Nous avons plusieurs communautés en Mauritanie. L’une d’entre elles se trouve tout à fait au nord, à Nouadhibou. Elle travaille essentiellement auprès des migrants qui s’y trouvent coincés soit parce qu’ils ont été arrêtés dans leur marche vers l’Europe, soit qu’ils ont été refoulés. Les uns comme les autres se retrouvent dans des situations dramatiques. Les confrères m’ont demandé, en tant que secrétaire de notre commission « Justice, Paix et Respect de la Création » de venir les visiter pour évaluer avec eux leurs actions. Aussi ce matin, je me suis levé à 5 heures et après avoir envoyé mes commentaires de l’Evangile du jour sur internet, je pars à la gare routière. Je vais voyager jusqu’à la frontière de Mauritanie dans un car qui fait la liaison chaque jour. J’ai pris mon billet à l’avance pour être sûr d’avoir une place.
On traverse la frontière sur un bac après avoir payé un visa et rempli les formalités. Mais il y a une pose à midi. Au lieu de rester attendre sur place, j’en profite pour faire un saut à Richard Toll, une paroisse voisine tenue par des confrères. D’autant plus que le car nous laisse à 4 kilomètres de la frontière, les confrères, eux, m’amèneront jusqu’au lieu de passage.
A Richard Toll, je retrouve une ville que je connais bien. J’y suis venu régulièrement pendant 16 ans quand j’étais à Saint Louis, spécialement pour la formation des jeunes et l’accompagnement des couples, spécialement pour la régulation des naissances. A la paroisse, je retrouve notre responsable à la formation (sénégalais) et un jeune confrère philippin que j’avais accueilli il y a quelques années comme séminariste. Et aussi un séminariste tanzanien qui fait sa deuxième année de stage pastoral. Je trouve aussi un ami informaticien avec qui j’avais beaucoup travaillé à Pikine dans la banlieue de Dakar. Nous avons donc beaucoup de choses à partager…. mais d’abord le repas. Il est 14 heures passées et ils m’ont attendu pour manger ensemble. A la fin du repas, un demi-verre de vin, le dernier avant 10 jours, car en Mauritanie république islamique, l’alcool est absolument interdit.
A la frontière, à Rosso, un jeune est venu m’attendre pour me faciliter les opérations car le passage est toujours très compliqué. Au poste sénégalais, il n’y a pas de problèmes : je suis chez moi. Mais des deux côtés, les contrôles sont très stricts à cause du danger du terrorisme : empreintes digitales des deux pouces et des autres doigts, contrôle informatique du passeport, photo, etc…Du côté mauritanien, avec les militaires et les policiers je parle ouolof, ce qui facilite les choses. Le chapeau que je porte me signale comme un « chef religieux » sans que je n’aie besoin de parler. On me demande seulement de quelle confrérie musulmane je fais partie. Je réponds : « de l’Eglise catholique » et j’explique mes activités. Je suis immédiatement bien accueilli car, à cause des nombreuses activités sociales de l’Eglise (éducation, santé, développement…), l’Eglise a une très bonne réputation. Les formalités sont les mêmes des deux côtés, mais les conditions sont complètement différentes : bureau plein de poussière, papiers qui traînent, caméra réparée avec du scotch, ordinateur qui ne marche pas. Le responsable ne parle pas, ou ne veut pas parler ouolof, et je ne parle pas hassanien, l’arabe local. Il ne me parle pas en français mais seulement par gestes. Et il contrôle longuement et méthodiquement les visas de mon passeport, et ils sont nombreux, avant de m’accorder celui de Mauritanie, moyennant 55 euros ! Il me faut ensuite louer une pirogue pour traverser le fleuve Sénégal, car le bac ne fonctionne pas. Laisser encore 5 000 francs CFA pour « remercier » les douaniers et policiers. Et ensuite, récompenser celui qui m’a fait traverser. Tout cela prend plusieurs heures.
Tout de suite je sens que j’ai changé de pays. Les hommes sont en grands boubous bleus ou blancs avec un foulard autour du cou ou sur la bouche à cause des vents de sable. Les femmes portent toutes le foulard, seuls les enfants sont habillés à l’européenne, au moins les élèves. Les gens ne se tiennent pas debout, mais accroupis, une autre habitude du désert, également à cause des vents de sable. Dans les maisons, il est souvent difficile de trouver une chaise ou une table. Dans la ville, partout, c’est du sable avec quelques arbustes épineux, verts en ce moment car la saison des pluies (très rares) vient de se terminer.
Le confrère en poste à Rosso est venu me chercher. A la paroisse, après un verre d’eau fraîche, nous allons visiter la bibliothèque. C’est l’une des activités principales de la paroisse, car elle permet d’accueillir et d’aider des élèves musulmans dans leurs études. Il y a aussi une salle informatique avec 11 ordinateurs qui permettent deux formations de quatre mois par an. Puis je vais saluer les trois religieuses : deux sénégalaises et une centrafricaine. Elles tiennent un jardin d’enfants et un centre de lutte contre la malnutrition des bébés. Puis je rencontre un de nos étudiants de Guinée Bissao, lui aussi en stage pratique d’une année. Avec des jeunes, il prépare du compost pour un jardin qu’ils vont commencer, de même qu’un petit élevage de poulets. Après cela, je vais me reposer un peu avant la messe, car je suis parti tôt ce matin.
Après la messe, nous prenons le temps de parler ensemble. Ici, les chrétiens viennent d’ailleurs : Burkina Faso, Centrafrique, Congo et aussi Guinée. Ils sont très heureux car je les salue la plupart dans leur langue et nous nous donnons des nouvelles de leurs différents pays, où les tensions sont nombreuses. Après avoir parlé du Congo, nous parlons de la Guinée, le président est accusé de vouloir changer la Constitution pour avoir un 3ème mandat et rester au pouvoir. Cela a entraîné des manifestations, réprimées à balles réelles par la police, ce qui a czusé plus de 10 morts, certains tués pendant qu’ils allaient à l’enterrement des premiers. Nous nous rappelons aussi les attaques rebelles que nous avons subies en 2001. L’un d’entre eux nous apprend que sa sœur venant de Guinée et en route vers le Maroc est bloquée à la frontière complétement désemparée car c’est la nuit et les bureaux sont fermés. Il arrive à la faire passer en pirogue (on parle de faire un pont sur le fleuve depuis de nombreuses années mais on attend toujours). Il faudra qu’ils retournent demain pour avoir un visa. Pas facile ! Nous l’accueillons avec joie et elle est toute heureuse et rassurée.
Nous nous retrouvons avec les sœurs pour manger ensemble et nous continuons notre partage jusque tard dans la nuit. Nous n’oublions pas que c’est le 11 novembre et la saint Martin. Nous faisons une nouvelle prière pour la paix, et prions pour notre évêque qui s’appelle Martin. En ce moment, il est à Dakar pour la réunion ordinaire des évêques de la région.
Mardi 12-11 : La route est longue jusqu’à Nouakchott. Nous nous levons à 5 heures. Mon confrère a la gentillesse de m’y conduire, il en profitera pour faire des courses et ramener du matériel et des livres pour la fête de la bibliothèque samedi prochain. Ils espèrent ainsi avoir de nouveaux abonnés. Des membres de la bibliothèque ont composé une annonce musicale et du rap qu’ils envoient sur WhatsApp pour faire connaître l’évènement ! La technique des media est arrivée jusqu’ici !
La première partie de la route est défoncée et nous avançons doucement. La deuxième partie est meilleure ! Nous sommes arrêtés très souvent à de nombreux postes de contrôle pour des raisons de sécurité. Mon confrère a photocopié de nombreux ordres de mission. Nous en présentons un bien rempli à chaque barrage pour ne pas être obligé de descendre et de perdre beaucoup de temps pour faire écrire les différents renseignements demandés. A l’approche de Nouakchott, nous rencontrons toute une série de grandes éoliennes et des poteaux électriques alimentés par des panneaux solaires. Il y a du vent et du soleil, il faut en profiter. Nous croisons le premier troupeau de dromadaires. Le désert est là.
A la Cathédrale de Nouakchott, nous sommes très bien accueillis par le curé, un prêtre sénégalais. En effet, il n’y a pas de prêtre mauritanien et les baptêmes des mauritaniens sont interdits. Nous trouvons deux volontaires venus des Iles Canaries pour travailler dans le domaine de la santé, et une sœur indienne qui est là pour apprendre le français, avant de rejoindre sa communauté à l’est du pays. J’accompagne mon confrère pour les courses les plus urgentes puis nous allons récupérer mon billet qu’ils ont pris le soin de commander à l’avance par la frontière nord du pays. Ensuite, après beaucoup de difficultés, j’arrive à ouvrir ma boite mail pour envoyer un certain nombre de messages.
A 16 heures, c’est le départ pour Nouadhibou dans un bus où nous sommes bien serrés. Les femmes sont assises d’un côté, les hommes de l’autre. Au 1er arrêt, un passager m’offre très gentiment une bouteille d’eau qui me fait du bien. Au second arrêt, contrôle. Je présente mon passeport avec mon visa tout neuf. Mais un policier veut me faire descendre pour aller me faire inscrire au poste. J’ai prévu la chose et je lui remets un papier que j’ai imprimé la veille avec tous les renseignements. Le policier insiste mais tous les autres passagers protestent, car j’ai expliqué que je travaille à l’Eglise Catholique. Du coup, nous pouvons repartir. Les passagers s’excusent même en disant : « c’est comme ça avec les policiers, on n’y peut rien ». A un arrêt suivant, on fait le plein des 16 passagers mais l’un s’est absenté sans rien dire. On l’attend pendant plus d’une demi-heure avant qu’il ne revienne. Enfin, nous arrivons à Nouadhibou à 22 h 45. Je téléphone à mon confrère pour qu’il vienne me chercher. Au bout d’une demi-heure, il n’est toujours pas là. J’ai très froid car il souffle un vent très frais et je n’ai pas amené de veste ni de pull over. Avec le froid il n’arrivait pas démarrer la voiture. Ca me change de la chaleur de Dakar, et pendant tout mon séjour, je vais trainer de la fièvre et une espèce de grippe. Mais je suis heureux de cette visite et de partager cette nouvelle expérience. De plus, ce voyage est une sorte de pèlerinage. En effet quand j’étais enfant à Dakar, mon père, électricien dans la marine, était venu plusieurs fois pour son travail en hydravion à Port Etienne, l’ancien nom de Nouadhibou. Et il nous avait parlé souvent de ses missions.
L’équipe de la paroisse comprend trois confrères : Le curé, un congolais chargé plus spécialement des migrants, un père blanc français chargé plus spécialement de la formation et de la bibliothèque et un frère spiritain de la RDC chargé de la comptabilité. Et trois religieuses indiennes : l’une travaillant à l’hôpital régional le matin au service des enfants et l’après-midi accueillant les malades, migrants comme mauritaniens, procurant des médicaments aux plus nécessiteux. La deuxième donne des cours de couture et de formation générale aux jeunes filles et aux femmes. Elle est aussi visiteuse de la prison. La troisième est responsable d’un jardin d’enfants de 4 classes où les enfants, mauritaniens et migrants, garçons et filles, apprennent à vivre ensemble, ce qui est important pour leur formation et l’avenir du pays.
La Mauritanie est une République Islamique. Les conversions et baptêmes des mauritaniens sont donc absolument interdits. Les activités religieuses de l’Eglise ne sont autorisées que sur le terrain de la paroisse et pas en ville. Et uniquement auprès des chrétiens. Mais l’Eglise est reconnue et très appréciée à cause de ses activités sociales sous le couvert de la Caritas.
La spécificité de Nouadhibou est la forte présence de migrants. Ce sont d’abord les nombreuses personnes qui ont cherché à partir vers l’Europe soit par la mer vers les Canaries, soit par le désert vers le Maroc. Mais ils ont été arrêtés soit par la marine espagnole, soit par les contrôles mauritaniens ou marocains. Il y a aussi ceux qui ont été renvoyés de l’Europe ou du Maroc. La plupart ne veulent pas retourner au pays par manque de moyens mais aussi par respect humain. Leur famille s’est sacrifiée pour leur donner les moyens de partir et de payer les passeurs, et ils ont honte de retourner chez eux après cet échec. Mais en restant sur place, leur vie est difficile. En effet, étant étrangers, ils n’ont pas le droit d’être embauchés ni d’exercer un métier légal sur place. Ils se retrouvent obligés d’exercer des petits métiers, à leur compte ou au service de mauritaniens, et soumis à de nombreuses formes d’exploitation et de brimades. Certains sont arrêtés au cours d’opérations policières de « ramassage ». La paroisse a un avocat pour défendre les cas les plus difficiles.
Avec le soutien du CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement), de Misereor (une organisation catholique allemande) et du diocèse de Cologne, la Caritas paroissiale a lancé de nombreuses activités pour les migrants et la population mauritanienne ensemble dans les domaines suivants :
Couvrir leurs besoins vitaux : (accueil, écoute, nourriture, santé, aide au retour volontaire au pays).
Formations : pour leur permettre de se procurer les moyens de vivre. En anglais, français et espagnol, alphabétisation, comptabilité et gestion, informatique, cuisine, pâtisserie, broderie, couture, soutien scolaire en renforcement des capacités. Et aussi formation et soutien financier pour lancer des petits projets économiques (AGR : Activités Génératrices de Revenus). Sans oublier la formation des membres de la Caritas elle-même. Pour les formations, le problème est bien sûr le manque de moyens financiers, mais aussi les nombreuses coupures de courant, pas seulement pour l’informatique ou la cuisine, mais aussi parce que les cours sont donnés la nuit, après la journée de travail.
Il y a aussi une formation ouverte à tous pour la connaissance de leurs droits : des migrants, des prisonniers, des malades….
Enfin de nombreuses actions pour renforcer les liens sociaux entre les migrants et la société mauritanienne : tournois de football et soirées récréatives, ce qui est important pour la convivialité et les bonnes relations avec les migrants par le jeu en commun, le respect des règles, la maîtrise de soi et l’acceptation de la défaite éventuelle.
La Caritas paroissiale aide aussi les migrants à s’organiser entre eux. Déjà ils se regroupent par nationalités, chaque groupe ayant ses activités propres. Mais ils se retrouvent aussi ensemble. La Caritas a soutenu l’association de ces groupes nationaux pour se connaître, s’entendre et mener des actions communes. Elle aide au financement d’une grande maison pour accueillir une trentaine d’arrivants, avant qu’ils trouvent un logement. Par ailleurs, les enfants de migrants ne sont pas admis dans les écoles publiques mauritaniennes, et même dans les écoles privées l’enseignement se fait en arabe. Les migrants ont donc ouvert une école en français. Les enseignants sont bénévoles et reçoivent seulement un peu d’argent, fruit des cotisations (très limitées) des parents. La Caritas aide au fonctionnement de cette école pour permettre, non seulement un enseignement de base mais surtout une éducation des enfants. Ce souci de l’éducation se retrouve également auprès des adultes migrants et mauritaniens à travers les diverses formations données.
Mercredi 13 novembre : Je commence la journée par un temps de partage avec le confrère responsable de la Caritas paroissiale, et de l’action auprès des migrants. Nous parlons en particulier d’une jeune femme renvoyée de son travail sans être payée. Cela arrive souvent, car les migrants ne bénéficient ni de contrat de travail, ni de droits sociaux. On va demander à un avocat d’étudier son cas, et de la défendre. Puis je rencontre la sœur infirmière et les gens venus pour les soins. Aujourd’hui, c’est spécialement la distribution de lunettes pour ceux qui en ont besoin.
Puis nous faisons le tour des travailleurs. Beaucoup vont travailler au port dans des conditions très difficiles et pour presque rien. Des femmes salent et sèchent le poisson au port de pêche. D’autres sont employées de maison. L’après-midi, je passe visiter le centre de formation à la couture et la broderie, ce qui leur fournira un moyen de gagner leur vie. Puis je passe à la bibliothèque. C’est une activité très importante, car elle permet de contacter et d’aider un bon nombre d’élèves et de professeurs mauritaniens. Mais le nombre d’enseignants diminue car ils sont pris par les cours particuliers qu’ils donnent pour augmenter leurs salaires. Comme chaque jour, nous nous retrouvons avec les sœurs pour la messe. Deux laïcs sont venus nous rejoindre : les chrétiens sont peu nombreux et sont tous pris par les soucis de la vie et la lutte pour survivre.
Jeudi 14 novembre : Ce matin, je visite le jardin d’enfants et la garderie : 5 classes avec deux maîtresses pour chaque sous la supervision d’une sœur. Je suis frappé par la très bonne ambiance, la discipline et la qualité de l’éducation donnée. Il y a un bon matériel pédagogique pour cela et en nombre suffisant. Comme je l’ai dit, c’est une action essentielle, pour apprendre aux mauritaniens et migrants à vivre ensemble et créer des liens solides à partir de l’enfance et qui pourront durer par la suite.
L’après-midi je pars visiter l’école des migrants et le centre d’accueil. Au retour, je rencontre la sœur qui visite les prisonniers. Nous échangeons nos expériences. Ses conditions d’action sont beaucoup plus limitées car elle ne peut rencontrer que les détenus chrétiens et pour un temps limité. Elle travaille en lien avec des avocats mauritaniens.
Vendredi 15 novembre : Avec mon confrère, nous partons rencontrer le consul de France, un français ancien enseignant, présent depuis 22 ans. Autant dire qu’il connaît bien la ville et a beaucoup de relations. Il est très ami de notre équipe et nous aide beaucoup dans nos différentes actions. Puis je vais réserver ma place car il faut déjà penser au retour.
La nuit, nous allons participer à la réunion du bureau de l’association des migrants, ce qui me permet de rencontrer les responsables des différentes nationalités. Aujourd’hui ils préparent ensemble la journée mondiale des migrants. Une occasion d’agir ensemble et de se faire reconnaître. Nous saluons rapidement ceux du centre d’accueil pour ne pas trop les déranger, car ils sont déjà couchés. Ils sont accueillis pour un maximum de deux mois pour leur permettre de trouver un logement. Puis nous allons visiter plusieurs familles. Mais certains sont encore au travail, en particulier au port, en travail de nuit. Ils sont obligés d’accepter n’importe quelles conditions de travail pour gagner un minimum d’argent. Pour gagner leur vie, certains préfèrent travailler pour eux-mêmes, par exemple en tenant un petit restaurant, en vendant des habits (fripes), en lavant du linge ou des voitures. Tout cela est plus ou moins autorisé, mais reste soumis à l’humeur des policiers, qui cherchent souvent à les taxer. Au retour, une petite pluie se met à tomber, ce qui est très rare. Il a cependant plu trois fois cette année. Ce qui est exceptionnel.
Les relations avec les autorités sont bonnes, à condition de suivre ce qui est permis, et de savoir comment se conduire. En fait, on peut s’organiser sur le territoire de la paroisse pour nos activités, mais ne pas intervenir en ville. Nous n’avons donc pas de place officielle dans la société, mais nous sommes reconnus et appréciés pour nos actions sociales. Il y a aussi un certain nombre de consuls sur place : France, Espagne, Sénégal, Gambie qui peuvent aider, et certaines associations de migrants sont reconnues.
Samedi 16 novembre : Des amis français soutiennent nos actions depuis de nombreuses années. Chaque année, ils viennent par la route, en apportant le matériel le plus utile et que l’on ne trouve pas sur place. Cette année, la paroisse a acheté d’occasion la voiture avec laquelle ils viennent. Il faut donc faire un certain nombre de formalités pour la dédouaner et la légaliser. Pour faciliter les choses, le Consul de France nous conduit lui-même à la frontière. Il connaît bien les douaniers et les gendarmes, de même que les formalités à accomplir. Comme tout a été préparé à l’avance, cela se passe sans problèmes même si cela nous prend toute la matinée. A la frontière, à une cinquantaine de kilomètres, je suis frappé par le nombre de voitures abandonnées, soit que leurs propriétaires n’étaient pas en règle et ont dû retourner en abandonnant leur voiture, soit que les voitures étaient trop vieilles. En effet, les autorités interdisent aux voitures d’occasion de plus de 7 ans d’entrer dans le pays, ce qui est une excellente chose pour limiter le nombre de « cercueils ambulants ».
-Cette sortie me permet de découvrir d’autres aspects de la vie du pays. Un parc de 21 grandes éoliennes a été installé. Mais il y a des problèmes : les éoliennes sont fournies par l’Espagne mais les installations électriques sont chinoises. La coordination des 2 n’est pas simple et il manque des techniciens formés pour l’entretien et la maintenance.
Dans la mer, il y a beaucoup de poissons et de langoustes. Mais 95 % du poisson est exporté directement sans être traité ni transformé, ce qui est une grande perte pour le pays. Autrefois, c’était les pécheurs bretons qui venaient pêcher la langouste. Aujourd’hui, nous croisons de nombreux camions dans lesquels on a installé des bacs pour transporter les langoustes vivantes jusqu’en Espagne. L’aéroport de Nouadhibou est en activité, mais il n’y a pas de vol pour Casablanca ou l’Europe. Pour cela, il faut redescendre à Nouakchott, la capitale. Pourtant, on a construit un bel aéroport. Tout le long de la route, c’est le désert. Nous croisons trois points d’eau. Et là il y a de la verdure, des jardins et des dattiers. Nous dépassons aussi un marché de moutons, où attendent plusieurs dizaines de troupeaux. Et nous rencontrons un train de plusieurs kilomètres transportant du minerai depuis Zouerate. Je m’arrête là, car le but de ces nouvelles n’est pas de vous décrire les réalités économiques du pays, que vous pouvez connaître par ailleurs.
L’après-midi a lieu la remise des diplômes pour les différentes formations assurées à la paroisse. C’est un moment très important et solennel, vécu dans la joie. La rencontre est animée par des chants et des danses. Les parents sont venus ce qui est une occasion importante de rencontre avec la population mauritanienne. Avant de recevoir ses diplômes, chaque groupe se présente avec ses réalisations. Le groupe de formation à la pâtisserie passe le dernier et est le plus apprécié, car on distribue les gâteaux qu’ils ont confectionnés et des jus de fruits fournis par la paroisse. Bien sûr, pas d’alcool. C’est absolument interdit dans tout le pays. Les formateurs sont fatigués mais heureux. Il va y avoir une pose jusqu’à Noël et une nouvelle série de formation commencera en janvier, tandis que le jardin d’enfants et la couture-broderie continuent sans interruption.
Dimanche 17 novembre : La salle est pleine pour la messe. On m’a demandé de la présider. Pour permettre la participation de tous, je la célèbre en trois langues : français, anglais et ouolof que beaucoup comprennent, en particulier ceux du Sénégal et de la Guinée Bissao. J’essaie de concrétiser le commentaire de l’Evangile et de l’appliquer à leur vie et à leurs problèmes. L’ambiance est très bonne : c’est un moment très fort de communion, de paix et d’espérance. Et la joie se prolonge longtemps à la sortie dans des rencontres personnelles et communautaires. Avant que la chorale ne tienne son assemblée générale.
L’heure du départ est arrivée. Après le repas pris rapidement, ce sont les dernières recommandations et les adieux. Nous nous reverrons en avril à Dakar, au moment de notre semaine de prière, une retraite qui nous réunira tous ensemble, les missionnaires spiritains de Mauritanie, Guinée, Guinée Bussao et Sénégal. Nous sommes tristes de nous séparer mais heureux d’avoir vécu cette semaine de rencontre et de partage. Mon confrère a très bien organisé mon voyage. Le premier contrôle se passe sans problèmes. En route, j’admire en particulier plusieurs champs de panneaux solaires. Il y a du soleil, il faut en profiter ! Ces panneaux permettent d’alimenter un certain nombre d’installations tout le long de la route.
La route goudronnée est bonne, à part quelques passages défoncés où il faut vraiment faire attention et être habile pour éviter les trous dans le goudron. Les arrêts sont nombreux : d’abord pour les contrôles de police, douane et gendarmerie où je remets à chaque fois le papier que j’ai imprimé avec les renseignements nécessaires, pour ne pas passer de longues minutes à remplir les registres et faire attendre tout le monde. Et il y a les arrêts pour la prière, pour manger, les achats etc. Mon voisin m’offre des bananes. Sur toute la distance, je ne vois pas de tentes traditionnelles, mais seulement des petites baraques en mauvais état. Et à plusieurs kilomètres de Nouakchott, un grand bâtiment moderne tout illuminé : Le centre de conférences de Mauritanie. Un contraste total ! De même, avec l’entrée de la capitale toute illuminée par une belle autoroute. Mais comme à Nouadhibou, la circulation est vraiment anarchique. Les piétons traversent sans tenir compte des voitures, celles-ci passent aux feux rouges ou s’arrêtent au milieu de la route pour téléphoner, aux autres de les éviter ! Nous terminons dans un beau quartier, sans avoir vu comment sont les quartiers populaires. J’attends calmement jusqu’à ce qu’un confrère vienne me chercher. Il m’offre à manger et une chambre. Il est presque minuit.
Lundi 18 novembre : Je dois partir à 5 heures. Nous avons commandé un taxi mais à 5 h 30, il n’est toujours par là. Et il ne répond pas au téléphone. Il arrive finalement et nous arrivons à attraper le car. Le billet est en arabe et l’employé ne parle que cette langue, mais nous arrivons à nous comprendre finalement.
Au fur et à mesure que nous descendons vers le sud, la végétation devient plus abondante, les villages plus nombreux et plus grands et les habitations plus confortables.
Le ciel est sombre, on ne voit pas le soleil à cause du vent de sable. La voiture est ralentie à cause des nombreux trous sur la route. Et la dernière partie du chemin est encore pire. Nous approchons du barrage de Diama sur le fleuve Sénégal sur une route en terre sablonneuse dans laquelle il est très difficile d’avancer. Malgré les vitres fermées, la voiture est envahie par le sable. Les nombreuses secousses ont affaissé la carrosserie qui frotte sur les pneus et les échauffe. Après une « réparation » bricolage avec les moyens de bord, nous repartons. Mais au bout de quelques kilomètres et de nouvelles secousses, la « réparation » lâche à nouveau. Deuxième essai ! Au bout de quelques kilomètres, ça lâche encore 3ème essai…
Depuis quelques temps, la route est entourée d’eau et nous ne sommes pas loin du parc naturel du DJouj. Il y a de plus en plus d’oiseaux et nous apercevons un crocodile qui se déplace tranquillement dans l’eau. Comme nous approchons du parc, après contrôle de mon passeport, un douanier me demande de l’argent « en tant qu’étranger passant par le parc ». Je lui réponds calmement que je n’ai pas été prévenu. Il me demande d’où je viens et ce que je fais. Je lui explique que je viens de Nouadhibou où j’ai assuré la prière et que je travaille à Dakar, etc… Finalement il me dit : « Bon, pour cette fois, je vous pardonne » ! – alors que nous ne sommes même pas entrés dans le parc !
Enfin, nous arrivons au poste frontière de Mauritanie. Et toutes les formalités recommencent ! Le chauffeur récupère les passeports et les cartes d’identité pour discuter au nom de ses clients. Mais on ne nous explique et nous nous demandons ce qui se passe. Mon voisin du Bénin est très inquiet et se demande si on va lui rendre sa carte d’identité. Notre car s’arrête ici. Un car du Sénégal nous attend de l’autre côté du barrage pour nous amener à Dakar. Nous traversons le fleuve Sénégal et c’est le retour à Dakar. Heureux d’avoir vécu cette insertion dans une culture si différente et du travail accompli, ayant pu partager avec ces confrères que nous ne voyons pas souvent.