Père Armel DUTEIL
Mission catholique
B.P. 2016
Conakry (Guinée)
Tél. : 00224 64 40 92 18
Février 2009
Chers Amis,
Beaucoup de choses se sont passées depuis mon retour en septembre en Guinée, mais j’étais en même temps très occupé, c’est pour cela que vous n’avez pas reçu de circulaire depuis un certain temps. C’est un peu tard pour vous souhaiter une bonne année, mais soyez sûrs que je pense souvent à vous et j’espère que cette lettre vous trouvera dans la paix. Je vous rappelle que si vous avez une adresse mail vous-mêmes, ou des amis, et que vous souhaitez que je leur envoie ces circulaires, vous pouvez me communiquer ces adresses « mail » car c’est plus facile d’envoyer des documents par internet. En effet, la poste ici fonctionne très mal, malheureusement.
A la fin de l’année pastorale dernière, j’avais demandé à être libéré de la paroisse de Kataco pour pouvoir me consacrer davantage aux deux commissions : « Justice et Paix » et « Pastorale sociale ». Pour ces commissions, je suis appelé à me déplacer sur toute l’étendue du pays et également à l’extérieur puisque au mois de décembre on m’a demandé d’intervenir sur le programme des migrants à une rencontre ouest-africaine à Cotonou, au Bénin, et que en Juillet j’irai aussi au Mali pour une rencontre sur « Justice et Paix ». Cela ne me permet donc pas de faire un travail suivi dans la paroisse de Kataco, même si pour ces sessions internationales j’essaie d’envoyer au maximum des membres guinéens de la commission, comme je vais le faire, par exemple, pour une session sur la non-violence en Côte d’Ivoire en Juillet, afin qu’ils puissent se former, voir ce qui se fait ailleurs et ainsi avoir une équipe davantage étoffée ; mais il y a des moments où il faut que j’y aille moi-même.
Au lieu de me libérer de Kataco, ce qui n’a pas été possible par manque de personnel, on m’a demandé au contraire de prendre, en plus de mes responsabilités précédentes, la paroisse de BOFFA. Boffa, c’est la première mission catholique de toute la Guinée. Elle a été fondée par les trois fils d’un ancien roi de Guinée, au XIXème siècle, qui étaient partis faire des études au Sénégal. Ils se sont convertis au christianisme, et au retour chez eux ils ont demandé à leur père, le roi de la région, de faire venir des missionnaires. Ce qui a été fait. Boffa est donc un haut lieu de la chrétienté de Guinée et tous les ans se tient un pèlerinage national qui attire beaucoup de monde, ce pèlerinage étant précédé par une marche de 150 km à laquelle participent non seulement des jeunes mais aussi des chrétiens adultes et même l’Archevêque. Vous pouvez voir sur mon site, un compte rendu du dernier pèlerinage, dans la rubrique « Justice et Paix ».
Boffa est donc la première mission catholique de Guinée et comme beaucoup d’anciennes missions elle a eu de la peine à évoluer, les anciens chrétiens ayant tendance à rester bloqués sur leurs anciennes habitudes. Cela d’autant plus que les missionnaires expulsés par Sékou Touré en 1957 ont été absents pendant plus de 20 ans dans le pays, le clergé guinéen étant très peu nombreux. C’est aussi une paroisse très difficile où il y a eu, et il y a encore, de très nombreux problèmes. C’est pour cela que sept curés se sont succédés en 5 ans. Voilà pourquoi, malgré mes nombreuses charges, on m’a demandé de prendre également la direction de Boffa, car on sentait le besoin d’un ancien qui, non seulement a de l’expérience, mais aussi du poids (en Guinée les vieux sont très respectés, comme dans toute l’Afrique Noire) et qui donc pouvait avoir l’autorité nécessaire pour régler un certain nombre de problèmes. En effet, notre difficulté actuellement, en tant que missionnaires, c’est d’abord que nous ne sommes par très nombreux puisque nous sommes demandés dans le monde entier et que nous n’arrivons pas à répondre à toutes les demandes, mais c’est aussi le fait que les missionnaires africains qui ont pris la place des européens sont encore jeunes ; il faut donc qu’ils aient le temps de se former et d’acquérir un minimum d’expériences. Ainsi, je me retrouve à Boffa avec un jeune confrère sénégalais et un stagiaire nigérian, c’est-à-dire un grand séminariste venu faire son stage pratique missionnaire sur le terrain. Ensemble, nous essayons de réorganiser la paroisse, en particulier les communautés de quartiers ou de villages, les mouvements et les différentes commissions. Mais il y a beaucoup de choses à faire pour stabiliser la région, pour résoudre les incompréhensions et amener une véritable entente et unité, qui bien sûr est toujours à refaire, que ce soit à Boffa ou ailleurs. J’ai maintenant terminé de faire le tour des différentes communautés de villages et de quartiers, les mouvements sont relancés et nous nous retrouvons régulièrement avec l’ensemble des jeunes, qui sont notre priorité, et également le conseil paroissial. Pendant le temps de Noël, je suis resté durant 15 jours, ce qui m’a permis de rencontrer les personnes dans de meilleures conditions, de mieux comprendre leurs problèmes et leurs difficultés, de les écouter en étant attentif à leurs façons de réagir, et je crois que cela a été bon pour tout le monde.
A Boffa, l’une de nos actions importantes, c’est l’école primaire et l’internat. L’enseignement est en pleine décomposition en Guinée, et cela depuis de nombreuses années pour des tas de raisons : laisser aller, problèmes financiers, corruption, etc…, car le pays tout entier était en pleine décrépitude. D’où l’importance pour nous de mettre en place une école primaire de qualité ; et, en effet, l’année dernière l’école a eu 100 % de reçus au concours d’entrée en 6ème. Mais il n’est pas question pour nous de former une petite élite en oubliant les autres élèves ! Il s’agit au contraire de faire progresser l’ensemble des écoles. Et le fait d’avoir une école nous permet d’être insérés dans tout le système scolaire, d’être connus par les responsables d’ enseignement et donc à partir de là d’agir pour améliorer les choses, pour assurer un soutien, non seulement à nos enseignants mais à tous ceux de la région et travailler tous ensemble à faire avancer l’école. De même, notre propre école s’adresse en priorité aux enfants des villages, car sinon ils ne pourraient pas faire des études, et pour nous il est important que les enfants des milieux pauvres et de milieu rural puissent être formés tout autant que les enfants de la ville. Ce n’est pas facile, car les parents de ces enfants ont des moyens financiers très limités, ce qui fait que nous sommes toujours sur la corde raide, d’abord pour payer les enseignants, puisque les frais de scolarité payés par les parents sont très réduits. Mais c’est notre choix et nous nous y tiendrons, car ces enfants viennent souvent de villages où il n’y a pas d’école et c’est donc leur seule chance d’étudier. C’est d’ailleurs pour cela qu’à côté de l’école nous avons ouvert un internat et que, également dans cet internat, nous accueillons des enfants des villages et des enfants des familles nécessiteuses des quartiers populaires de Conakry. Grâce au soutien d’un certain nombre d’amis, connus et inconnus, mobilisés par un de mes neveux, nous avons pu obtenir des fonds nécessaires pour rénover cet internat et le rendre habitable. Nous allons maintenant réaménager les toilettes et faire un nouveau château d’eau ; jusqu’à maintenant nous n’avions qu’une cuve où nous conservions l’eau, mais elle était souvent polluée et en tout cas de mauvaise qualité, si bien que les enfants de l’internat et de l’école avaient des diarrhées et d’autres problèmes de santé. Je profite donc de cette occasion pour remercier tous ceux qui nous ont soutenus dans ce travail de rénovation. Depuis quelques années, il y a également des personnes qui parrainent les enfants, environ une trentaine ; mais en fait ils ne prennent en charge que les frais de scolarité, ce qui est déjà appréciable, mais ne peut servir qu’aux enfants de Boffa même. Nous voudrions faire prendre en charge et parrainer un certain nombre d’enfants de l’internat de manière à pouvoir en accueillir davantage qui viennent de loin ou de familles pauvres. Les demandes sont très importantes, ce sont les moyens qui nous manquent. Je rappelle que vous pouvez voir des photos et avoir des renseignements sur tout ce travail d’éducation, comme sur les autres projets de développement dont je vous ai souvent parlé, en consultant mon site, que ce soit dans « l’album photos » ou dans les rubriques « Projets », « Pastorale sociale ». Pour le suivi de cette école ou de cet internat, nous sommes très heureux d’avoir accueilli notre stagiaire, Patrick BULUS, qui a déjà une très grande expérience de l’éducation en école et en internat au Nigéria. Il a vraiment remis les choses en marche et c’est une très grande sécurité pour nous ; en sachant qu’il suit les affaires de près nous sommes donc libérés pour d’autres activités.
Tout en assurant ce suivi de Boffa, je continue à soutenir mon ancienne paroisse de KATACO où il y a beaucoup de choses encore à faire. Depuis l’assassinat du Frère Joseph, l’église centrale est toujours fermée. Nous continuons à suivre les gens et à voir ce qu’il va être possible de faire avec eux. Par contre toutes les autres communautés de villages fonctionnent bien, sans trop de problème. Le travail régulier est assuré par Igbé avec qui nous avons déjà travaillé deux ans à Kataco et donc qui connaît très bien les problèmes et qui peut assurer la responsabilité de cette paroisse. Lui aussi a reçu un stagiaire nigérian pour le seconder. Notre gros problème à ce niveau, ce sont les jeunes. Nous essayons de les regrouper, mais c’est très difficile. Nous avions prévu une rencontre de réflexion pour tous les jeunes de notre région, autour de notre Evêque, au moment de Noël. Un message de l’Evêque avait été envoyé et travaillé dans toutes les paroisses, dans chacun des mouvements ou des groupes de jeunes et la rencontre dite générale devait se tenir entre Noël et le 1er Janvier. Malheureusement, comme vous le savez sans doute, nous avons vécu un coup d’état, et étant donné la situation politique, il n’était pas possible d’organiser une grande rencontre. Nous espérons le faire au moment de Pâques, non seulement dans notre région, mais avec tous les jeunes de Conakry, pour réfléchir à la fois à leur engagement dans l’Eglise, les communautés de quartiers et les mouvements, et à leur engagement dans le pays. Ce qui est d’autant plus nécessaire, que la nouvelle situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement montre comme un réveil de la population, mais il y a beaucoup de choses à faire et à réorienter.
A Kataco, l’internat et l’école sont pris en charge par les Frères ; il n’y a donc pas de problèmes ; de même le dispensaire est tenu par les Sœurs, il marche très bien et les gens viennent même de la ville de Kamsar pour se faire soigner, vu la qualité de l’accueil et des soins assurés par les Sœurs, et cela malgré nos manques de moyens. Et je les remercie de tout cœur.
L’un de nos problèmes actuels est celui de la Banque alimentaire. Nous avons créé cette Banque pour que les paysans puissent venir y déposer leurs récoltes et leurs semences et ainsi les conserver dans de bonnes conditions, jusqu’au moment où ils vont les consommer ou faire de nouvelles semailles. Mais par la même occasion, nous achetons –grâce à des capitaux reçus du Secours catholique américain- plusieurs centaines de tonnes de riz à prix réduit au moment de la récolte, et nous le revendons au moment de la soudure, avec simplement 10 % de bénéfice pour assurer le fonctionnement de cette Banque et le paiement de ceux qui y travaillent. Ceci afin de fournir du riz à prix réduit et de lutter contre les usuriers. En effet, beaucoup de paysans s’endettent et engagent leurs récoltes futures auprès des commerçants lorsqu’ils ont besoin d’argent liquide, et pour certains tout leur riz est déjà vendu avant même la récolte. De plus, ces commerçants revendent le riz au moment de la période soudure, quand il n’y en a plus, à un prix très élevé et font ainsi de gros bénéfices. Grâce à la Banque alimentaire, nous pouvons mettre sur le marché une quantité importante de riz à prix réduit –donc, pour nous, à prix normal- ce qui oblige les commerçants et autres usuriers à s’aligner sur nos prix, au bénéfice de toute la population. Nous assurons aussi, grâce aux bénéfices de la Banque, des crédits pour aider les paysans à acheter des engrais, des outils, des semences ou même à payer des travailleurs au moment de la préparation des rizières ce qui est un très gros travail. Mais là nous rencontrons un certain nombre de difficultés, car souvent les gens ont de la peine, et même mettent de la mauvaise volonté, à rembourser les crédits qu’ils ont reçus. De même pour les travailleurs de la Banque alimentaire qui brassent une grande quantité d’argent, la tentation est parfois grande, étant donné leur propre difficulté à nourrir leurs familles, de détourner une partie de l’argent. C’est le problème que nous avons actuellement. Je vais donc repartir à Kataco pour voir ce qu’il est possible de faire, pour le remboursement des dettes, pour éviter les détournements, mais aussi pour mettre en place une épargne. En effet, nous voudrions que les paysans arrivent à s’organiser et à mettre en place une épargne qui leur fournirait les capitaux dont ils ont besoin pour travailler, au lieu de toujours compter sur des crédits qui les amènent parfois à faire des dépenses inconsidérées ou en tout cas pas nécessaires, à s’endetter plus que de raison, et ensuite ils sont coincés pour de nombreuses années, mettant même leurs rizières en gage et perdant ainsi toute possibilité de faire vivre leurs familles. C’est un grand changement de mentalité auquel il faut parvenir, car bien sûr, surtout quand les moyens sont limités, c’est plus facile de compter sur des crédits que de réaliser une épargne personnelle ou communautaire. Mais vu les problèmes qu’ils rencontrent, et en essayant de les faire réfléchir, nous pensons bien y arriver peu à peu.
Et puis, à côté de cela, il y a le travail dans les deux commissions : la commission de « Justice et Paix » et la commission de « Pastorale sociale ». Ceux qui reçoivent mes nouvelles par mail, ou qui ont consulté mon site internet, savent de quoi il s’agit et ont pu suivre l’évolution des choses, au fur et à mesure. Mais là aussi nous nous trouvons à un tournant. En effet, nous ne voulons plus que les choses soient décidées d’en haut, ou dans les bureaux. C’est pour cela que, depuis Octobre dernier, avec les deux équipes diocésaines de ces deux commissions, nous allons chaque dimanche dans une paroisse différente pour mettre en place deux commissions paroissiales : une de pastorale sociale, qui s’occupe plus des problèmes économiques, sociaux, du soutien aux pauvres, de l’organisation d’épargne, de la mise en place de projets de développement et de groupements productifs ; et la commission « Justice et Paix », qui, elle, cherche davantage à lutter contre les injustices dans les quartiers, à amener la paix et la réconciliation et à défendre les différents et les marginalisés. Dans tout cela, nous nous appuyons bien sûr, sur les droits de l’homme, dans toutes leurs diversités : droits des enfants, droits des femmes, droits des travailleurs, droits des réfugiés, droits des immigrés, droits des handicapés, etc… la liste est longue, et nous voulons pouvoir travailler avec tous, pas seulement les chrétiens. Ce qui demandera beaucoup de temps, puisque sur la seule ville de Conakry il y a 30 paroisses, et surtout il faut changer les mentalités : que les gens comprennent l’importance de s’engager, de compter sur eux-mêmes, et non plus sur l’extérieur ou sur les gens du sommet, et de prendre leurs problèmes à bras le corps en cherchant à les résoudre d’abord par leurs propres moyens. Tout cela est un grand changement. Ce travail social, économique et humanitaire de l’Eglise était confié à une organisation : l’O.C.P.H. (Organisation Catholique pour la Promotion Humaine). Cette organisation a très bien travaillé, en particulier dans les années 2000, au moment des attaques rebelles lorsque la guerre venue du Libéria était arrivée en Guinée en passant par la Sierra Léone et lorsque, avec le soutien des Nations Unies, du H.C.R. (Haut Commissariat aux Réfugiés) et d’autres grandes ONG, nous avions les moyens de soutenir ces réfugiés. Mais le problème, c’est que peu à peu on s’est appuyé sur l’extérieur, on a compté sur des financements importants mais qui venaient de l’étranger, et lorsque le problème des réfugiés a été résolu et qu’ils sont retournés chez eux après la fin de la guerre, l’OCPH s’est retrouvée sans budget et sans activité. Pourtant les besoins sociaux sont énormes. Il y a beaucoup à faire, mais le problème encore une fois c’est qu’on avait pris l’habitude de compter sur l’extérieur.
C’est la raison pour laquelle nous mettons maintenant en place ces communautés de quartiers et ces commissions paroissiales Mais cela demande qu’on renouvelle complètement l’OCPH dans sa façon de travailler et même dans son personnel, car un certain nombre préfèrent rester dans leurs bureaux, faire de grands projets qui vont rapporter de l’argent, d’abord pour eux-mêmes, et oublient les réalités, la nécessité de se prendre en charge soi-même et même oublient les vrais besoins et les vrais pauvres qui sont autour d’eux. Il y a donc tout un travail de reprise en main qui est difficile et qui, certes, ne se fait pas sans problème.
Pour la commission « Justice et Paix », les choses sont également en train d’évoluer énormément, suite aux derniers événements politiques. Comme je vous l’avais dit dans mes circulaires précédentes, le pays était en pleine décomposition ; il était donc important de soutenir toutes les personnes qui étaient exploitées ou marginalisées dans le pays. Les grosses difficultés, c’était l’inefficacité d’un grand nombre de travailleurs, la corruption, l’armée qui sans cesse cherchait des avantages et n’hésitait pas à se mutiner et à tuer pour cela, la drogue (la Guinée était en train de devenir un plaque tournante et une voie de passage entre l’Amérique du sud et l’Europe). Je vous ai longuement parlé de cela dans mes circulaires précédentes. Le 22 décembre dernier, le Président de la République, très malade depuis de nombreuses années et qui ne dirigeait pratiquement plus le pays, est décédé. Normalement, c’était le Président de l’Assemblée nationale qui devait prendre la direction et organiser des élections futures, mais la classe politique était tellement déconsidérée et même corrompue que l’on ne pouvait rien espérer de ce côté-là et le Président de l’Assemblée nationale n’avait aucun pouvoir et n’était respecté par personne. Dès le lendemain de la mort du Président, un groupe de militaires a pris le pouvoir et jusqu’à maintenant nous sommes donc sous la direction du C.N.D.D. (Comité National pour la Démocratie et le Développement) ; c’est le nom de ce Comité de militaires qui a pris le pouvoir. Alors bien sûr, c’est un coup d’état, c’est regrettable en soi, mais tout le monde dans le pays en est très heureux, et pour plusieurs raisons. D’abord, si la passation de pouvoir et les élections s’étaient faites dans les conditions prévues, cela n’aurait fait que prolonger le régime ancien, entièrement corrompu, qui menait le pays à sa perte. D’autre part, il faut reconnaître que ce coup d’état a été fait sans effusion de sang ; il n’y a eu aucun mort et même aucun blessé et que le Président actuel, dans ses discours, cherche vraiment à changer les réalités du pays, à lutter contre la corruption et le laisser aller, à réorganiser les différents services, à lutter contre la drogue, à assurer plus de sécurité dans le pays ; et tout le monde en est très content. Le problème, c’est de savoir s’il arrivera à tenir ses promesses, d’une part, -car les problèmes sont énormes-, mais aussi est-ce qu’on le laissera faire ! Il est bien évident que ceux qui profitaient de l’ancien régime vont tout faire pour récupérer leur position et donc pour casser les efforts actuels. C’est donc très important pour nous de soutenir ce qui se cherche actuellement dans le pays, et en gardant notre liberté, en restant attentifs, en analysant ce qui se fait de manière à orienter les choses du mieux possible, et aussi en amenant des propositions concrètes. Notre crainte, c’est que l’on a promis beaucoup de choses, ce sera difficile de les réaliser rapidement, et la population qui souffre beaucoup est très impatiente et n’aura peut-être pas la patience de supporter longtemps ni d’attendre que les choses soient suffisamment mises en place, car ce coup d’état a suscité une très grande espérance qu’il ne faudrait surtout pas décevoir. D’autre part, il n’est pas facile de changer les choses rapidement, et bien sûr un régime militaire amène un certain nombre de problèmes : les barrages se sont multipliés sur les routes et souvent c’est l’occasion pour gendarmes, policiers et militaires de taxer les gens en voyage, et même parfois de les rançonner. A Boffa, depuis le coup d’état –mais je pense que c’est la même chose dans beaucoup de prisons-, il n’y a plus de nourriture pour les prisonniers car ce n’est pas la priorité, et on les a oubliés. Bien sûr, on ne peut pas être d’accord avec cela. On a organisé une lutte contre la corruption, ce qui est une très bonne chose, avec des sanctions et l’obligation pour les gens ayant détourné l’argent de le rembourser, ce qui est tout à fait normal. Mais parfois, on a peut-être tendance à accuser trop rapidement les gens et à les déclarer coupables avant qu’ils ne soient jugés. Il ne faudrait pas que cela aboutisse à une « chasse aux sorcières », sous la pression de la population. Et surtout, le problème pour nous, c’est de permettre à toute la population de changer, de se mettre au travail et de reconstruire le pays, alors qu’on a peut-être trop tendance à compter sur ceux qui ont pris le pouvoir en croyant qu’ils pourront changer les choses d’eux-mêmes, sans que nous-mêmes nous changions nos habitudes et nos comportements à la base. C’est donc à tout ce travail de conscientisation que nous nous tenons aujourd’hui, en ce moment, et bien sûr c’est un énorme travail.
En même temps, autour de notre Archevêque nous sommes en train de préparer un certain nombre de propositions pour la bonne marche du pays et déjà pour les prochaines élections, en nous basant sur l’enseignement social de l’Eglise qui nous fournit une base solide, une longue expérience et une réflexion intéressantes ; ceci à la demande même des responsables du pays.
En ce moment où je vous parle, le Président a promis d’organiser les élections présidentielles et législatives et donc de laisser le pouvoir avant la fin de l’année ; il a d’ailleurs promis solennellement que lui-même ne cherchait pas le pouvoir et qu’il ne se présenterait pas à ces élections. Un gouvernement provisoire a été mis en place par le Comité militaire, où il y a un certain nombre de techniciens civils, même si ce sont encore 10 militaires qui tiennent les postes clés, en particulier : l’économie, les finances et la sécurité. Demain va avoir lieu une grande rencontre, autour des chefs militaires actuels, de toutes les organisations de la société civile, des partis politiques, des syndicats mais aussi des responsables religieux –chrétiens et musulmans- à qui on a confié le rôle de veiller sur l’évolution du pays et de proposer des solutions et des orientations. C’est un signe important pour nous de libéralisation, de concertation et de responsabilisation de la population et nous en attendons beaucoup.
Pour le moment, dans la Commission « Justice et Paix », nous sommes en train de mettre en place tout une action pour accueillir les étrangers qui viennent s’établir en Guinée ou qui sont simplement de passage, souvent des clandestins ou des gens sans papier, qui veulent continuer jusqu’en Europe, soit par la mer, soit à travers le désert, avec toutes les morts et toutes les souffrances que vous connaissez. Il est donc pour nous important de les accueillir, de les aider à réfléchir, de leur permettre de mieux vivre leur situation. Mais notre plus grand problème c’est de pouvoir accueillir tous ces migrants qui sont expulsés d’Europe et qui reviennent chez nous souvent en très mauvais état de santé, presque toujours traumatisés et humiliés. Quand ils reviennent au pays, ils n’ont pas de travail, ils ne sont pas toujours bien accueillis et même ont honte de reprendre contact avec leur famille et c’est un problème énorme pour eux qui nous soucie beaucoup. Nous sommes donc en train de mettre en place un centre d’accueil pour toutes ces personnes pour voir ce que nous pouvons faire.
La semaine prochaine, nous organisons une session de formation pour les animateurs de prison. Il y a une prison dans chaque Préfecture, et c’est important que nous puissions soutenir, conseiller et former ces prisonniers, et aussi les aider à se réinsérer à leur sortie.
Enfin, nous allons commencer une formation d’observateurs indépendants pour que les inscriptions sur les listes électorales, et surtout les élections, se passent le mieux possible, qu’elles soient neutres et transparentes, et pour éviter les tensions et même les bagarres au moment des élections et déjà de la campagne, et plus encore au moment de la proclamation des résultats. Il est donc très important que nous formions des personnes compétentes par rapport à tout cela et nous serons très occupés durant les semaines qui viennent ! Vous pourrez avoir des nouvelles au fur et à mesure sur mon site.
Toute la semaine passée nous avons eu une rencontre des missionnaires spiritains de toute la Guinée, autour de notre responsable Serge, venu du Sénégal, pour voir comment nous adapter à la situation nouvelle de la Guinée, comment mieux remplir notre vocation missionnaire et être davantage au service des populations, et donc revoir le sens de notre mission dans la situation actuelle. Nous nous retrouverons au mois d’avril avec nos confrères de Mauritanie, du Sénégal et de Guinée Bissau pour réfléchir tous ensemble ; cela est très important pour nous, pour mieux sentir les appels adressés, les analyser et voir la meilleure façon d’y répondre. En même temps, ça a été une occasion de nous retrouver car nous sommes très éloignés les uns des autres, nous ne nous voyons pas souvent. Cette rencontre a été une grande joie pour tous, pleine d’amitié, ce qui ne nous a pas empêchés de nous parler franchement et clairement, car nous ne sommes pas toujours d’accord entre nous et nous savons aussi nous dire nos quatre vérités les uns aux autres lorsque c’est nécessaire ; mais dans cette ambiance fraternelle, il n’y a pas de problème ça se passe bien, et au contraire, ça nous enrichit et nous permet d’avancer.
Nous allons également continuer à lancer des activités productives auprès des jeunes. Ces activités ont été lancées avec le soutien d’une organisation catholique hollandaise « CORD AID ». Il s’agit de lancer des activités productrices auprès des jeunes pour qu’ils puissent gagner leur vie ici sur place, en Guinée, et ainsi éviter ou limiter la tentation de partir en Europe.
Tout cela ne nous empêche pas de rester attentifs à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Bien sûr, je suis absolument scandalisé par ce qui s’est passé à GAZA. Même si je ne soutiens absolument pas les terroristes, il ne faut pas s’étonner que, une fois qu’on a tué ainsi des populations civiles, ces terroristes soient prêts à faire des attentats, et à tuer à leur tour des innocents si on ne leur laisse aucune autre solution. De même que je souffre beaucoup de tout ce qui se passe au Congo et que je suis découragé par ce qui se passe en Somalie. Il y a des moments où ce n’est pas facile de garder l’Espérance. De même je suis scandalisé par tout ce qui s’est passé au niveau des banques ; d’abord de voir toutes ces sommes d’argent qui ont été perdues, par inconscience, mais surtout de voir qu’ensuite on est capable de trouver des millions d’euros ou de dollars pour renflouer ces banques, mais qu’on ne trouve de moins en moins d’argent pour aider les pays pauvres et pour soutenir les actions de développement. Il y a vraiment des choses qui ne tournent pas rond dans notre monde, et il faudra bien, un jour ou l’autre, que nous arrivions à changer tout cela si nous voulons nous en sortir.
Je ne veux pas vous laisser pour aujourd’hui sans vous remercier une fois encore pour tout le soutien que vous nous apportez, pas seulement en argent ou en moyens pour travailler, mais surtout le soutien de votre amitié et aussi de votre prière.
Nous voudrions former élèves et jeunes en informatique. Si certains d’entre vous peuvent nous trouver des ordinateurs, même usagés mais en bon état, vous pouvez vous adresser pour l’expédition :
Soit à « Guinée Solidarité, à Strasbourg; Mme Catherine Saguin. Tél. 03 88 96 58 58, Mail : catbefortsaguin@free.fr
Soit à « Appel détresse, à Nantes (M. Michel Faivre. Tél. 01 64 46 03 22 ou 06 15 38 74 44 Mail : mmfaivre@]wanadoo.fr
Merci d’avance !
Une histoire pour terminer. « Sur un sentier raide et pierreux, j’ai rencontré une petite fille qui portait son jeune frère sur le dos. Je lui dit : « Petite, tu portes un lourd fardeau ». Elle me regarde et me dit : « Monsieur, ce n’est pas un fardeau, c’est mon frère ! » - Quand les difficultés m’écrasent et que tout courage me quitte, je me dis, moi aussi : « ce n’est pas un fardeau que tu portes, c’est ton frère ».
Avec toute mon amitié et ma prière fraternelle. Je suis toujours heureux d’avoir de vos nouvelles !
ARMEL