Père Armel DUTEIL
Mission catholique – BP 2016
CONAKRY (Guinée)
Tél. : 00224 64 40 92 18
CCP NANTES 3832.64 A
armelduteil@yahoo.fr
http://armel.duteil.free.fr/
http://justice.paix.guinee.free.fr/


Novembre 2010
Chers Amis,


J’envoie chaque semaine des nouvelles par mail et j’en fais mettre d’autres sur mon site, grâce aux services compétents, actifs et amicaux de Jocelyne, Jean-Jacques et Jean-Michel ; je tiens à les remercier à nouveau pour ce travail important. Mais je voudrais continuer les circulaires que je vous envoie régulièrement depuis près de 50 ans, pour faire un résumé de ce qui s’est passé depuis ma dernière circulaire de Mars 2010, et également donner des nouvelles à ceux qui n’ont pas accès à Internet

LA SITUATION DU PAYS.

Dans ma dernière lettre circulaire de Mars, je vous annonçais la mise en place d’un Gouvernement d’unité nationale composé de militaires et aussi de civils, issus en particulier des « forces vives » de l’opposition à l’ancien président, Lansana CONTE, avec le soutien de la société civile. Tout cela sous la direction d’un militaire, le général Sekouba KONATE, issu du coup d’état de Décembre 2008, et nommé Président de la République par intérim. Avec la mise en place également, d’un Conseil National de Transition (C.N.T.) chargé de rédiger une nouvelle Constitution et de la C.E.N.I. (Commission Electorale Nationale Indépendante) chargée de préparer des élections présidentielles, tandis que le Président de la République par intérim se chargeait spécialement de la reprise en main de l’Armée.

Que s’est-il passé en réalité ? Le CNT a bien travaillé et a préparé une nouvelle Constitution qui a été approuvée par décret par le Président de la République par intérim. Le 1er tour des élections présidentielles a eu lieu, et cela ne s’est pas trop mal passé. A ce 1er tour, où 24 candidats se présentaient, les 22 candidats écartés ont finalement accepté les résultats après une semaine de contestations. En fait il n’y avait pas eu trop de fraudes, mais plutôt des imperfections dans le déroulement des élections et le recensement des votes, dues à la désorganisation du pays et aux difficultés internes : mauvais état des routes surtout pendant la saison des pluies, manque de précision des responsabilités de chacun et aussi le laisser aller lié au mauvais fonctionnement général de l’administration guinéenne. Mais les problèmes se sont posés pour le 2ème tour. Les deux candidats retenus, Dallein DIALLO et Alpha CONDE étant issus des deux ethnies les plus importantes du pays et leurs partis étant, à cause de cela, à forte tendance ethnique. La Campagne électorale s’est terminée par des bagarres, de nombreux blessés et même un mort, si bien que l’élection prévue en Septembre a été annulée. La CENI était complètement divisée, les membres étant favorables à l’un ou l’autre candidat, mais, en plus se laissant influencer et même acheter pour changer d’opinion. Si bien qu’il a fallu nommer un général malien, membre de la francophonie qui, lui, a su à la fois mettre de l’ordre et du sérieux dans le CENI et solutionner les problèmes en suspens : les agents de la CENI n’étaient pas payés depuis 6 mois ; les listes électorales n’étaient pas claires, le matériel pour les élections pas prêt, etc… (J’ai expliqué tout cela, de même que ce qui suit, en détail dans les nouvelles qui sont sur mon site).

Une nouvelle date ayant été choisie pour le 2ème tour de cette élection présidentielle, la campagne s’est très mal terminée, après l’intoxication de plus de 150 personnes qui auraient bu de l’eau contaminée au cours du dernier meeting d’Alpha CONDE. Ce sont les partisans de l’autre candidat, Dallein DIALLO, qui ont aussitôt été accusés de cela et il s’en est suivi des actions violentes contre les Peuhls à l’intérieur du pays. On les a frappés et blessés ; on a pillé leurs magasins (la plupart étant des commerçants) et cassé leurs maisons. Et quand ces personnes frappées et dépouillées ont quitté NZEREKORE au sud du pays pour revenir dans leur région d’origine, au centre du FOUTA DJALLON, à Mamou, leurs frères et parents se sont vengés en attaquant les personnes des autres ethnies vivant autour d’eux. Ce qui a été particulièrement grave, c’est que les Forces de l’ordre ont laissé faire, spécialement à Siguiri et Kouroussa, en disant qu’elles n’avaient pas reçu d’ordre pour intervenir. Ce qui a entraîné de nouvelles réactions à Labbé et Pita. Cela est très inquiétant car les tensions sont passées d’une opposition personnelle entre deux candidats à une opposition entre les deux ethnies les plus importantes du pays. Et l’on est passé d’une tension politique à une violence à la base au niveau de la population. Et ces sentiments de vengeance et de haine durent jusqu’à maintenant ; c’est donc très inquiétant pour l’avenir, car si le 2ème tour a pu avoir lieu, après plusieurs reports, le 7 Novembre, nous nous demandons comment les résultats seront acceptés par les militants de celui qui ne sera pas élu, même si la CEN I a essayé de bien organiser le vote et surtout une proclamation des résultats claire, indépendante et selon les règles.

A Conakry, lors des bagarres, les forces de l’ordre ont continué à réagir avec violence, selon leurs habitudes, contre les manifestants et avec une force vraiment disproportionnée, tirant même à balles réelles sur des jeunes qui leur lançaient des cailloux. Des militaires ont pénétré dans les maisons, en frappant les gens, en cassant ce qu’il y avait dans les cours et même à l’intérieur et en dépouillant les gens de leurs biens. On a à nouveau assisté à des cas de viols. Ainsi, deux de nos apprentis qui travaillaient au portail de l’archevêque ont été frappés sans raison ; l’un d’entre eux a eu le bras cassé, on leur a volé tout l’argent de leur transport de la semaine et leurs téléphones portables. Nous restons donc très inquiets par rapport à l’armée. Les militaires ont suivi de nombreuses formations sur le respect de la loi et du citoyen, sur les droits de l’homme, sur la légalité et l’arrêt de la violence, mais les choses n’ont pas changé pour autant. Pourtant, tous les militaires ont été montés systématiquement en grade trois fois de suite,on a maintenu leurs privilèges : distribution de riz… ce qui a entraîné des dépenses énormes pour le pays. On leur a construit de très belles casernes pour éviter qu’ils continuent à se déplacer en armes dans les rues ; on leur a offert beaucoup de voitures, d’uniformes neufs et d’armes nouvelles, mais cela ne semble pas avoir changé la situation. Nous sommes donc très inquiets par rapport à l’avenir ; d’autant plus qu’on ne tient pas un langage de vérité. Le 1er Novembre, c’était la fête de l’armée (52ème anniversaire de sa fondation), on a loué l’armée qui protège le pays et défend les citoyens, alors que tout le monde sait que c’est faux. Beaucoup accusent de plus les militaires d’être partiaux et de brimer spécialement les peuhls.

Finalement, ce 2ème tour de l’élection présidentielle s’est bien déroulé, car tout le monde est fatigué de tous ces problèmes et aspire vraiment à la paix. Mais il ne suffit pas de faire des élections pour mettre en place une véritable démocratie. Et surtout comment la population va-t-elle accepter les résultats ? Est-ce qu’il ne va pas y avoir de nouvelles violences et que va faire l’armée dans ces conditions ? Une autre chose qui nous inquiète, c’est que la société civile et les syndicats, pris par l’ambiance générale, se sont lancés eux aussi dans la politique, oubliant leurs rôles et leurs responsabilités propres, alors que les problèmes économiques et sociaux sont énormes et se sont beaucoup aggravés, tout comme la pauvreté. La société civile et les syndicats n’ont pas joué leurs rôles ; nous avons même peur qu’ils soient complètement démobilisés. Comment vont-ils agir maintenant ? Et est-ce que leurs actions vont être acceptées ?

Il y a aussi beaucoup d’autres questions : quel gouvernement va être mis en place ? Saura-t-il mettre les gens au travail, réorganiser le pays et lutter contre la corruption ? Et comment se passeront les élections législatives et les élections municipales ? Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines et le chemin risque d’être non seulement très long, mais semé d’embûches. En effet, les problèmes de la CENI sont le signe d’un manque d’organisation du pays, d’un manque de conscience professionnelle de d’un mauvais fonctionnement des structures et aussi de la permanence de la corruption. Certains ministres ont cherché à faire du bon travail mais ce gouvernement, qui était provisoire et chargé spécialement de la mise en place des élections, s’est permis, par exemple, de signer des contrats très importants avec des grandes multinationales, chinoises en particulier, pour l’exploitation de la bauxite et du fer, dans des conditions obscures et sans doute au détriment de la Guinée. Nous avons peur que l’on continue ainsi à brader le pays et à briser ses chances pour son avenir.

Les élections ont coûté très cher, il n’y a plus d’argent dans le pays. Même quand on a un compte approvisionné à la banque, on ne peut plus retirer d’argent. Comment le gouvernement qui sera mis en place pourra-t-il relever le pays ? Et comme toujours, dans ces conditions, ce sont les plus pauvres et les petits qui en supportent les conséquences et qui souffrent le plus. Le coût de la vie a augmenté d’une façon incroyable. Nous espérons qu’au moins l’Union européenne et les Etats-Unis, de même que la Banque Mondiale, le FMI et les autres banques vont reprendre leur aide économique qui a été suspendue depuis le coup d’état de décembre 2008 et la prise du pouvoir par le militaires. Mais déjà, la politique de l’Union européenne n’est pas très claire par rapport à l’Afrique et aux pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), et celle de la Banque Mondiale et du FMI encore moins. Dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), chaque pays cherche plutôt à maintenir ses intérêts et à augmenter ses profits. L’organisation financière du monde semble n’être basée que sur la recherche d’intérêts commerciaux, et cela ne va pas changer du jour au lendemain. Raison de plus pour chacun d’entre nous, non seulement de se tenir au courant, mais d’agir là où il est, à son niveau, d’après ses petits moyens et les possibilités qui se présentent. A ce sujet, je remercie tous les amis qui partagent avec nous leurs efforts et nous tiennent au courant de leurs actions ; c’est une grande force et un grand soutien pour nous qui vivons avec des gens, dont la situation devient de plus en plus dramatique.

Que fait l’Eglise dans tout cela ?

Comme je vous l’ai déjà expliqué dans ma dernière circulaire de Mars 2010, les responsables de l’Eglise se sont fortement engagés dans les problèmes du pays et nous avons cherché à agir concrètement, en particulier à travers nos Commissions de « Justice et Paix » (dans le domaine social et politique) et de Pastorale sociale (au niveau des projets de développement et de l’action humanitaire). Nous avons donc redoublé d’efforts ces derniers temps. En Juin, avant le premier tour des élections présidentielles, les responsables religieux, chrétiens et musulmans, ont fait ensemble une déclaration très forte, appelant tous les citoyens, au nom de leur foi commune en Dieu, à la paix, à l’unité et à la responsabilité (Voir mes mails et mes « Nouvelles » dans mon site). Cette déclaration a eu un impact très fort, et dans nos Commissions, groupes, mouvements et communautés de quartiers, nous avons longuement et profondément réfléchi à ce que voulaient dire ces trois mots essentiels. Et comment les mettre en pratique dans les réalités de chaque jour. Je pense que c’est grâce, en partie, à tous ces efforts que le 1er tour des élections s’est bien passé et que les résultats ont été finalement acceptés par tous, y compris les candidats éliminés. Ce travail de réflexion, de conscientisation et d’éducation se continue jusqu’à maintenant.

Juste avant le 2ème tour, l’archevêque de Conakry a publié, suite à notre session pastorale de lancement de l’année où nous avons réfléchi ensemble à la situation du pays, une lettre très forte « Il est temps de nous ressaisir ». Après avoir fait l’état des lieux d’une manière très lucide, courageuse et sans complaisance, l’archevêque appelait à une réflexion profonde pour qu’on ne se limite pas à chercher des fonds et du matériel pour les élections, mais que l’on donne « la priorité à l’homme, à son histoire, à son rythme de développement et de progrès humain. On a voulu imposer à la Guinée un système démocratique conçu ailleurs et importé de toute urgence en Afrique, comme des prêts-à-porter et des prêts-à-consommer universels. Il nous faut réactiver notre capacité à définir le sens de notre propre histoire pour construire une vraie démocratie adaptée à notre culture, à nos besoins et à nos possibilités». Nous allons lancer une réflexion suivie et prolongée dans ce sens (voir nos 2 sites). Suit un appel pressant à tous les Guinéens « à changer leur cœur, à prendre les chemins de la réconciliation, du pardon, de la sincérité, de la vérité et de l’écoute réciproque dans la patience, commandés par les vertus de la pratique ancestrale de la palabre africaine, qui conduit à un consensus des cœurs et des âmes… pour changer les structures du pays et vider les cœurs du venin de la haine et des frustrations subies dans l’histoire passée de la Guinée (avec les nombreux massacres)… Il s’agit de nous demander en vérité : que sommes-nous devenus, que voulons-nous, où allons-nous, quel projet de société voulons-nous construire ensemble… sans nous limiter à clamer des slogans au nom de la démocratie, mais en nous soumettant aux exigences de la transparence et aux contraintes de la loi ». Ensuite, l’archevêque a lancé un appel très fort au Président de la Transition, aux organes de Transition, aux candidats du 2ème tour et à leurs alliés, et enfin aux populations guinéenne : « Ne ratons pas l’occasion qui nous est offerte » (Voir le texte complet dans mon site).

Entre les deux tours, nous avons intensifié nos formations, non seulement d’observateurs indépendants pour ces élections, mais aussi des chrétiens délégués de leurs partis dans les centres de vote, pour observer comment les choses se passent, pour qu’ils fassent leur travail dans le calme et la vérité et sans répondre aux provocations.

Bien sûr, pour tout cela, nous nous sommes situés à notre niveau et en essayant de garder de la hauteur, avec l’indépendance et l’objectivité nécessaires. D’abord pour le 1er tour, nous avons observé une journée de prières et de jeûne, ensemble, chrétiens et musulmans ; la Guinée est un pays de croyants, dans nos messages nous nous sommes donc appuyés sur notre foi commune en Dieu, mais dans le respect de nos différences.

Plus spécialement pour les chrétiens, nous sommes une minorité : moins de 10 % de la population. Mais comme nous le disons souvent, à la suite de Jésus-Christ « nous sommes le sel de la terre » : il suffit d’un peu de sel pour donner du goût à tout le plat. En plus, nous avons la chance d’être neutres, la plupart des chrétiens n’étant ni peuhls, ni malinkés. Cela nous permet de jouer plus facilement notre rôle de facilitateurs et d’aider à la réconciliation et à la compréhension mutuelle. Dans nos appels communs à la paix, à l’unité et à la responsabilité, nous n’avons pas manqué de donner la dimension chrétienne de ces trois valeurs. Nous voulons la paix, mais pas n’importe quelle paix ; avec les musulmans, nous voulons la paix de Dieu et en tant que chrétiens nous cherchons la paix de Jésus-Christ (voir Jean 14,27). Nous cherchons une vraie unité, pas seulement une unité de surface, encore moins l’uniformité, mais l’unité dans la différence et l’acceptation mutuelle. Nous appelons à prendre nos responsabilités en les comprenant comme un appel de Dieu Lui-même à nous engager avec le Christ et à son exemple. Nous avons fait un certain nombre d’émissions radio et publié un certain nombre de documents dans ce sens pour faire connaître notre point de vue, qui est non seulement bien accueilli mais demandé et attendu.

De même nous avons basé nos actions sur l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu et sur la prière. Dans toutes les églises, mais aussi dans les mosquées, juste avant ce 2ème tour, il y a eu une Neuvaine de prières pour le pays, que j’ai d’ailleurs envoyé par mail. Et nous avons continué de réciter la « prière pour le pays » que nous avions composée pour ces temps difficiles et bouleversés.

Nous avons multiplié les sessions de formation et les rencontres de réflexion, en en envoyant les conclusions par mails dans tout le pays, «en particulier sur l’engagement politique des chrétiens dans la situation actuelle. La lettre de l’archevêque a été travaillée dans les paroisses et les communautés de quartiers. Nous avons bien sûr abordé ces différents problèmes dans nos Eucharisties, au cours des homélies. Le dimanche avant le 2ème tour nous avons tenu à Conakry une rencontre des Commissions paroissiales de « Justice et Paix » et nous avons pris un temps important pour réfléchir à notre engagement dans le pays, en général, et en particulier pour ce 2ème tour de l’élection présidentielle, jusqu’à la proclamation des résultats.

Nous avons diffusé plusieurs appels pour que chacun fasse son travail avec conscience et selon la loi, et pour éviter toutes formes de violences. Si l’on a des contestations à faire par rapport aux résultats, qu’on les fasse selon les formes légales prévues et mises en place, et non pas dans la rue avec violence.

L’avenir

Mais tout cela ne suffit pas. Pendant la campagne électorale, juste avant le 2ème tour, il y a eu de très nombreux appels à la paix, mais c’était souvent comme des incantations, des paroles très théoriques sans impact réel et ne tenant pas compte de la réalité. Il y a eu de nombreuses émissions à la télé officielle,, voulant faire croire que tout le monde était content et s’entendait bien, au lieu de montrer les vrais problèmes. Et à partir de là, les efforts à faire et les actions à mener. Bien sûr tout cela n’a trompé personne. Si bien que l’on est arrivé à un manque de crédibilité des médias, ce qui est très grave. Pour nous, il nous semble essentiel d’avoir un langage clair, qui aborde les problèmes sans agressivité, mais avec vérité. Même si cela doit nous attirer des réactions agressives. Nous allons donc mener une réflexion en profondeur, offerte au maximum de personnes sur : « que peut être une vraie démocratie en Guinée ? ». Nous allons aussi lancer un travail d’éducation à la paix, adapté à la situation locale, basé sur les cultures guinéennes et répondant aux besoins actuels et aux dangers présents dans le pays. Et nous préparons une grande rencontre nationale de réflexion de la commission Justice et Paix et un Forum de l’OCPH (Organisation Catholique pour la Promotion Humaine) avec le soutien de plusieurs autres Caritas, en particulier africaines. Enfin, le thème d’action choisi pour cette année dans notre diocèse est : Evangélisation et Promotion Humaine Bien sûr, cela ne nous empêchera pas de continuer les autres actions, mais je vous en ai parlé assez longuement dans ma dernière circulaire de Mars, donc je ne vais pas le reprendre cette fois-ci.

CIRCULAIRE, Novembre 2010, 2ème partie : mes congés. Réflexions sur la situation française.

Comme vous le savez, je suis rentré en congés cette année. J’en avais bien besoin. Malheureusement, je n’ai pas pu voir de nombreux amis et parents, comme d’habitude. D’abord, je venais du Mozambique et j’ai dû couper mes congés par un voyage en Côte d’Ivoire où nous nous sommes retrouvés avec une équipe de neuf éducateurs de Côte d’Ivoire, Guinée, Bénin, Togo et France travaillant avec le MIR (Mouvement International pour la Réconciliation) et en lien avec d’autres équipes d’Afrique, pour la rédaction d’un livre pour l’éducation à la paix et la réconciliation. Dans une 1ère rencontre en 2009, nous avions déterminé le contenu de chacun des chapitres, à partir de nos différentes expériences de réconciliation. Nous avons alors confié à chacun la rédaction d’un chapitre, qu’il devait ensuite tester avec les gens avec lesquels il travaille. Nous nous sommes donc retrouvés pour lire et corriger ensemble les différents chapitres de notre livre. Ensuite, chacun devait faire une 2ème lecture personnellement avant la fin du mois d’octobre. Il nous reste maintenant à faire une rédaction finale et surtout à la réécrire en français courant. En effet, nous voulons que nos livrets soient compréhensibles et utilisables par le maximum de personnes à la base, dont le français n’est pas la langue maternelle et qui n’ont pas eu la possibilité de faire des études prolongées. C’est un gros travail, assez délicat, mais nous espérons le finir le plus vite possible, pour que ces livres soient bientôt disponibles. En effet, nous pensons qu’ils répondent à un vrai besoin. A cause de cela, je n’ai pas pu faire toutes les visites prévues, mais grâce à l’amitié de nombreuses personnes, en particulier de Mouna, j’ai pu au moins téléphoner à beaucoup d’entre vous….

Mais je suis resté sur ma faim car j’aurais préféré vous rencontrer et passer quelques heures avec vous ; j’espère que je pourrai faire mieux la prochaine fois. Je ne vais pas vous raconter mes vacances. Ceux qui ont accès à Internet pourront en lire certains aspects sur mon site, dans les nouvelles. Comme d’habitude j’ai vraiment apprécié les rencontres que j’ai pu faire avec différents groupes qui nous aident ou qui sont engagés en France dans différents domaines, et avec lesquels il m’est nécessaire de rester en contact. J’ai été très impressionné par le désintéressement et la volonté de nous aider le mieux possible de beaucoup d’entre vous et je vous en remercie à nouveau.

Je voudrais quand même dire combien j’ai été profondément choqué par l’évolution actuelle de la société française, telle que j’ai pu l’apercevoir. Je ne voudrais pas être négatif, et encore une fois j’ai apprécié les efforts de beaucoup pour redresser la barre, mais malgré tous ces efforts je suis vraiment inquiet en voyant que, malgré la crise financière passée et toutes les belles déclarations, la société française reste basée sur les profits et parfois même la corruption, en tout cas, la concurrence et la promotion personnelle, même si pour cela il faut écraser les autres. Après avoir été aidées par l’argent des contribuables, les banques ont l’air de recommencer les mêmes pratiques qui ont entraîné la crise financière internationale. Et bien sûr, cette crise a pesé très lourd sur les pays africains et les pays pauvres en général, alors qu’ils n’y étaient pour rien.

Je suis vraiment inquiet de voir que la société française cherche à se maintenir sur la base de la recherche de la sécurité à tout prix, ce qui à la longue ne peut que la stériliser et tuer toute espérance et confiance dans l’avenir. Et supprimer le courage de prendre les décisions nécessaires, même si elles sont douloureuses. Bien plus, cette recherche de la sécurité à tout prix ne peut se faire que par la peur et la répression qui bien sûr retombe toujours sur les plus faibles. Cela ne peut qu’augmenter encore la violence, car la violence entraîne la violence ; comme le disaient les anciens « qui sème le vent récolte la tempête ». Je ne peux pas comprendre que l’on décide de punir les parents des enfants délinquants. Comme s’ils n’avaient assez de problèmes comme cela et n’avaient pas beaucoup plus besoin de soutien que de condamnation. Au lieu de mettre en place une éducation et une prévention, on privilégie la punition. Je ne peux pas accepter les orientations officielles, que ce soit par rapport aux réfugiés politiques, aux migrants économiques et à tous les autres étrangers qui viennent chez nous, et en particulier notre comportement par rapport aux personnes sans-papiers, aux gens du voyage (qui ne sont pas tous des Roms), ni par rapport aux délinquants d’origine étrangère. Comme si tous les étrangers étaient des délinquants, et tous les délinquants étaient d’origine étrangère. D’ailleurs, qui n’est pas d’origine étrangère, si l’on remonte un peu haut ? Dans tout cela, le plus grave à mon avis, c’est que la société française est en train de perdre ses valeurs. On disait que la France était non seulement la fille aînée de l’Eglise, mais aussi la patrie des droits de l’homme. Qu’en est-il actuellement ? On est en train de trahir la confiance et de briser l’espoir de nombreux peuples qui comptaient encore sur nous. Et où sont la liberté, l’égalité et la fraternité, actuellement ? J’ai déjà expliqué tout cela dans mon site, rubrique «les Nouvelles» du 5 Août.

J’ai pu assister aux premières manifestations contre la mise en place du nouveau régime de retraite, et rentré en Guinée, j’ai essayé de continuer à suivre l’évolution des choses. Je pense que à peu près tout le monde comprend que, avec le vieillissement de la population, il faudra bien travailler et cotiser plus longtemps. Surtout que les gens entrent de plus en plus tard au travail, non seulement à cause d’études prolongées, mais aussi et peut-être surtout à cause du chômage des jeunes. Alors je me demande si le vrai problème qui a causé toutes ces manifestations n’est pas autre chose que l’âge de la retraite. N’est-ce pas beaucoup plus le problème du chômage, en particulier celui des jeunes qui ont de plus en plus de mal à trouver du travail. Sinon, pourquoi les jeunes seraient-ils ainsi entrés dans le mouvement ? N’est-ce pas aussi le problème des inégalités et de l’injustice qui traite tous les travailleurs de la même façon, quels que soient leurs problèmes, leur sexe (les femmes doivent souvent interrompre leur travail ne serait-ce que pour s’occuper de leurs enfants, ce qui est essentiel), ou des conditions de travail plus dures. Il me semblerait important en particulier de trouver des solutions aux souffrances de tous ces travailleurs stressés qui finissent par se suicider. Il y a là une question vraiment très grave. En Afrique, nous ne connaissons pas le suicide, heureusement, même si nous avons beau coup d’autres problèmes ! Par ailleurs, si on a eu tant de tensions, est-ce à cause de l’âge de la retraite en lui-même ou bien de la façon dont le problème est traité, souvent avec condescendance et même parfois mépris, en cherchant à imposer des solutions de force au lieu de prendre le temps du dialogue et d’expliquer le pourquoi des choses, même si cela doit prendre beaucoup plus de temps. C’est donc au-delà de l’âge de la retraite, toute une façon de gouverner qui serait peut-être à revoir. En tout cas, c’est ce que je ressens, de loin, à travers ce que l’on peut en dire. Je ne suis pas un spécialiste, je voulais simplement partager avec vous l’impression que tout cela donne à nous qui vivons à l’étranger. Bien sûr, je serai très heureux d’avoir votre avis et vos réactions à ce que je dis, vous qui êtes sur le terrain et donc qui les vivez plus directement et plus profondément.

Une autre chose m’a beaucoup marqué pendant ces congés. J’ai vécu le décès de parents et amis auxquels j’étais très attaché. Bien sûr, vu mon âge ce n’est pas étonnant, et ce sera bientôt mon tour. J’ai vu tous les efforts qui sont déployés pour prolonger la vie, mais avec toutes les questions que cela pose, allant même jusqu’à poser la question de l’euthanasie pour certains. Pour moi, j’ai surtout beaucoup souffert de voir certains de mes amis âgés et malades qui se sentent tellement diminués qu’ils ne veulent même plus recevoir de visites, sans doute parce qu’ils ne peuvent accepter leur condition physique et psychologique présentes. Cela m’a beaucoup touché. Je me pose beaucoup de question à ce sujet. Je me demande en particulier comment dans ces conditions, ils vont terminer leur vieillesse et vivre leur mort. Pour moi, une mort se vit en famille et même en communauté, et non pas tout seul. C’est un départ et le résumé de toute une vie, qui donc doit aboutir à un nouveau départ et non pas à une fin dans le découragement. En tout cas, c’est ce que j’ai la chance de vivre en Guinée où les personnes âgées restent dans leurs familles –même si celles-ci n’ont pas les moyens de les soigner. Et où tout le monde se rassemble au moment de la mort, pour vivre cette mort ensemble et ne pas laisser celui qui s’en va, tout seul. Par contre, j’ai été heureux et très touché de rencontrer aussi certaines personnes âgées qui ont su rester ouvertes et bien vivantes, en sachant qu’elles vont bientôt nous quitter et qui arrivent à vivre cela dans la paix.

CIRCULAIRE Novembre 2010 – 3ème partie : Le lancement de l’année pastorale en Guinée

Lancement de l’année pastorale .

Dès mon retour en Guinée, j’ai participé à la session diocésaine pour le lancement de l’année. Nous avons commencé par deux jours de prières. Puis nous avons eu deux jours de formation avec Gérard VIEIRA qui est l’archiviste général des Spiritains, venu spécialement en Guinée malgré son âge et ses problèmes de santé. Il connaît bien le pays, car il a longtemps travaillé en Guinée et il y revient régulièrement. Puis, les deux derniers jours nous avons préparé ensemble les activités de l’année et l’exhortation de l’Evêque pour le 2ème tour de l’élection présidentielle (voir plus haut). Comme thème d’action pour cette année, nous avons choisi : Evangélisation et Promotion Humaine, à la suite du 2ème Synode pour l’Afrique. En effet, nous voulons mettre en place des propositions de ce Synode, en particulier dans le domaine de la famille, où se posent beaucoup de problèmes et de difficultés, matériels, économiques mais aussi psychologiques, sociaux et spirituels. Et ensuite dans tous les autres domaines de la vie : » promotion de tout l’homme et de tous les hommes ». En effet, nous pensons que, au-delà de tous nos problèmes politiques, c’est cela la question de fond. C’est dans la mesure où nous pourrons assurer une véritable promotion humaine de tous les guinéens, en commençant par les plus nécessiteux, que le pays pourra retrouver la paix et se développer véritablement. Nous sommes en train de préparer maintenant des fiches d’animation sur ce thème qui vont être travaillées par les Communautés de quartiers tout au long de l’année, spécialement pendant les temps de l’Avent et du Carême, avant d’être célébrées au grand pèlerinage de BOFFA au mois de Mai.

Pour les Commissions de « Justice et Paix » et de « Pastorale sociale » dont je suis responsable, nous avons assuré le lancement des activités, mais nous prévoyons pour l’OCPH (Organisation Catholique pour la Promotion Humaine) un grand forum, avec le soutien des Caritas internationales africaines, du Sénégal, notre voisine, mais aussi des Caritas américaines et italiennes qui nous soutiennent spécialement en Guinée. Le but, c’est de faire une réflexion en profondeur sur nos façons de travailler, afin de mieux nous adapter à l’évolution actuelle du pays. Et que nos actions répondent mieux aux besoins réels des gens. Nous avons donc commencé par préparer un questionnaire de réflexion auprès de nos différentes équipes pour essayer de mieux cerner la réalité. A partir de là, dans notre forum nous pourrons en tirer les conclusions qui s’imposent.

Pour « Justice et Paix », nous avons prévu également une assemblée de trois jours au niveau national dans le même esprit pour une réflexion de fond sur ce que doit être une commission justice et paix actuellement en Guinée et prévoir ensemble les actions à mener dans les trois diocèses.

Pour la « Pastorale sociale », nous avons également lancé un Centre de formation agricole à WONKIFON à la fois pour former les catéchistes et leurs femmes : d’abord pour leur permettre de gagner leur vie. Mais aussi pour être des agents de développement dans leurs villages. En même temps, nous formerons les jeunes des villages environnants. Nous commençons par des activités productives (riz, légumes, petit élevage). Ensuite, nous apprendrons à améliorer les techniques de travail et aussi à transformer les produits pour pouvoir les conserver, pour une meilleure commercialisation. Nous avons déjà envoyé quelqu’un se former pour cela au BENIN. Bien sûr, tout cela va se faire peu à peu ; c’est pourquoi il est important de suivre les choses concrètement. Pour cela, nous avons reçu Fabien, un coopérant envoyé par la DCC (Délégation Catholique à la Coopération) qui va travailler avec Benoît, un Guinéen. Car bien sûr dans ce genre de travail il est nécessaire d’avoir quelqu’un du pays qui connaît très bien les réalités locales, l’apport extérieur ne pouvant être qu’un complément.

De même, nous allons élargir les expériences des écoles de brousse de OUROUS (Voir mon site pour plus de renseignements) à KOUNDARA dans le nord du pays. Pour cela, nous avons reçu une comptable, envoyée également par la DCC, Emmanuelle. Il est important pour nous d’avoir une comptabilité claire à fournir aux Associations qui nous aident. Ce sont les Guinéens et les responsables des deux paroisses qui continueront à assurer la responsabilité et le suivi des affaires.

Pendant ces vacances, et pour la 2ème année, les Centres aérés prévus se sont déroulés dans de très bonnes conditions, grâce au soutien d’amis, à la grande satisfaction des enfants, des parents et des autorités locales, administratives et religieuses musulmanes. Je crois que nous avons commencé là quelque chose de très important. Nous allons tout faire pour que cette expérience d’éducation et de responsabilisation des enfants en situation difficile puisse s’étendre et s’intensifier. Cette année, nous sommes passés de 4 à 11 quartiers. Nous avons accueilli 1187 enfants, encadrés par 80 éducateurs bénévoles. Je suis particulièrement heureux de cette action, d’autant plus que j’étais absent du pays. Elle a donc été totalement prise en charge par les éducateurs que nous avions formés pendant l’année. Ce qui est à la fois un signe de réussite et un gage d’espérance pour l’avenir. La dimension formation et éducation a été beaucoup plus développée que l’année dernière, pour faire des enfants de vrais acteurs dynamiques, dans leurs familles, leurs écoles et leurs quartiers, à partir de la formation reçue. En particulier grâce au jeu sur les droits de l’enfant que nous avons composé. Et aussi un autre jeu sur les droits humains. Nous allons faire l’évaluation finale de ces Centres aérés, que nous n’avons pas pu faire plus tôt à cause des élections. Il s’agit pour nous de continuer à les améliorer et à mieux les orienter. Et aussi de commencer pour cette nouvelle année la formation de nouveaux éducateurs, ce qui va nous demander à nouveau des fonds. En effet, ce qui nous limite dans cette action, c’est le manque de moyens : nous avons reçu de nombreuses autres demandes d’autres quartiers que nous n’avons pas pu accepter, mais aussi de l’intérieur du pays. Et c’est vrai que cela serait important de mener des actions dans les villes de l’intérieur du pays.

A la paroisse, j’ai la chance d’avoir reçu un vicaire et un stagiaire, tous les deux Guinéens. Cela me soulage beaucoup dans les activités qui étaient vraiment trop lourdes pour une seule personne. En plus, cela va me permettre de préparer l’avenir, en formant des jeunes prêtres guinéens. Pour commencer, nous avons pris le temps de nous connaître. Ensuite, je leur ai présenté la paroisse et la façon de travailler de l’année dernière. A partir de là nous avons défini nos priorités ; nous nous sommes partagés les responsabilités et nous allons étudier avec le Bureau de la paroisse nos nouvelles orientations, avant de les présenter au Conseil paroissial élargi, pour que les délégués de tous les groupes de la paroisse puissent donner leur avis. Ce qui nous bloque là aussi c’est le manque de moyens. En effet, le Conseil Economique d’abord a de la peine à prendre en charge le fonctionnement de la paroisse. Chaque groupe et mouvement a maintenant renouvelé son Bureau pour cette nouvelle année pour être plus efficace et a préparé son plan d’action. Le Bureau du Conseil paroissial et l’équipe responsable des jeunes arrivent à la fin de leur mandat ; nous allons donc les renouveler.

Les activités sont donc lancées. Bien sûr il faudra maintenant nous adapter aux circonstances, car dans cette période de transition nous ne savons vraiment pas ce que nous réserve l’avenir. C’est pour cela que nous comptons encore plus que par le passé sur votre amitié, votre soutien et vos prières en cette période difficile pour nous. Merci à tous ceux qui nous accompagnent dans nos efforts. Soyez sûrs que nous ne vous oublions pas et que nous vous sommes très reconnaissants pour tout ce que vous faites pour nous.

Avec toute mon amitié. ARMEL

Circulaire de Novembre 2.010 - 4° partie. Mon séjour en Guinée P.S.

Plusieurs personnes m’ont demandé de leur rappeler ce que j’avais vécu depuis mon arrivée en Guinée en 1996. Bien sûr, il n’est pas possible de tout raconter, mais voici l’une ou l’autre chose qui m’ont frappé davantage ; vous trouverez des détails de tout cela dans mon site : http://armel.duteil.free.fr aux rubriques : Mongo, Kataco, Taouyah et à Circulaires.

Je suis donc arrivé en Guinée en 1996, à MONGO, pour rouvrir une paroisse fermée depuis l’expulsion des missionnaires par Sekou Touré, en 1967. Pendant 30 ans, ce sont donc les laïcs qui ont tenu cette paroisse, l’une des plus importantes de Guinée. A notre arrivée, avec Christopher, puis John des confrères nigérians, nous avons relancé les activités et mis en place de nouvelles communautés chrétiennes de villages, pour atteindre le nombre de 42 ; nous avons cherché à ce que ces communautés soient animées par un bureau où les gens partagent les différentes responsabilités en se complétant et non par seulement un catéchiste qui dirigerait tout à la place du curé. Nous avons voulu que ces communautés ne prennent pas seulement en charge la prière du dimanche et les autres prières, la catéchèse et la préparation aux sacrements, mais aussi qu’elles animent la vie des villages : travail à l’évangélisation du milieu en lien avec les gens des autres religions et au développement de la région avec tous les habitants, en lançant en particulier des petits projets de développement : agriculture, élevage et artisanat. Nous avons voulu aussi mettre en place une éducation des enfants, qui parte de la base.

Mais la raison principale de notre venue à Mongo était de TRAVAILLER AVEC LES REFUGIES. En effet, suite à la guerre du Libéria, puis de la Sierra Léone, avec toutes ses atrocités, de nombreuses personnes étaient venues se réfugier en Guinée, à tel point que, en 2000, ils étaient plus nombreux que les Guinéens eux-mêmes (environ 125 000 dans le secteur de Mongo). Ces réfugiés étaient regroupés dans des camps, supervisés par le HCR des Nations Unies (Haut Commissariat aux Réfugiés), avec l’aide du PAM (Projet Alimentaire Mondial) pour la nourriture, et d’un certain nombre d’ONG, pour les cultures, la santé, l’aménagement des camps, mais aussi la guérison des traumatismes, etc… Notre originalité, c’est que au lieu de venir depuis les villes GUECKEDOU et de KISSIDOUGOU, quelques heures pour une activité ponctuelle, nous parlions la langue des gens et vivions dans les camps et les villages, mangeant et dormant avec les gens. Nous avions mis l’accent également sur l’éducation des enfants et des adultes aux droits de l’homme, à travers des activités adaptées. C’est cela qui nous a permis d’aider les réfugiés à réorganiser la vie sociale dans les camps, alors que les familles avaient été complètement dispersées et cassées par la guerre. Pour cela nous avons soutenu les efforts d’unité en organisant des coordinations entre les différentes religions chrétiennes d’abord, avec les musulmans et les adeptes de la religion traditionnelle ensuite, et cette organisation ne s’est pas contentée de préparer des prières, elle a cherché à régler les problèmes de la vie sociale dans les camps : vols, agressivité, prostitution, etc… Les réfugiés se plaignaient souvent en disant : les ONG et l’ONU font beaucoup de choses pour nous, mais ce sont toujours eux qui décident ce qu’ils veulent faire et ne nous demandent jamais notre avis. L’organisation que nous avons mise en place dans les camps leur a permis de prendre la parole et d’être davantage écoutés. Nous n’étions pas des spécialistes, et il y avait des ONG qui avaient mis en place tout un programme de guérison des traumatismes vécus pendant la guerre, mais nous avons cherché à libérer les gens, en leur donnant l’occasion de raconter tout ce qu’ils avaient vécu et subi, par des chants, des danses et des théâtres communautaires. Cela aussi a été très important.

Au début de la guerre, ce sont les populations guinéennes, pourtant elles-mêmes très pauvres, qui ont accueilli et pris en charge les réfugiés pendant trois années, avant que l’ONU arrive ; et même par la suite, les populations ont fait plus pour les réfugiés que les organisations des Nations Unies. Mais cela a eu des conséquences graves pour la région : les réfugiés avaient besoin de vivres, les Guinéens leur ont donné des terrains, mais à ce moment-là les temps de jachère pour que la terre se repose n’ont plus été respectés et les terres se sont épuisées. Pour gagner de l’argent, les réfugiés ont fait du charbon de bois et du vin de palme, mais avec comme conséquence une déforestation très importante qui a fait que le sol n’a plus été retenu par les arbres et enlevé de plus en plus par la pluie, d’autant plus que la région est très vallonnée. Il y a donc eu des conséquences très graves sur l’environnement. De plus, les ONG aidaient les réfugiés qui recevaient de la nourriture et étaient soignés gratuitement dans les dispensaires, alors que les Guinéens qui les accueillaient devaient payer leurs médicaments et ne recevaient aucune nourriture. A la longue, cela a fait naître de fortes tensions chez les Guinéens et des réactions de plus en plus vives. Travaillant avec les uns et les autres, nous avons pu régler un certain nombre de problèmes et nous avons diminué les tensions, pour arriver à une compréhension mutuelle et des actions communes qui ont été bénéfiques pour tous

Au bout de 10 ans, mon évêque, qui était devenu entre temps archevêque de CONAKRY, a demandé si je pouvais venir à KATACO, un secteur très difficile qui avait été fermé suite à de nombreuses menaces de mort contre les missionnaires. Là, il n’y avait pas de réfugiés, mais avec les Guinéens nous avons cherché à mettre en place des communautés de villages, prenant en charge toute la vie, un peu comme à Mongo, et en travaillant avec tous ; et aussi à soutenir le travail de développement lancé par les Frères et les Sœurs, de même que par nos prédécesseurs : écoles, dispensaire, développement agricole, etc.. Mais les lenteurs et les blocages ont persisté. Si bien que tout cela n’a pas véritablement marché. De plus, les tensions ont continué, et même augmenté, si bien que en avril 2008 le Frère Joseph a été assassiné (voir mon site). Malgré tout, nous avons décidé de rester à Kataco et de continuer notre travail.

Entre temps l’Evêque m’avait demandé de prendre la responsabilité de la paroisse voisine de BOFFA où il y avait également des problèmes. Il m’avait déjà nommé responsable de la Commission « Justice et Paix » au niveau national et responsable de la « Pastorale Sociale » (actions de développement et humanitaires pour l’Archidiocèse de Conakry (voir dans mon site les rubriques « Justice et Paix », et « Travail social et humanitaire »). Non seulement tout cela faisait trop, mais ce travail ne pouvait pas être assuré à partir de Kataco ni de Boffa. C’est pourquoi, en Octobre 2009, l’Evêque m’a nommé curé d’une paroisse de la ville de Conakry : Taouyah, en me laissant malgré tout mes responsabilités nationales et diocésaines, ce qui est très difficile à assurer. A ce sujet, je remercie beaucoup les paroissiens de Taouyah pour leur compréhension et leur engagement, car je ne suis présent dans la paroisse qu’un dimanche par mois et les rencontres, réunions et autres activités doivent se tenir en semaine et les soirs, ce qui est très difficile, vu l’insécurité, le manque de moyen de transport et d’électricité, et tous les autres problèmes de la ville.

Au niveau politique, à la mort de l’ancien président Lansanna CONTE, les militaires ont pris le pouvoir en Décembre 2008, avec toutes les conséquences que l’on devine. (Voir dans mon site la rubrique « Situation du pays »).

Depuis les tueries de 2006 et 2007, la société civile, conduite par les syndicats, avait commencé à se réveiller et à s’organiser ; et bien sûr nous avons soutenu ses efforts. Le 28 Septembre 2009, les partis politiques d’opposition ont organisé une grande manifestation pour demander que les militaires rendent le pouvoir aux civils. Des soldats ont alors envahi le stade et ont tiré dans la foule, violé des femmes et des jeunes filles en plein stade, en emmenant certaines avec eux dans des villas pour les violer et pendant plusieurs jours. On a compté près de 200 morts. Nous avons alors cherché à soutenir les blessés, les femmes violés et leurs familles, aux niveaux matériel et psychologique, mais en gardant une discrétion totale pour que ces personnes ne soient pas repérées par les militaires, tuées ou enlevées.

Nous avons soutenu également la mise en place d’une démocratie véritable et d’élections justes et transparentes. Nous nous sommes donc engagés dans un travail d’éducation aux droits de l’homme, à partir de la doctrine sociale de l’Eglise, et aussi de préparation aux élections, de réflexion sur la démocratie, sur les programmes des candidats, en formant des observateurs indépendants pour les élections, etc… C’est cela qui nous a principalement occupés jusqu’en septembre 2010,  en cherchant en particulier à mettre en place des commissions « Justice et Paix » et « Pastorale Sociale » actives dans chacune des paroisses, et en formant les membres pour cela.

La préparation du DEUXIEME SYNODE POUR L’AFRIQUE dont c’était justement le thème : Réconciliation, Justice et Paix, nous a été une aide précieuse. Dans le même temps, nous avons cherché à mettre en place des projets de développement, mais il faut reconnaître que cela est beaucoup plus difficile et avance lentement, les gens ayant pris l’habitude d’attendre des cadeaux au lieu de se mettre eux-mêmes au travail et les responsables anciens ayant détourné des fonds et perdu toute autorité et crédibilité. Cette année, nous avons commencé à mettre en place progressivement de nouvelles équipes.