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Père Armel Armel
SPEM-Fano – Rue FN 10 x Av. Cheikh Anta Diop Km 5
BP 5087
12523 DAKAR-Fann
Sénégal

Téléphone : 00221 77 680 93 07
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http://armel.duteil.free.fr/

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  1. libeller : à l’ordre de Congrégation du St Esprit- Chèque bancaire ou C.C.P. ¨PARIS 611.49 X

  2. Adresser à : Procure des Missions, 30, rue Lhomond - 75005 Paris - Tél. : 01 43 36 17 47

  3. Demander une attestation pour déduction fiscale

  4. Préciser : «  Pour le père Armel DUTEIL – Sénégal »


Novembre 2011

Chers Amis,


Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire déjà, me voici donc revenu au Sénégal où j’ai passé toute ma jeunesse et travaillé comme missionnaire, de 1979 à 1996, à Tambacounda d’abord, et à Saint Louis ensuite, avant de partir en GUINEE dans les camps de Réfugiés au moment de la guerre du Libéria et de Sierra Leone. Je suis très heureux d’être revenu dans ce pays que je connais bien et dont je parle la langue, le wolof.


En arrivant au Sénégal, j’ai eu un peu de temps libre. J’en ai profité pour me soigner parce que j’en avais la possibilité à Dakar, mieux qu’en Guinée. Je me suis bien reposé, mais j’ai aussi pris le temps de rédiger un certain nombre de réflexions sur les Droits Humains et la Doctrine sociale de l’Eglise, fruits de mon travail en Guinée pour Justice et Paix. Je l’ai déjà envoyé par mail à beaucoup d’entre vous ; ceux qui sont intéressés peuvent bien sûr me les demander ou les consulter sur mon site (voir en-tête).


La dernière fois, je vous ai déjà parlé de la situation économique et politique du pays ; je ne le reprends pas aujourd’hui. Simplement, la compétition pour les élections présidentielles de Février 2012 devient de plus en plus vive, avec beaucoup d’attaques verbales, et même des violences, ce qui est quand même inquiétant. Un autre problème grave, c’est l’accaparement des terres par un certain nombre de personnes riches de la ville, et aussi de sociétés étrangères. Il y a eu récemment des révoltes de paysans contre cela qui ont occasionné deux morts, beaucoup de tensions et de violences verbales. Les pluies, cette année ont beaucoup tardé ; de nombreux paysans avaient semé dès les premières pluies et les plants ont séché ; quand les pluies sont revenues, ils n’avaient plus de semences. De plus, nous avons eu une grosse pluie, très tardive, au mois d’octobre ; cela n’a pas été une bénédiction, au contraire elle a fait pourrir ou germer de nombreuses récoltes, en particulier les arachides. Les paysans vont encore beaucoup souffrir cette année, car bien sûr il n’y a pas de subvention ni de fonds de secours pour eux.


En ce moment, je suis donc à nouveau dans une période de découverte et d’enracinement. Mais suite aux longues années durant lesquelles j’ai travaillé au Sénégal, chaque jour j’ai la joie de revoir des gens avec qui j’ai collaboré dans les années 80 et 90, de même que des amis d’enfance. A chaque fois nous sommes très heureux de nous revoir, cela nous permet de revivre ce que nous avons fait autrefois et de le reprendre en nous renouvelant ; c’est vraiment une grande chance pour moi. En même temps, cela me permet de me retrouver vraiment chez moi, et d’être à l’aise pour me remettre au travail.


Les responsables d’un certain nombre d’associations dans lesquelles je travaillais cherchent aussi à me contacter, et me proposent des activités. Ainsi, j’ai été contacté par le CAEDHU, une association pour l’éducation aux droits humains. Pour le 10 décembre, anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, nous prévoyons un week-end à 70 km de Dakar. Nous y rencontrerons un groupe de femmes engagées dans les villages pour réfléchir avec elles aux droits de la femme. Nous nous appuierons pour cela sur l’attribution du Prix Nobel à trois femmes cette année. Nous avons prévu, en particulier, une pièce de théâtre, ce qui est toujours un bon moyen de sensibiliser les gens, de les faire participer et de les mettre à l’action. Nous avons aussi en chantier un séminaire de formation sur l’éducation aux Droits humains, avec des participants des différents pays francophones d’Afrique Noire. Comme toujours, le premier problème c’est de trouver des fonds, car les voyages coûtent très cher. Sinon, nous avons suffisamment de choses à dire et à réfléchir, ce n’est pas cela qui manque !


Actuellement, je loge dans la communauté de nos étudiants en théologie qui se préparent à être prêtres et missionnaires. Nous sommes 15 personnes : 3 formateurs et 12 étudiants. Ils sont rendus à l’avant-dernière étape de leur formation. Ils ont tous fait un stage missionnaire, des études universitaires de philosophie et une année de noviciat (formation religieuse et spirituelle). Ils sont donc déjà engagés et formés. C’est très intéressant de travailler avec eux. Je suis chargé plus spécialement de leurs activités dans les paroisses et dans les quartiers. Nous avons commencé l’année par une retraite spirituelle d’une semaine ; puis, après une réflexion avec les deux autres formateurs, j’ai rencontré les 12 étudiants ensemble, en réunion, et chacun en particulier, pour voir comment nous allions travailler cette année. J’ai ensuite fait le tour des paroisses et secteurs où ils vont travailler, et contacté des groupes et associations de quartiers pour voir quelle(s) activité(s) précise(s) proposer à chacun. En effet, nous ne voulons pas qu’ils se contentent d’enseigner le catéchisme, ou de diriger des prières, mais aussi qu’ils participent à des Commissions, comme Justice et Paix, les relations entre chrétiens et musulmans, les Mouvements de jeunes et d’adultes, les actions de la Caritas (Secours Catholique), etc… et également qu’ils interviennent par exemple à la prison, ou dans les hôpitaux, auprès des réfugiés et émigrés de retour d’Europe, des enfants de la rue, et des handicapés….. chacun selon ses capacités. La plupart ne sont pas Sénégalais, mais Guinéens (Guinée Conakry et Guinée Bissao), Tanzaniens, Congolais, Togolais, Ghanéens et Camerounais. Il se pose donc en premier le problème de l’apprentissage de la langue : le wolof. Je leur ai demandé tout de suite de chercher à mieux connaître le milieu dans lequel ils travaillent, avec les différents groupes et organisations qui agissent, et de savoir ce qu’ils font. C’est un travail de longue haleine, qui demande beaucoup de patience, et qui est très intéressant.


Pour moi, personnellement, j’ai commencé à travailler également dans ce sens. La première chose que j’ai faite, c’est d’aller dans les deux prisons de notre quartier : celle des hommes (plus de 900 prisonniers) et celle des femmes en attente de jugement (environ une centaine). Je vais y retourner deux fois par semaine, car il faut le temps de les rencontrer ensemble mais aussi en particulier, au fur et à mesure des possibilités. Bien sûr, dans ces prisons les problèmes sont énormes, comme partout, spécialement pour les étrangers, car ils n’ont pas de famille sur place pour leur donner à manger, pour les soutenir financièrement dans leurs besoins essentiels et surtout leur apporter un soutien psychologique et affectif.

Le fait de parler plusieurs langues occidentales et africaines va me permettre de partager plus facilement avec ces étrangers. J’y retrouve les mêmes problèmes que dans les autres pays où j’ai travaillé : les prisonniers qui attendent des mois et des années sans être jugés et qui ne peuvent pas payer d’avocat ; des gens accusés injustement et sans défense, etc… Nous allons lancer toute une action pour trouver des soutiens matériels et financiers pour les prisonniers les plus nécessiteux ; chercher aussi des parrains et des marraines pour aider les prisonniers sans soutien. Heureusement, nous avons déjà une bonne équipe de visiteurs et de visiteuses qui interviennent régulièrement avec beaucoup de courage, de bonté et de compétence. La semaine dernière, nous avons eu une rencontre entre nous tous, pour évaluer le travail de l’année passée (ce qui m’a permis de me mettre un peu dans le coup) et pour tracer les grandes lignes de notre travail de cette année. Il va falloir reprendre cela d’une façon plus précise maintenant que je vois un peu mieux la situation. Il faudra, en particulier, trouver des avocats qui acceptent de défendre certains prisonniers bénévolement en cas de nécessité, et aussi insister auprès des différentes ambassades pour qu’elles défendent leurs ressortissants. Finalement, je dois dire que grâce à l’excellent travail de ceux qui m’ont précédé, j’ai reçu un très bon accueil de la part de l’administration et des personnels de ces prisons. Cela facilite beaucoup les relations ; c’est vrai que ça facilite aussi leur travail dans la mesure où nous réglons un certain nombre de problèmes de la prison et des prisonniers. Je ne suis qu’au tout début de mon action. Je vais amener avec moi l’un ou l’autre de nos étudiants, mais il me reste encore beaucoup de choses à découvrir. J’ai déjà constaté qu’il y avait des ateliers et des formations assurées à l’intérieur de la prison ; il y a aussi des ONG qui interviennent ; bien sûr, j’ai l’intention de les contacter et de travailler avec eux dès que ce sera possible. Les choses à faire ne manquent pas.


J’ai pris contact également avec la paroisse sur laquelle est située notre Communauté. C’est une paroisse de banlieue, très grande et très populaire, et donc avec beaucoup de choses à faire. Pour le moment, je découvre le quartier et je cherche à rencontrer les gens, à les écouter et à les comprendre. Le curé de cette paroisse est un ami de longue date, en même temps il est le responsable de la Commission nationale de Justice et Paix. Je vais donc pouvoir continuer à travailler dans ce sens, ce dont je suis très heureux, d’autant plus que je travaillerai en équipe et serai moins isolé qu’en Guinée et moins en première ligne, ce qui est quand même un avantage.

Pour le moment, on m’a demandé de lancer une Communauté dans le quartier où nous habitons, car il n’y en avait pas. J’ai commencé à prendre des contacts et à visiter les familles ; avec eux j’irai me présenter aux autorités et aux Imams du quartier. On m’a également demandé d’assurer plusieurs formations de responsables de ces Communautés de Base, mais il me faut d’abord comprendre les réalités profondes de la société du Sénégal, qui sont différentes de celles de la Guinée. Mais en travaillant ensemble, ce sera plus facile.


Actuellement, je participe à une rencontre de religieuses et de religieux de tout le pays sur le thème : « Vérité, liberté et responsabilité pour une mission féconde et épanouissante ». C’est un titre un peu ronflant, mais il recouvre de vraies questions et nous nous sommes déjà dit de nombreuses choses intéressantes. Comme toujours ce qui est important en plus des exposés et autres conférences, c’est la réflexion commune par petits groupes, et d’abord la joie de nous retrouver et de partager nos questions et nos activités. Nous avons réfléchi à nouveau aux fondements de notre vie religieuse, aux trois vœux de pauvreté, de chasteté et obéissance : comment les vivre dans le monde d’aujourd’hui, en vérité, dans la liberté et en prenant nos responsabilités. Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité d’être proches des gens et de partager au maximum leur vie et leurs problèmes, mais aussi en tenant compte des évolutions de la vie actuelle avec ses dangers mais aussi toutes ses richesses d’ouverture et de progrès possibles. Nous avons insisté sur l’importance de travailler avec les plus défavorisés. Malgré tout, j’ai trouvé que nous étions un peu trop satisfaits de nous-mêmes ; c’est vrai, comme on l’a dit, que les religieux sont très appréciés dans la société sénégalaise, bien que le pays soit, en très grande majorité, musulman, en particulier pour leurs écoles, leurs dispensaires, les centres de promotion féminine et autres activités sociales. Mais les interrogations ne manquent pas, et il y a certainement encore beaucoup d’autres choses à faire ou à redresser. Ainsi, les écoles catholiques sont ouvertes à tous les élèves, sans distinction ; l’enseignement donné est de qualité ; on a fait beaucoup d’efforts pour accueillir les enfants de familles pauvres. Cependant parfois nous cherchons trop à bien faire marcher nos établissements, mais sans nous sentir suffisamment concernés par l’Enseignement, en général, et ses problèmes dans le pays, et donc sans travailler en coordination avec les écoles officielles ou les écoles privées non catholiques qui sont très nombreuses. Et il reste la question : comment offrir une éducation à tous ces enfants de familles nécessiteuses ou de zones déshéritées qui n’auront jamais la possibilité ni les moyens d’aller à l’école ?

C’est vrai que dans nos dispensaires nous cherchons non seulement à soigner mais à agir pour la prévention et l’éducation à la santé. Nous faisons beaucoup pour les malades du SIDA et les handicapés, en particulier. Mais cela ne suffit pas pour résoudre les problèmes de santé et de sous-développement du pays. Il faudrait réfléchir aux causes profondes de ces problèmes et voir comment agir efficacement contre ces causes. Là encore, il est nécessaire de ne pas nous refermer sur nous-mêmes en s’occupant seulement du bon fonctionnement de nos dispensaires, mais travailler avec les services officiels de santé, les ONG et autres Organisations qui agissent dans ce sens.


Nous nous sommes dit que nous avons un gros effort d’ouverture à faire pour travailler non seulement pour tous, mais aussi avec tous ; et aussi pour faire preuve de créativité pour travailler dans de nouveaux secteurs, et d’imagination pour renouveler nos façons de faire. Nous ne pouvons pas nous contenter de faire marcher nos institutions et de les faire tourner, comme on a toujours fait. Le monde change, de nouveaux besoins apparaissent ; il nous faut chercher à y répondre. C’est là que nous situons les actions que nous menons déjà avec les enfants de la rue, les prostitués, les prisonniers, les réfugiés et les émigrés. Et dans nos Commissions de Justice et Paix, de Relations entre chrétiens et musulmans, et les actions sociales de développement et humanitaires menées en particulier par la Caritas (Secours Catholique). Dans nos termes religieux, nous avons dit qu’il faut « réactiver » notre charisme (notre vocation, ce pour quoi nous sommes faits) et développer la dimension prophétique de la vie religieuse (comment être prophète et tracer de nouveaux chemins dans le monde d’aujourd’hui).


Bien sûr, nous avons cherché à approfondir ce qui fait l’essentiel de notre vie religieuse : l’amour du Christ et sa Parole dans l’Evangile. Mais encore faut-il nous demander quelle image nous avons du Christ et quelles idées de sa vie et de son engagement nous avons, pour pouvoir le continuer aujourd’hui d’une façon réaliste et concrète. Il ne suffit donc pas d’avoir la foi ; encore faut-il chercher comment la mettre en pratique d’une façon active et adaptée au monde d’aujourd’hui. A ce sujet, si nous avons eu dans cette rencontre de grandes réflexions philosophiques et théologiques, nous n’avons pas parlé suffisamment de la vie des hommes et de l’évolution de la société actuelle ; c’est donc une réflexion qu’il faudra continuer : comment répondre concrètement et efficacement aux appels que Dieu et les hommes nous adressent dans le monde d’aujourd’hui.


Je vais arrêter mes réflexions pour le moment, afin de ne pas vous laisser trop longtemps sans nouvelles

Vous aurez bientôt d’autres nouvelles par mail ou sur mon site. Merci à Jean Jacques et Jean Michel qui les envoient et à Jocelyne qui les saisit. Et merci à vous tous qui nous aidez par votre amitié, votre soutien et vos prières. J’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé, heureux et en paix dans vos familles et avec ceux qui vous entourent. Je vous souhaite beaucoup de courage et d’espérance au milieu des problèmes qui ne manquent pas non plus en Europe, comme je peux le suivre par la radio et les journaux. Soyez sûrs que je pense bien à vous tous et je vous redis mon amitié. A bientôt de vos nouvelles qui me font toujours plaisir. Et déjà bonnes fêtes de Noel à tous

ARMEL