Armel Duteil

Formation 2012

Pour un tourisme plus humain

Pendant le week-end du 1er Novembre 2011, a eu lieu une grande rencontre (forum) des religieux et religieuses de tout le Sénégal, sur le thème « Liberté, vérité et responsabilité pour une mission féconde et épanouissante ». Au cours des interventions, j’ai été amené à prendre la parole. Voici le résumé de mes interventions de chaque jour.

  1. Au cours de ce premier jour, nous avons surtout insisté sur notre identité religieuse, notre vie « interne » avec ses conditions : les trois vœux, la prière, la vie de communauté. Tout cela est très important. Mais qu’en est-il de notre présence dans le monde, comme nous le demande le titre de ce forum : « Pour une mission féconde et épanouissante » ?
    On a parlé des « nouveaux aéropages de la mission ». D’abord, il faudrait peut-être utiliser un vocabulaire plus simple et compréhensible par tous ! Ensuite, quels sont ces nouveaux secteurs de la mission ? Que pouvons-nous y faire ?
    On a dit aussi : « Témoigner du Christ dans les milieux défavorisés ». Sommes-nous vraiment présents dans ces milieux ? Est-ce que nous partageons la vie des défavorisés. Est-ce que nos communautés ne sont pas trop souvent des enclaves d’un certain niveau de vie supérieur, malgré notre vœu de pauvreté ?
    Savons-nous lire les « signes des temps » (Mt 16,2-3), pour découvrir les appels du Seigneur dans le monde d’aujourd’hui, comme nous le demande le document du Concile dont nous fêtons le 50ème anniversaire de la convocation : « l’Eglise dans le monde de ce temps » ?

  2. Nous avons parlé de nous enraciner dans le Christ. C’est absolument nécessaire, mais quelle image avons-nous du Christ et de sa vie ? Quelle compréhension avons-nous de son Evangile, en particulier des Béatitudes et de sa mission ? (Voir, par exemple, Luc 4, 14 à 21 ; et Luc 7, 19 à 23).
    Pierre nous disait en reprenant le Prophète Isaïe (65, 17 + 66, 22) : Nous attendons des cieux nouveaux et une terre nouvelle, où la justice habite (2ème de Pierre, 3, 13. Voir aussi Apocalypse 21, 1).

  3. Nous avons dit encore : « Nos écoles et nos dispensaires marchent bien et les gens nous félicitent ». C’est vrai, mais est-ce qu’il n’y a pas là le danger de nous satisfaire et même de tourner en rond ?
    -Pour l’enseignement. Dans nos écoles, on enseigne bien. Beaucoup d’élèves obtiennent leur diplôme, mais est-ce que nos écoles sont accessibles aux pauvres ? Avons-nous aussi le souci des autres écoles, les écoles publiques officielles mais également les autres écoles privées laïques qui souvent ne marchent pas ou cherchent surtout à faire de l’argent. Déjà, il y a des enseignants chrétiens dans ces écoles, et aussi des élèves chrétiens ; que faisons-nous pour les soutenir et pour les pousser à s’engager avec les autres ? Que faisons-nous aussi pour tous les enfants qui ne pourront jamais aller à l’école ? Que sont devenues, par exemple, nos écoles de brousse et que fait concrètement le Mouvement des Equipes enseignantes, dans ce sens ? Nous, les religieux, y sommes-nous présents ?
    -Pour la santé. Nos dispensaires sont propres et nous soignons bien. Nous arrivons à avoir des médicaments pour les gens à des prix accessibles, à la suite de nos nombreux efforts. Nous avons fait des progrès pour dépasser les simples soins (médecine curative) et travailler au niveau de l’éducation à la santé, de l’hygiène, de la prévention et des vaccinations, de la lutte contre la dénutrition, le SIDA, etc. Mais d’un autre côté, il nous arrive souvent de partir en congés aux mois de Juillet et Août, alors que c’est justement le moment où il y a le plus de malades, et donc où les gens ont le plus besoin de nous.
    Là encore, avons-nous le souci des dispensaires publics ? Travaillons-nous avec eux ? Sommes-nous présents dans les organisations de la santé publique et des ministères ? Nos employés sont-ils engagés dans les syndicats de la santé ? Participons-nous aux réflexions gouvernementales et aux programmes sur la santé ? Ou ne nous contentons-nous pas trop facilement de bien faire marcher nos propres dispensaires, sans penser aux autres ? Le levain doit être dans la pâte (Matthieu 13, 33). Il suffit d’un peu de sel pour donner du goût à tous les aliments (Matthieu 5, 13). Nous n’avons donc pas à nous décourager, même si nous sommes peu nombreux, et même une minorité dans le pays. Mais encore faut-il que nous ayons gardé la force du sel, et que nous soyons présents au milieu des aliments et dans la pâte, et non pas sur l’étagère.
    -Nous avons des Centres de formation féminine, où nous enseignons bien. Mais est-ce que nous aidons ces femmes et ces jeunes filles à gagner ensuite leur vie ? Comment nous sentons-nous concernés par le chômage des jeunes, et les souffrances et l’exploitation des femmes ? Que faisons-nous contre cela ?
    -Jésus nous dira à la fin du monde : « J’étais prisonnier et tu m’as visité ». Que faisons-nous pour les prisonniers, les réfugiés, les émigrés de retour et déjà les étrangers présents parmi nous (les étrangers pauvres, pas seulement ceux qui sont dans les ONG ou les grandes organisations internationales) ? Est-ce que nous sommes présents, en tant que religieux, dans les Commissions Justice et Paix, la Commission des Relations chrétiens-musulmans, les Mouvements d’Action Catholique,… ? Ou seulement dans les chorales et les groupes de catéchèse ? C’est une bonne chose, mais est-ce que ça suffit ?

Intervention du 2ème jour

  • Aujourd’hui, nous avons dit : « Avançons au large, dans la vérité, la liberté et la responsabilité ».
    Il n’y a pas de liberté sans libération. Comment d’abord nous laisser libérer nous-mêmes, pour vivre à plein (Jean 10, 10) ? Le Christ est venu pour que nous ayons la vie totale. Que faisons-nous pour libérer nos communautés, nos congrégations et notre Eglise, de tout ce qui pèse sur elles et qui alourdit leur pas ? Prenons-nous, chacun d’entre nous, nos responsabilités pour cela ? Vivons-nous dans la vérité de la vie religieuse ? (il ne s’agit pas seulement de dire la vérité, mais de faire la vérité, comme nous le demande le Christ).

  • Comment libérer notre société sénégalaise, au milieu de toutes les tensions actuelles et les risques de violences ? Que faisons-nous pour libérer en premier les écrasés, les opprimés, les étrangers et tous les rejetés ? Nous avons parlé de la dimension prophétique de la vie religieuse : en quoi sommes-nous vraiment prophètes actuellement ? Le baptême nous demande d’être « prêtres, prophètes, et rois ». Sommes-nous des « rois » ? C’est-à-dire cherchons-nous à organiser la société actuelle, pour y faire grandir le Royaume de Dieu ? Comment retrouver le prophétisme de la vie religieuse ? Comment également éduquer à la non violence active selon l’Evangile ? N’est-ce pas cela l’une de nos premières responsabilités ? Nous avons parlé de la prière, mais la prière est aussi contemplation, pour savoir lire les signes des temps, et pour découvrir que faire pour libérer les pauvres, les prisonniers et les aveugles de toutes , et tous les petits de la société (Luc 4, 14 à 21). Ce sont ces petits qui doivent être nos préférés et nos favorisés.

  • Nous avons dit qu’il s’agit pour nous de vivre avec le Christ. Jésus disait à ses apôtres : « Qui vous accueille, m’accueille » (Mat 10,40). Et aussi : »Celui qui accueille un enfant en mon nom, c’est moi qu’il accueille » (Luc 9,48). C’est dans les homes et les femmes qui nous entourent, et d’abord dans les petits de notre société, que nous pouvons rencontrer le Christ chaque jour. Pour cela, il est essentiel que nous gardions l’espérance. Mais n’avons-nous pas un regard trop négatif sur notre société ? Il est essentiel de voir le positif, les bonnes choses que font les gens. Il s’agit de nous laisser interpeler par le monde, et pas seulement par notre propre conscience.

  • Et aussi de changer nos façons de faire, pour commencer des activités nouvelles et des nouvelles façons de vivre notre vie religieuse et nos engagements. Jésus disait : « le sage dans le Royaume de Dieu, c’est celui qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien » (Mat 13,52). Est-ce que nous savons faire du neuf ? Est-ce que nous essayons même de le faire ? Ou est-ce que nous ne nous contentons pas de faire marcher nos œuvres comme nous l’avons toujours fait, pour « faire tourner la boutique » ?

  • Ce matin, nous avons eu un exposé sur les philosophes d’autrefois, les Sophistes, Aristote et Platon, et aussi Nietzche… Mais que faisons-nous de la sagesse africaine traditionnelle ? Dans les contes, les proverbes et les traditions, il y a une vraie sagesse que nous ont laissée les anciens. Est-ce que nous ne l’avons pas perdue ? Est-ce que nous l’utilisons ?

  • Et que faisons-nous de la sagesse populaire, et du bon sens des petits, des enfants et des pauvres de la société. Ainsi, j’ai travaillé pendant longtemps à St Louis avec des jeunes de la JOC. Ils étaient analphabètes : ils ne parlaient pas français, ils ne savaient ni lire, ni écrire. Et pourtant ils montraient une vraie sagesse, et une vraie connaissance de Dieu dans leurs révisions de vie. A travers le Mouvement de la JOC, ils ont pu acquérir une véritable expérience, non seulement avoir un travail qu’ils connaissent bien, mais s’engager dans la société, par exemple dans les syndicats et les différentes associations, être capables de parler en public et de prendre leurs responsabilités.
    Il faudrait aussi parler de la sagesse de tous ceux qui souffrent, des handicapés, des malades, de tous ceux qui à travers leurs souffrances trouvent un nouveau sens à leur vie. Nous en avons besoin.

3ème jour

  • Aujourd’hui, nous avons parlé de « repartir du Christ ». Le Christ a prié, il a vécu en communauté avec ses apôtres, il a annoncé l’Evangile pas seulement en paroles, mais en actes, il a guéri les malades et chassé les démons. Mais le Christ, c’est aussi celui qui a défendu tous ceux qui étaient traités injustement : les pauvres, les petits, les étrangers, les écrasés ; il les défend et il les fait grandir. De même que les femmes et les enfants : Il défend la femme adultère, et aussi la prostituée  devant Simon, le pharisien. Il dit : laissez venir à moi les petits enfants. Il a su encourager et louer le 10ème lépreux samaritain, le seul venu lui dire merci. Et il donne en exemple un autre païen, le bon samaritain. Repartir du Christ, cela veut donc dire aussi, pour nous : être les défenseurs des pauvres et de tous ceux qui sont rejetés et méprisés.

  • Le Concile Vatican 2, dans le document « l’Eglise dans le monde de ce temps », reprend la méthode de l’Action catholique : « voir – réfléchir – agir ». Sommes-nous capables, pour repartir du Christ, de voir la vie de nos frères, et d’y réfléchir à la lumière de la Parole de Dieu, pour agir comme le Christ et avec Lui ? Déjà nous enseignons le catéchisme, nous avons des prières en communauté. Mais est-ce que nous partageons l’Evangile entre nous, pour faire grandir notre foi et mieux connaître le Christ, en nous enrichissant les uns les autres ? Il s’agit pour nous d’arriver à des actions transformatrices, dans nos communautés, mais aussi avec tous dans la société. Déjà, est-ce que nous comprenons la langue des gens ? Pas seulement le wolof, mais aussi la façon dont ils parlent le français et ce qu’ils veulent dire (leur culture, la culture populaire). Nous ne pouvons pas annoncer Jésus-Christ aux hommes si nous ne parlons pas la langue des hommes. Mais trop souvent nous utilisons un langage religieux que les gens, en particulier les musulmans, ne comprennent pas, et ne peuvent pas comprendre.

  • Nous avons dit : il faut repartir du Christ. Cela suppose de connaître le Christ, mais cela suppose aussi de partir, c’est-à-dire d’avancer. Est-ce que trop souvent nous ne restons pas à tourner autour du Christ, au lieu de repartir de lui, pour aller vers nos frères et dans le monde ? Aujourd’hui, Jésus nous dit, comme à Simon (Luc 5,4) : »Va au large »