crois qu’il faut vraiment souligner cette admirable capacité qu’il a eue de ne pas rester accablé, ni entamé, par cette sorte d’échec que représentait son expulsion de Guinée.

On pourrait donc dire du Père BIENVENU, et de tous ses amis qui ont été expulsés à cette époque-là, ce que disait Mgr CLAVERIE, l’évêque assassiné à Oran : un apôtre doit savoir vivre sur les lignes de fracture de l’humanité. En s’installant dans une petite communauté, au service d’un peuple de migrants, le Père BIENVENU a eu cette conscience très claire de s’être établi précisément sur ces lignes de fracture qui divisent notre monde.

A 40 ans, le Père BIENVENU s’est donc lancé avec passion dans cette grande aventure du Peuple Mandjaque. Il a appris une nouvelle langue. Et il a commencé aussi la grande épopée des expositions, avec Thérèse et beaucoup d’autres amis, ici en France. Beaucoup parmi vous s’en souviennent… C’est vrai que ceux qui n’ont pas vu Tatave au milieu d’un supermarché, en train de vendre des tissus mandjaques, ont vraiment raté quelque chose !

Avec ses projets de coopérative de production, le Père Bienvenu s’inscrivait dans la grande tradition missionnaire. Les projets de développement font partie du travail de l’Evangélisation. La trilogie : la mission, l’école et le dispensaire, a toujours été au centre de ses préoccupations. Il n’ignorait pas les débats qui pouvaient exister en France autour de la décolonisation et de l’inculturation. Et j’en ai souvent parlé avec lui. Mais c’est lui, justement, qui m’a fait découvrir cette vérité profonde de la mission. En effet, si l’on peut dire parfois que les Marchands, les Militaires et les Missionnaires sont arrivés ensemble, il faut aussi savoir reconnaître que lorsque les Militaires sont partis, que les Marchands sont allés ailleurs, les Missionnaires sont restés. C’est donc bien le signe qu’ils n’étaient pas venus pour les mêmes raisons !

C’est dans cette fidélité profonde à l’Evangile que Gustave a trouvé la force de retourner en 1985 en Guinée, avec le Père BESSON. Là-bas, ils étaient attendus et espérés. A l’âge où la plupart des hommes pensent à prendre leur retraite, ils sont revenus pour rebâtir, dans un pays ruiné par la dictature. Après dix-huit ans d’absence, ils ont été accueillis par des comités de chrétiens qui avaient tenu pendant toutes ces années. La case des missionnaires avait été entretenue, et les communautés chrétiennes avaient continué de se rassembler. C’est pour ces communautés, autour de Kataco, que Tatave a su trouver des gestes de confiance et d’espérance pour rebâtir une mission, une école et un dispensaire.

Nous sommes plusieurs à avoir eu le privilège d’aller lui rendre visite au Bagatai. Là-bas était sa vie, sa passion. J’espère qu’un jour de jeunes africains, peut-être parmi ses anciens élèves, entreprendront de rendre justice à tout ce qu’il a fait, à ses adaptations liturgiques et à son travail de traduction pour que l’Evangile soit annoncé dans la langue de leur peuple. J’espère aussi qu’un jour nous regrouperons ses poèmes et ses chansons. Tout cela fait partie du patrimoine des peuples que notre frère a voulu servir. Je souhaite vraiment, encore une fois, que se lèvent, là-bas, des étudiants pour rassembler et sauvegarder toute cette richesse.

Je pourrais parler encore longtemps pour évoquer l’engagement, la générosité et la spontanéité de notre frère. Mais je m’en tiendrai là. De nouveau, je vous invite à retrouver vous-mêmes ce que vous avez partagé avec lui.

En conclusion, je voudrais seulement souligner la manière dont Tatave a su ne pas garder cette richesse intérieure pour lui. Comme l’écrivait l’Apôtre Paul aux Ephésiens, dans la lecture que nous avons méditée lundi dernier : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos actes, il n’y a pas à en tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés en Jésus-Christ, pour que nos actes soient vraiment bons, conformes à la voie que Dieu a tracée pour nous et que nous devons suivre ». Tatave n’a pas tiré orgueil des talents qui lui avaient été confiés. Il savait qu’il les tenait d’un Autre que lui-même. Et c’était cela son jardin secret : son enracinement dans une vie spirituelle profonde. Je l’ai déjà dit, sous des apparences parfois fantaisistes, il avait la conscience vive que tout ceci ne venait pas de lui. Il savait qu’il l’avait reçu. Et je crois pouvoir dire que c’était là comme un legs de sa mère. Initié très tôt à la vie spirituelle, Tatave s’est tenu dans une fidélité profonde à la prière et à l’Eglise. Même lorsque cette fidélité a pu lui sembler difficile, à certains jours. Lui qui était fondamentalement nomade, il a pu se sentir parfois à l’étroit dans un cadre institutionnel. Mais il allait puiser sa liberté à une nappe plus profonde. C’est lui qui va nous en parler maintenant.

En effet, je voudrais vous inviter à écouter un poème qu’il avait dédié à sa mère et qui nous dira ce qui a fait l’essentiel de sa vie et de son ministère. En écoutant ce poème magnifique, nous rendrons grâce à notre Dieu et nous prierons les uns pour les autres : puissions-nous rester, nous aussi, comme notre frère, fidèles à l’Eglise et à l’Evangile.

Hippolyte Simon,
Archevêque de Clermont.

Lecture du poème : « Te souviens-tu, Maman…. »
A la fin, chant : « Larguez les amarres, va-t-en mon bateau… »