Armel DUTEIL

Mission Catholique de MONGO AVRIL 2006

B.P. 61

GUECKEDOU (Rép. de Guinée)


CCP NANTES 3832.64 A


CHERS AMIS,


J’ai voulu vous écrire pour les fêtes de Noël et Nouvel An, mais je n’ai pu trouver une minute pour cela. Il faut dire que je suis seul prêtre à Mongo cette année, Francis notre vicaire, parti en congé, est resté au Ghana. Heureusement que j’ai reçu un stagiaire, ghanéen lui aussi, avec qui nous nous entendons très bien ; mais tout cela ne diminue pas la charge de travail faire et il y a des choses qu’on doit faire obligatoirement. Je viens de terminer 15 jours pleins de retraite avec deux groupes de 300 catéchumènes adultes qui se préparaient au baptême pour Pâques. Comme chaque année, ce fut un temps très intense de rencontres, d’amitié et de prières et aussi de formation. Comme dans toutes activités, nous assurons à la fois une formation chrétienne et une formation humaine, enracinées dans la culture locale et cherchant à permettre de répondre concrètement aux problèmes qui se posent à nous aux niveaux économique, social et politique : alphabétisation, formation à la santé, réflexion avec des agents des Eaux et Forêts, des agronomes et vétérinaires, des éducateurs et aussi des pères et mères de familles, des paysans et paysannes. Malgré le caractère un peu spartiate de ces 15 jours dont tous les frais ont été pris en charge par les participants eux-mêmes, tout s’est bien passé, sans bagarre ni même ni dispute, les gens se chargeant de régler leurs problèmes par eux-mêmes au fur et à mesure.


Au niveau économique, le pays dégringole complètement. Il y a une inflation terrible et les salaires n’augmentent pas. Quand je suis arrivé à Mongo il y a 10 ans, le kilo de riz coûtait 500 F ; il coûte actuellement 2.500 F ! Et il s’agit de production locale ! Le gas oil, lui, est passé de 450 à 2.400 F ! Et tout à l’avenant. Les gens n’arrivent plus à s’en sortir. Le salaire mensuel d’un enseignant ne suffit même pas pour acheter un sac de riz, base de la nourriture locale. Alors ils se débrouillent avec tout ce que cela comporte : absentéisme au travail car il font des petits métiers à côté, corruption, vol et prostitution, SIDA avec toutes les conséquences, et aussi les sectes qui promettent la chance et la fortune du moment que vous venez prier chez eux, et ensuite ils ne vous lâchent plus. La grippe aviaire est arrivée jusque chez nous et cela risque d’être dramatique car le poulet était souvent la seule viande que les familles pouvaient élever soit personnellement et à moindre coût, soit se procurer au marché ; et quand on sait les problèmes d’absence cruelle de médicaments et de vaccins dans le pays, on se demande ce que tout cela va donner.


Au niveau politique, les problèmes sont encore plus graves. Le Président de la République est très malade ; le Premier Ministre a été renvoyé, et nous nous demandons avec angoisse ce que le pays peut devenir. Un signe positif, c’est que la population commence à réagir. Jusqu’à maintenant, elle supportait sans rien dire, plus par peur de représailles que par insouciance ou fatalisme d’ailleurs. Mais, il y a deux mois, une grève générale dans tout le pays a été très suivie ; à la suite de cela, le Gouvernement a fait beaucoup de promesses, mais quels moyens a-t-il pour tenir ses promesses et répondre aux besoins même les plus élémentaires de la population ? Un seul exemple : la Guinée est le premier producteur mondial de bauxite, mais cela ne lui rapporte presque rien ; en effet la bauxite n’est pas traitée sur place, suite aux accords signés au temps de Sékou Touré et portant encore sur de nombreuses années, toute la production de bauxite part en Ukraine. Quand, à cela, s’ajoutent les découragements et en plus, parfois, l’incompétence et la corruption, le pays ne peut pas avancer.


Sans nous décourager, nous continuons notre travail de réflexion et de formation aux droits de l’homme et aussi aux droits de l’enfant. C’est un investissement important et, à notre avis, très valable à long terme. Bien sûr cela ne va pas résoudre nos problèmes à court terme. Actuellement, nous arrivons à la phase finale d’une grande action que nous avions lancée tout de suite après les attaques rebelles en 2001. Voici comment nous l’avons présentée dans un document :

«  CONTEXTE : La présence dans la languette, de 1989 à 2001, de réfugiés plus nombreux que la population guinéenne elle-même (55 camps, 175.000 réfugiés) a entraîné de nombreuses conséquences, spécialement dans les domaines économique, social et politique. En particulier, sur-exploitation des sols au niveau des terres, mais aussi exploitation des travailleurs et personnes nécessiteuses, développement de la drogue, de la prostitution et du SIDA, multiplication des sectes, tensions inter-ethniques, désintégration des familles, développement d’une mentalité d’assistés, détournements, pots de vin et corruption. Les attaques de 2000-2001 ont encore exacerbé ces problèmes. Il est donc absolument nécessaire de faire face à cette situation pour améliorer la vie des populations.

Propositions de solutions : Il est essentiel que la population prenne d’abord conscience des tensions et difficultés existant dans ces différents domaines. Et qu’ensuite elle cherche à trouver des solutions à son niveau pour agir par elle-même. Pour cela, depuis la fin des attaques, nous avons organisé un travail de réflexion grâce à nos agents du Secours Catholique (= OCPH) qui ont animé les 42 communautés de villages, regroupant chacune de 10 à 20 villages, et correspondant en gros aux districts, dans les 5 CRD de Vende Kenema, Fangamandu, Lundu Lèngo, Bèngu, Temesadu Djibo et Nongos. Nos agents OCPH ont mis en place dans chaque communauté un ou plusieurs animateurs pour diriger le travail de réflexion. Notre terrain d’intervention a ensuite été divisé en 8 zones, avec chacune un superviseur qui encadre ces animateurs. Après un temps de lancement, nous avons choisi pour chaque année un thème d’action : en 2002 , Luttons contre les injustices ; 2003, Construisons la paix ; 2004, Formons-nous ; 2005, Formons les jeunes. Pour cette année 2006, nous avons décidé de faire la synthèse de notre réflexion et de nos actions. Dès Octobre 2005, nous avons envoyé un questionnaire d’enquête dans les différentes communautés, portant sur les problèmes qu’ils rencontrent dans les domaines économique, social et politique. Les délégués de ces communautés (un homme et une femme) se sont retrouvés à Mongo du 4 au 8 Novembre (82 personnes, session prise en charge par l’OCPH ; les transports et la nourriture par les participants), pour faire la synthèse de ce travail. Ensuite, les participants ont faire le compte-rendu de ce travail de recherche dans chacune de leurs communautés.

Dans un 2e temps, les communautés se sont remises au travail pour proposer des pistes d’action à partir des constatations faites et trouver des éléments de solutions dans les villages de notre paroisse. Toute cette action a été menée en kissi, la langue du secteur. Nous nous sommes retrouvés à Kundu Tö, sous-préfecture de Wende Kenema, à plus de 250 personnes, du 8 au 11 Mars 2006, pour mettre en commun les différentes propostions d’actions des communautés. Nous avons fini d’en faire la synthèse ; nous sommes en train de les traduire en kissi et d’en préparer la multiplication.

OBJECTIF : Que par la mise en pratique des propositions d’actions élaborées par les communautés elles-mêmes, la situation économique, sociale et politique des 5 sous-préfefctures de la languette soit améliorée.

Indicateurs : la réalisation des différentes actions projetées : par ex., une meilleure utilisation de l’argent de la récolte, discutée d’abord entre mari et femme ; une meilleure participation des populations à la vie du village, du secteur, du district et de la CRD (nombre de présences aux réunions en augmentation), une participation plus nombreuse et plus active des parents aux réunions des parents d’élèves (voir dans les cahiers de compte-rendus le nombre de présences) et plus de transparence dans les comptes (voir les cahiers de caisse), etc...

ACTIVITES : Nous sommes arrivés à la phase finale de notre action qui est en fait la plus importante. Les activités à mener seront les mêmes que celles décrites plus haut : réunions hebdomadaires dans chacune des communautés, dirigées par les animateurs communautaires, rencontres mensuelles par sous-préfecture et par groupe (hommes, femmes et jeunes) sous la direction des superviseurs. Enfin, la publication au cours d’une nouvelle assemblée générale de 3 jours des actions menées par chacune des communautés (prévue à Kambadou, sous-préfecture de Fangamandou) au mois de Juin et élaboration d’un plan de suivi.

GROUPES CIBLES : Ce projet s’adresse aux adultes et jeunes des 5 sous-préfectures citées. Elle concerne les animateurs de OCPH qui coordonnent l’action et 42 animateurs communautaires. Elle touche environ 4000 personnes participant aux rencontres communautaires qui elles-mêmes sensibilisent et mettent à l’action les personnes qui les entourent.

Au niveau financier, la paroisse assure les dépenses en carburant, fournit le matériel pédagogique et les documents nécessaires et assure la compostion, la frappe et l’impression des questionnaires, des compte-rendus ; elle prend en charge les frais de gestion et les frais de bureau. Les participants prennent en charge leur transport et leur nourriture. La communauté d’accueil assure l’accueil, le logement, la cuisine et aménage les lieux de travail et de réunion pour les rencontres générales. Pour les rencontres de zone, chaque zone se prend en charge pour tout. Pour les rencontres communautaires, chaque communauté se prend en charge. Jusqu’ici, les animateurs de zones et de communautés ont travaillé bénévolement ce qui est un très gros investissement.

Jusqu’à la fin du projet, les participants à l’action continueront à se prendre en charge comme expliqué plus haut. Mais pour les animateurs communautaires et de zônes, on ne peut pas toujours leur demander de travailler bénévolement. Or, nous arrivons à la phase finale et donc la plus importante de notre travail. Il est donc absolument nécessaire de les motiver pour cette dernière étape, pour le succès de tout le travail des 5 années. »



A part cela, nous continuons nos rencontres générales, de même que nos formations trimestrielles, sans parler de l’action ordinaire des différents Mouvements, des Associations dont je vous ai souvent parlé. Là encore ça n’est pas toujours simple. Par ex. ce n’est pas facile de passer du scoutisme à l’ancienne (jeux de pistes, morse) à un scoutisme de développement répondant aux vrais besoins du pays et offrant une éducation des jeunes adaptée aux réalités et à la culture pour les mettre en état de réussir (un peu mieux) leur avenir. Tout n’est pas simple non plus à mon niveau, car il faut sans arrêt relancer les choses et même parfois pousser les gens. Il faut bien que les choses changent si l’on veut que le pays avance, mais en même temps comment rester calme, accueillant, attentif aux personnes dans leurs diversités, dans leurs différents besoins ? Comment aider les gens, en particulier les plus nécessiteux, sans en faire des assistés et des mendiants ? Comment pousser les gens à s’organiser et à agir sur les structures, tout en restant attentif à chacun et ne pas laisser les moins doués et les plus faibles sur la route parce qu’ils n’entrent pas dans notre style de travail et les engagements que nous proposons ? Mon problème c’est aussi comment ne pas me durcir et m’aigrir devant les problèmes et les difficultés, et Dieu sait s’il y en a, et ne pas devenir pessimiste et négatif en voyant toujours les limites et les défauts des gens et ce qui ne va pas, au lieu de voir les petites choses qui avancent même si c’est très lentement ? Et donc, comment accepter les lenteurs inhérentes à toute action avec confiance et espérance ; en effet, c’est sûr que « faire les choses soi-même, cela va plus vite et ça va mieux » au moins apparemment..... Mais à quoi cela sert si ce ne sont pas les gens eux-mêmes qui prennent leur vie en main, sinon comment pourraient-ils trouver la façon d’agir adaptée à leur culture et à leurs réalités locales qu’ils connaissent beaucoup mieux que moi ? Je vis toujours entre ces différents thèmes et c’est important pour moi de faire le point régulièrement, non seulement pour voir comment les choses évoluent, mais aussi comment je me situe là-dedans. Justement, le mardi de Pâques, avec Francis, notre stagiaire et d’autres confrères de Guinée, nous nous mettrons en route pour le Sénégal où les Missionnaires spiritains de toute l’Afrique de l’Ouest et du Nord vont se retrouver pour une semaine de réflexions et d’échanges. Je me réjouis beaucoup, car en même temps cela me permettra de retrouver des amis que je n’ai plus vus depuis de nombreuses années et avec qui nous pourrons échanger.


Je reviens d’une tournée dans les camps de réfugiés. Dans les deux premiers camps de Kountaya et de Télékoro, ce sont des Libériens ; ils sont encore pris en charge par le HCR et soutenus par différentes ONG qui préparent leur retour au Libéria. En effet, grâce à Dieu, la guerre est finie, l’ancien dictateur et chef de guerre, Charles Taylor, est même arrêté et va être jugé. Les réfugiés vont donc pouvoir retourner vivre enfin dans leur pays. Les élections se sont bien passées, dans le calme et la clarté et c’est maintenant une femme qui a été élue comme Présidente de la République. A Boréah, la situation est beaucoup plus difficile ; ce sont des Sierra-Léonais qui pour différentes raisons n’ont pas voulu retourner dans leur pays. Le gouvernement guinéen a accepté qu’ils restent en Guinée et de ce point de vue la Guinée est un pays vraiment accueillant. A Mongo, les populations ont accueilli et soutenu plus de 175.000 réfugiés pendant 12 ans, alors que la population locale n’était que de 150.000 habitants. Le problème, c’est que ces réfugiés ont été pris en charge pendant plus de 15 ans et ils ont pris des habitudes d’assistés ; il est donc devenu très difficile pour eux de se prendre en charge malgré tous nos efforts dans ce sens. De plus, après les attaques le HCR les a transportés dans le nord du pays, dans une région de savane alors qu’ils viennent de la forêt. C’est un autre milieu et, par ex. pour leurs cultures, leurs méthodes de travail et leur expérience ne sont plus adaptées au nouveau milieu où ils vivent. De plus, ils sont dans une région dont ils ne parlent pas la langue, au milieu d’une ethnie aux coutumes et à la religion musulmane totalement différente de la leur puisqu’ils sont animistes et d’une autre culture. Toutes les ONG se sont retirées de leur camp et il n’y a plus d’école ni de dispensaire, ni même de moyen de déplacement. Lors de ma dernière visite, je suis tombé en panne, il a fallu qu’un jeune aille à pied à 75 km de là, à Kissidougou, chercher un mécanicien qui, lui-même, est venu à pied. J’en ai eu pour plus d’une semaine. En effet, plus aucune voiture ne vient chez eux, mais ils restent sous le contrôle du militaire qui les brime et surtout les exploite, cherchant à les taxer par tous les moyens et à tirer le maximum de profits de leur part. Comme ils n’ont pas de terrain, ils doivent donc louer leurs bras aux cultivateurs locaux qui souvent les paient très peu et les exploitent, en particulier les femmes et les jeunes filles. Comme elles ont besoin de nourriture et d’argent pour vivre, elles se voient obligées d’accepter n’importe quel travail, dans des conditions très dures, et à n’importe quel tarif. Les hommes arrivent bien à trouver des terrains à cultiver, mais ils doivent donner une partie importante de leurs récoltes aux propriétaires, alors qu’eux-mêmes n’ont pas de quoi nourrir leurs familles. Pour l’école, ils ont créé leur propre école. Normalement, les parents cotisent pour payer les enseignants bénévoles, mais beaucoup de parents n’ont pas les moyens de le faire ; de plus, bien sûr ils enseignent en anglais, alors que la langue officielle en Guinée est le français.


Nous essayons de « naviguer » au milieu de toutes ces difficultés, mais ce n’est vraiment pas simple. Nous cherchons d’abord à les visiter pour qu’ils ne se sentent pas complètement oubliés, mais les forces de sécurité, la dernière fois, ont voulu nous empêcher d’entrer dans le camp. Il a fallu discuter très longtemps pour y arriver. Nous les poussons aussi à s’organiser, nous cherchons à les aider dans la mesure de nos moyens limités mais surtout nous voulons qu’ils se prennent en charge. Nous cherchons aussi à animer la communauté catholique et à organiser une coordination entre les différentes religions. A ce niveau-là, les choses se passent assez bien. C’est d’ailleurs le bureau de coordination des différentes religions qui assure la direction et l’animation de cet ancien camp, les anciens chefs nommés par les autorités guinéennes et les ONG n’ayant plus aucune autorité car ils se sont complètement disqualifiés dans des affaires de corruption et ils n’ont plus le courage nécessaire pour défendre les intérêts de leurs propres frères et soeurs. Nous essayons aussi de reconstruire les familles et à mon dernier passage j’ai eu la joie de célébrer trois mariages. C’est important car c’est le signe que les gens cherchent à se stabiliser et à préparer leur avenir non pas tout seul mais ensemble, en famille et en communauté.


Nos différentes autres actions continuent, en particulier celle pour les JARDINS d’ENFANTS, avec le soutien de l’Association des Enfants de Mongo basée à Sarrebourg. Un certain nombre d’entre vous prennent en charge un Jardin d’enfants. Voici donc le compte-rendu d’une réunion des parents d’élèves :


« Présentation faite entre les éducateurs et les parents d’enfants.

Les parents : Pour la création de ce Jardin d’enfants, il y a eu d’abord une sensibilisation par M. ROBERT et M. GASPARD. Après toutes les sensibilisations, nous avons vu que c’est une belle chose pour nous et pour nos enfants. C’est ainsi qu’on s’est donné les mains et le courage pour la création de ce Jardin. Surtout, c’était notre souhait, mais on ne savait pas que faire ?

Nous avons créé ce Jardin d’enfants pour la bonne réussite de nos enfants, pour les conduire sur un bon chemin. Pour aussi un apprentissage, pour une belle éducation, pour un encadrement normal.

Le comportement de l’éducateur face aux enfants et aux parents est appréciable pour le moment ; l’éducateur n’a aucun problème.

Explication des activités au Jardin d’enfants : dans nos Jardins d’enfants, il n’est pas étonnant d’entendre la langue kissi. Dans toutes les activités, il faut la langue maternelle. Chez l’enfant, avant d’entendre une autre langue, il faut d’abord sa langue maternelle C’est pas seulement l’éducateur qui éduque l’enfant mais aussi les parents. Il ne faut pas oublier de les éduquer aussi à la maison. Les Vieux et les Vieilles sont aussi demandés à participer dans nos activités ; ils viennent en particulier raconter les contes traditionnels et les coutumes ».


Sur un autre plan, voici le papier qu’une visiteuse m’a laissé après son passage au sujet des recherches que nous faisons pour une prière et une liturgie enracinées dans la culture locale et s’adressant à des gens analphabètes pour la plupart :





A la Mission de MONGO, l’âme du Peuple de la Forêt s’exprime

dans une liturgie millénaire de la Parole.


Mongo, hâvre de paix ! J’y suis arrivée cet hiver avec la première pluie de la petite saison des pluies qui déclenche brusquement la floraison magnifique et éphémère des caféiers tout de blanc vêtus..., somptueux accueil après les frimas du vieux continent d’où je viens. Que de découvertes ! Le vert de la végétation exubérante, le blanc des caféiers, le rouge des dentelles de briques de la galerie à l’allure de cloître enchantent le visiteur surpris de tant d’harmonie. Entourés de manguiers centenaires, les bâtiments de la Mission résonnent des chants de l’église toute proche.

Le hasard a voulu que juste avant mon arrivée à la Mission, j’aie suivi des conférences sur les Pères de l’Eglise et les premiers chrétiens, organisées par la Formation Permanente de mon diocèse d’origine. Et, émerveillée, j’ai trouvé chez les paroissiens de Mongo un champ d’application inattendu de ce que j’avais appris. C’était la même foi, la même piété, le même désir d’honorer le Seigneur par l’interprétation orale et gestuée de l’Evangile puisqu’à Mongo comme aux premiers siècles, les chrétiens sont analphabètes.

L’on prie en chantant, en se servant avec sobriété de son corps, les mains jointes, les bras levés, le dos plié, les genoux fléchis ; l’on rythme les chants avec ferveur en unisson avec le prêtre. C’est une liturgie du geste et de la Parole proclamée. Plus discrète que chez les Noirs américains, mais qui y fait penser ; elle respecte la culture et les coutumes des fidèles et élève l’âme. Le prêtre, les catéchistes, la chorale, les enfants, les adultes, tous ensemble proclament leur foi dans des chants qui sont très beaux.

Point n’est besoin de comprendre la langue, on suit la Messe en reconnaissant la Prière pénitentielle au début, prière gestuée qui respecte les ancêtres que l’on invoque le dos courbé et les bras tendus vers la terre, tout en chantant et se balançant, puis l’on se relève en croisant les mains sur la poitrine pour demander pardon à Dieu et enfin on lève les bras pour glorifier Dieu.

C’est alors l’heure des jeunes enfants qui ont célébré leur propre liturgie de la Parole, adaptée à leur âge, en dehors de l’église, comme chaque dimanche matin, et que l’on fait entrer dans l’église. Etonnament sages, ils suivront la messe avec le reste des fidèles.

Chaque dimanche après l’homélie, il y a ce qu’on appelle « le Théâtre des enfants ». On leur donne la parole. C’est un rappel de l’amour de ce peuple pour ses enfants. Ils miment l’évangile devant leurs parents attendris. Bon public, ceux-ci ont beaucoup ri en regardant et écoutant le diable déguisé en monstre de papier qui essayait de tenter Jésus au désert. Et, satisfaits, ils ont applaudi.

La Prière universelle donne l’occasion à chacun de s’exprimer sans fausse honte. Le dialogue est spontané et permanent. Les interventions sont parfois si nombreuses que le Père doit reprendre rapidement le cours de la messe. L’immense respect que les fidèles éprouvent les uns pour les autres me touche beaucoup. Comme ils sont humbles et sincères ! Comme ils sont ouverts et disponibles !

Quand vient l’Offertoire, des adultes ou des enfants porteurs de fruits, de riz, d’argent, de denrées, offerts par leur village à l’intention des pauvres et des vieillards, avancent en dansant le long de l’allée centrale jusqu’au pied de l’autel et déposent leur offrande.

Un autre jour, la lecture « des pierres vivantes » (1ère Pierre 2, 4-10) a donné l’occasion à l’assemblée des fidèles de toucher en chantant une pierre posée au pied de l’autel, symbole de Jésus. « Voici que je place dans Sion une pierre angulaire.... » Un à un, les assistants défilent devant l’autel, touchant respectueusement la pierre, symbole de la permanence de Jésus au Peuple de Dieu « qui fut acquis pour proclamer les merveilles de Celui qui vous a appelés des ténèbres ». Une maman portant son bébé s’est courbée vers la pierre en la faisant toucher à son enfant..... Symbole émouvant de foi, de confiance dans l’avenir, dans la relève des fidèles d’aujourd’hui qui un à un pose l’une après l’autre sa propre pierre, « la pierre vivante, choisie et précieuse » qui édifie l’Eglise.

Liturgie du Geste et de la Parole qui exalte la personnalité et la foi de ce peuple attachant, liturgie millénaire si ancienne et si proche de nous qui nous apprend, visiteur fasciné, combien l’humble expression de convictions enracinées dans l’Evangile et dans une culture très vivante, nous rapproche de Dieu, qui sans hésitation, a désormais pour moi la peau noire des fidèles de Mongo.

ANONYME.


Les gens de la région où nous travaillons sont très pauvres et les problèmes du pays, dont je parlais plus haut, n’arrangent rien. Alors les gens vivent sans arrêt dans les dettes ; ils engagent leurs récoltes avant même qu’elles soient mûres et au moment de la soudure (quand tout est consommé et en attendant la récolte suivante), ils n’ont plus rien à manger. Alors ils s’endettent à nouveau à des tarifs exorbitants et ils achètent, par ex. du riz, à un prix deux ou trois fois supérieur au prix de vente normal à des gens qui les exploitent. Pour lutter contre cela, nous avons lancé des BANQUES DE CEREALES Pour une 1ère expérience (car il faudra le temps de nous rôder et de voir si ça marche, donc nous commençons doucement) grâce à des fonds fournis par la Coopération allemande, nous avons acheté 20 tonnes de riz au moment de la récolte, au prix du marché. Nous allons conserver ce riz jusqu’au moment de la soudure, en Juillet-Août, et nous le revendrons alors simplement au prix où nous l’avons acheté, soit 2 ou 3 fois moins cher que les prix pratiqués généralement à ce moment-là. Nous voulons ainsi rendre service aux paysans en leur fournissant du riz moins cher, mais surtout obliger les commerçants à baisser leurs prix et à arrêter leurs taux usuriers. Pour d’autres paysans qui le préfèrent, nous allons garder leur riz qu’ils nous ont livré au moment de la récolte pour qu’il soit conservé et ne soit pas vendu à cause de pressions familiales ou de besoins urgents, et ils pourront récupérer ce riz en Juillet-Août. Grâce au soutien d’une Organisation catholique hollandaise, CORDAID), nous avons aussi pu ACCORDER DES CREDITS aux cultivateurs pour leur permettre d’engager et payer des travailleurs et prendre en charge les frais de leurs cultures (achats d’outils, etc...). Au moment de la récolte ils nous ont tous remboursé cet argent intégralement que nous allons pouvoir à nouveau donner en crédits cette année (avec seulement 10 % d’intérêts sur 1 an pour les frais d’organisation et de gestion alors que souvent les usuriers font des prêts à 250 % sur 3 mois !). Nous sommes surtout très heureux de voir que tous les bénéficiaires ont remboursé leurs crédits, et il faut dire que nous avions organisé ces personnes en Groupements coopératifs et c’est tout le Groupement qui s’est engagé à rembourser devant les autres au cas où l’un des membres ne le ferait pas. Ils sont tous responsables les uns des autres et se motivent mutuellement. Nous nous appuyons ainsi sur la dimension communautaire de la vie sociale qui existe toujours et que nous ne voulons surtout pas supprimer. C’est pour la même raison que, par exemple, nous demandons à ceux qui nous aident, de parrainer un Jardin d’enfants tout entier, pour que l’aide soit au bénéfice de tous, sans privilégier un enfant particulier avec tous les dangers de jalousies, de tensions et même d’injustice que cela entraîne. En tous cas, ce système de Banque de céréales nous semble plus important que de faire des distributions de vivres ou d’argent, car c’est un trou sans fin que nous ne pourrons jamais combler. Nous préférons leur donner les moyens de travailler et de s’en sortir par eux-mêmes, tout en sachant qu’il restera toujours de nombreuses personnes nécessiteuses n’ayant pas la possibilité de s’en sortir par elles-mêmes et qu’il faudra toujours soutenir, mais toujours avec le maximum de participation de leur part, même si c’est minime.


Voici ce que je voulais partager avec vous aujourd’hui. Même si la communication est difficile avec MONGO, soyez sûrs que je pense très souvent à vous. J’espère que cette lettre vous trouvera dans la joie ou tout au moins dans la paix et l’Espérance qui nous permet de voir le bon côté des choses et d’affronter les difficultés de la vie avec courage. Merci encore pour tout ce que vous faites pour nous, merci pour tout ce que vous faites là où vous vivez pour aider et accueillir tous ceux que vous rencontrez.

Avec toute mon amitié. ARMEL