Armel DUTEIL
Mission Catholique de MONGO
B.P. 61
GUECKEDOU (Guinée Conakry)
AOUT 1999
Chers Amis,
Je profite de cette saison des pluies qui, pour les Kissiens, est la période des gros travaux, pour vous envoyer quelques nouvelles car il y a bien longtemps que je ne l'ai pas fait ! La première nouvelle, c'est l'arrivée dans notre équipe d'un nouveau stagiaire, nigérian, Richard, qui est venu remplacer Apollinaire , le tanzanien, qui est parti terminer sa formation à Nairobi. Nous avons été très heureux de l'accueillir ; il s'est mis tout de suite au travail, en particulier dans le camp de réfugiés de Mongo, auprès des jeunes et il vient de lancer des cours d'anglais pour les Guinéens et des cours de français pour les réfugiés. Ceci me semble très important et nous permettra de nous comprendre plus facilement les uns et les autres ; c'est l'un des axes de notre travail ici : mettre davantage de relation entre Guinéens et réfugiés.
Au début de l'année, dans les camps de réfugiés nous avons subi de nombreuses incursions des rebelles sierra-léonais et c'est ce qui a poussé le H.C.R. à déplacer un certain nombre de camps (plus de 60.000 réfugiés). De plus, dans certains camps bâtis à la hâte l'année dernière par suite d'une arrivée massive et imprévue de réfugiés, il y avait beaucoup de problèmes, en particulier des problèmes de manque d'eau et aussi de terrains pour cultiver. Donc tous ces réfugiés ont été à nouveau transplantés par les camions du HCR à environ à 70 km à l'intérieur. C'était sans doute nécessaire et une bonne chose, mais cela a été la cause d'une nouvelle migration pour ces réfugiés qui doivent repartir à zéro et reconstruire de nouveaux camps même s'ils sont aidés par le HCR. De plus en se déplaçant, ces réfugiés vont amener avec eux déboisement et détérioration de l'environnement, ce qui n'est pas un profit pour la Guinée. Comme quoi rien n'est simple.
Autre chose : pour essayer de limiter la consommation de bois et donc le déboisement, certaines ONG ont formé des réfugiés à l'utilisation de foyers améliorés en terre (fourneaux domestiques) qui consomment moins de bois ; mais il faut dire que cette expérience a bien de la peine à démarrer et à passer de la théorie à la pratique. C'est comme cela d'ailleurs pour beaucoup de projets et de très bonnes idées ; elles sont valables certainement sur le papier, mais les blocages sont nombreux qui empêchent leur réalisation.
En ce moment, nous suivons avec beaucoup d'attention les pourparlers de paix au sujet de la Sierra Leone en espérant que le Gouvernement et les rebelles, ainsi que les militaires qui s'étaient opposés à l'actuel Président vont enfin s'entendre et que la paix reviendra dans le pays. Pour le moment les hostilités semblent être arrêtées mais on a encore quelques bandes qui parcourent le pays en causant de très nombreuses exactions et également des prises d'otages. Nous espérons que tout cela va se calmer ; sans doute d'ailleurs que la situation aura de nouveau évolué quand vous lirez cette lettre. La grande question est de savoir dans quelle mesure il faut amnistier les rebelles après toutes les atrocités qu'ils ont commises contre les populations civiles. C'est un problème très difficile, car d'un côté on ne peut pas pardonner sans qu'il y ait demande de pardon et on ne peut pas accepter que les gens aient pu ainsi mutiler, torturer, tuer impunément ; mais de l'autre côté cette amnistie est pour le moment une condition nécessaire pour l'arrêt des hostilités et donc pour que les populations civiles arrêtent de souffrir, et il faut bien tout faire pour que la guerre s'arrête. Alors on se retrouve pris entre deux feux ; c'est vraiment une question qui n'est pas simple.
Comme nous l'avions prévu, nous avons animé un certain nombre de séminaires sur l'éducation à la paix, la réconciliation et la guérison des traumatismes. Maintenant, nous sommes à la phase active. L'un des points essentiels est d'amener les réfugiés à décider de ne pas se venger et ne pas se laisser dominer par les sentiments de colère et de violence suite à toutes les souffrances qu'ils ont vécues. Le travail se fait maintenant à la base, dans les camps, par les personnes qui ont suivi nos séminaires de formation et pour cette action ils utilisent, en particulier, le théâtre qui permet de faire comprendre beaucoup plus facilement les choses aux populations analphabètes et qui en même temps permet d'extérioriser ses problèmes, ses pensées et tous ses refoulements et de faire sortir donc tout ce que l'on gardait dans le coeur. Bien sûr, c'est une oeuvre de longue haleine ; il nous faudrait des spécialistes, des gens beaucoup plus formés, mais pour nous pas question de recevoir tous ces psychologues ou autres personnes qui pourtant seraient si utiles, comme cela se fait au KOSOVO actuellement. Nous avons également mené à bien l'action que nous avions prévue d'éducation aux droits de l'homme, à partir de jeux pédagogiques. Les responsables des différents groupes (femmes, jeunes, enseignants, éducateurs en jardin d'enfants) ont été formés et ont utilisé ces jeux dans les villages guinéens d'une façon très efficace, et nous sommes vraiment satisfaits des résultats. Maintenant de nombreuses personnes non seulement connaissent et parlent des droits de l'homme et des droits de l'enfant, mais elles cherchent à les mettre en pratique dans la vie de tous les jours en inventant leur propre méthode et en utilisant les moyens qui sont à leur portée. Cela nous encourage beaucoup. Maintenant il s'agit de continuer le suivi et de soutenir les groupes car la persévérance est souvent un problème par ici. Nous avons entrepris la traduction de ces jeux en anglais. John, mon confrère, a en particulier terminé l'adaptation du premier jeu sur les droits de l'homme ; après avoir imprimé ces jeux, cette année nous pensons continuer la même action dans les camps de réfugiés. John a également entrepris la formation des responsables et un certain nombre de rencontres dans les camps, en particulier de projections. Là aussi ce travail intéresse beaucoup les réfugiés ; ils s'y consacrent avec sérieux et avec ardeur et nous sommes heureux de pouvoir faire profiter de cette formation.
Je parlais du KOSOVO. Nous avons suivi les événements à la radio et nous sommes heureux que la guerre se soit arrêtée, et contents de voir tout ce qui se fait pour les réfugiés qui sont revenus dans leur pays, malgré tous les problèmes et les difficultés qui restent Ce matin, j'entendais dire que les pays environnants, comme la Macédoine, vont être indemnisés pour tous les frais et dépenses qu'ils ont faits pour recevoir les réfugiés kosovars. Cela aussi je m'en réjouis, mais je ne peux pas m'empêcher de voir l'énorme disparité qu'il y a entre l'aide qui est apportée aux Kosovars et celle qui est apportée, par exemple, ici aux réfugiés de Sierra Leone, qui n'atteint certainement pas le dixième. Par ailleurs, depuis 10 ans la Guinée accueille plus de 500.000 réfugiés de Sierra Leone, après avoir accueilli les réfugiés du Libéria, mais personne n'a fait quoi que ce soit pour l'indemniser ni pour l'aider à supporter tous les frais que cela comporte. Comme quoi il y a vraiment deux poids et deux mesures dans le monde, et on doit bien constater que les pays ne sont pas traités à égalité.
Ici, à MONGO, la grosse action cette année est l'aménagement des villages, avec en particulier la construction d'écoles, le projet d'un collège, la construction d'un marché régional et l'aménagement des routes. Tout cela est vraiment nécessaire, car, par exemple pour aller au Collège les jeunes de Mongo doivent partir à la ville de la Préfecture, Gueckedou ; de très nombreux enfants, jusqu'à maintenant, ne peuvent être pris à l'école primaire et l'état des routes est vraiment lamentable. Une ONG (Plan-Guinée) a fourni le financement nécessaire pour ces travaux et les populations assurent la main d'oeuvre, bénévolement bien sûr, et également elles fournissent tout ce qu'elles peuvent se procurer par elles-mêmes, c'est-à-dire l'eau, le sable, les cailloux, etc. pour les constructions. Tout cela a représenté un travail énorme, très lourd pour les populations et j'avoue que je me demandais si elles seraient capables de le mener à terme. Maintenant je dois reconnaître que les gens se sont engagés à fond ; la plupart de ces travaux sont terminés ; ils en sont d'ailleurs très fiers et moi avec eux.
Pour les problèmes de justice et de paix, la conscientisation est maintenant faite aussi bien auprès des Guinéens que des réfugiés. La difficulté est, comme toujours, de passer à l'action. Beaucoup ont peur en particulier des autorités ; il est vrai que celles-ci n'ont pas encore perdu le réflexe de la dictature du temps de Sékou Touré, que ce soit les autorités guinéennes ou les responsables des réfugiés dans les camps. Mais, en plus, les gens ont tendance à voir surtout les injustices, bien réelles, commises par ces responsables par rapport aux populations. Mais ils oublient facilement toutes les injustices commises par les uns et par les autres dans la vie de tous les jours et dont chacun est complice, contre lesquelles il est sans doute plus important de lutter et contre lesquelles il est d'ailleurs plus facile de réagir. Il y a toute une réflexion à faire sur les objectifs à atteindre, les actions à mener et surtout faire sauter les blocages qui empêchent les gens d'agir. Cela va nous occuper également cette année. Nous essayons ainsi d'avoir une continuité dans notre action ; il y a deux ans notre axe principal de travail était : luttons contre la pauvreté ; l'année dernière, c'était : "combattons les injustices" ; cette année nous avons choisi comme thème d'action : "construisons la paix", en faisant le lien avec les thèmes des années précédentes. En effet, lorsqu'il y a une trop grande pauvreté la paix n'est pas possible, et il n'y a pas de paix sans justice. Voilà donc de quoi nous occuper fortement tout au long de cette année. Nous avons bien sûr continuer les activités de formation commencées l'année dernière et dont je vous ai déjà parlé : la lutte contre le sida, la formation des responsables des jardins d'enfants, l'animation des différents groupes de jeunes et d'adultes, etc.
Une chose à laquelle je voudrais également réfléchir davantage, aussi bien avec les réfugiés qu'avec les Guinéens, c'est l'importance de coordonner élevage et agriculture, et également de lancer la culture attelée. En effet les terres s'épuisent de plus en plus, elles sont surexploitées et il manque d'engrais, les engrais chimiques étant beaucoup trop cher et inaccessibles. Peut-être que je vais scandaliser certains en parlant d'engrais et paraître anti-écologiste, mais ici il faut voir les réalités, il faut d'abord produire pour pouvoir manger ; c'est la priorité et pour le moment il n'y a pas moyen d'y échapper. Mais je me rends compte que ce projet est très difficile à mener et que la situation est très complexe. Les kissiens sont essentiellement cultivateurs de riz ; ils répugnent même à faire d'autres cultures.Ils avaient autrefois quelques troupeaux, mais ils ont disparu à cause des vols et les gens se sont découragés. Actuellement ce sont seulement les Peulhs qui continuent à faire l'élevage. Il y a donc d'abord une séparation de plus en plus grande entre élevage et agriculture, ce qui est certainement dommageable, mais aussi un grand risque d'opposition entre les Kissiens et les Peulhs, car on sait que de tout temps les frictions sont nombreuses entre cultivateurs et éleveurs, lorsque chacun est spécialisé dans l'une de ces activités. Par ailleurs, les services d'agriculture et d'élevage qui pourraient soutenir cette action sont très peu présents sur le terrain, sans doute encore moins que dans d'autres pays ; en particulier depuis la "libéralisation" ils se contentent de toucher leurs salaires en restant dans leurs bureaux (quand ils y sont !). Pour un certain nombre d'agents des Eaux et Forêts, ce qui les intéresse ce n'est pas de lutter contre les feux de brousse mais de percevoir les amendes qu'ils font payer dans ces cas-là et dont ils mettent le montant dans leur poche. Finalement, ils ont donc tout intérêt à ce que les feux de brousse continuent, même s'ils ne le disent pas. Financer une telle action demanderait de l'argent. Ce serait sans doute possible d'en trouver, mais pour le moment ça n'est pas le premier problème. Nous cherchons d'abord à réfléchir avec la population dans les communautés de village pour leur faire sentir l'importance de cette coordination entre élevage et agriculture et aussi de lancer la culture attelée. Unir élevage et agriculture permettrait en particulier d'avoir des engrais naturels qui ne coûtent rien ; la culture attelée leur permettrait de travailler avec moins d'efforts et d'obtenir de meilleurs résultats et donc de pouvoir mieux se nourrir et mieux vivre. Mais la prise de conscience n'est pas encore faite ; les blocages psychologiques et culturels (coutume, etc.) sont encore nombreux. D'un autre côté nous essayons aussi de réfléchir avec les agents de développement chrétiens, au cours de sessions dont je vous ai parlé la dernière fois, pour qu'ils fassent évoluer leurs services vers plus d'engagement à la base et de suivi dans leur travail et qu'ils transforment peu à peu la mentalité de ceux qui travaillent avec eux pour qu'ils soient davantage au service des populations. Bien sûr nous commençons à chercher une équipe qui pourrait lancer une première expérience sur place, expérience qui pourrait ensuite faire tache d'huile. Cette équipe formerait alors d'autres paysans intéressés. Mais pour le moment malgré tous nos efforts, nous n'avons trouvé aucun groupe d'équipe ou ONG qui pourrait assurer ce travail et le prendre en charge.
Après les élections européennes, je suis particulièrement attentif aux relations entre l'Europe et l'Afrique, et en particulier au point de vue commercial. Certains voudraient avec l'O.M.C. (Organisation mondiale du commerce) introduire la réciprocité dans le commerce entre ces deux continents, avec libre échange et liberté totale. Mais comment pourrait-il y avoir un commerce équitable entre deux partenaires inégaux ? Le plus gros va obligatoirement manger le plus faible. Le commerce libre que l'OMC veut proposer, c'est très bien lorsqu'un pays a quelque chose à exporter mais quand ses entreprises sont trop faibles pour résister à la concurrence ce sont des milliers de gens en plus qui vont mourir de faim. La Conférence de LOME qui a mis en place les rapports entre l'Europe et les pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique parlait, elle, de proportionnalité. D'ailleurs, est-ce que l'Europe ne protège pas, elle aussi, son agriculture et les Etats-Unis encore plus ! C'est pour cela qu'à la Conférence ministérielle de Dakar du 3 Mars 1999 les pays africains ont demandé à l'Europe un délai de 10 ans pour se préparer à cette concurrence internationale. De plus les surplus agricoles européens, fortement subventionnés, sont vendus très peu cher en Afrique. Ce qui fait l'affaire des Gouvernements et des gens des villes qui ont des produis bon marché, mais absolument pas celle des paysans qui ne peuvent pas vendre leur production locale qui elle n'est pas subventionnée et qui donc coûte plus cher ; l'agriculture n'est plus rentable et ce sont donc les gens qui sont déjà les plus pauvres (les paysans) qui sont encore une fois défavorisés. Quant aux zônes franches que l'on a établies en un certain nombre de pays d'Afrique, très souvent les travailleurs locaux y sont soumis à de très nombreuses taxes, puisque les sociétés établies dans ces zônes franches ne sont pas tenues d'observer les réglementations sociales en vigueur dans les pays, et que les syndicats y sont souvent interdits. De plus, ces zônes aboutissent souvent à de véritables catastrophes écologiques. Avec le projet du droit à la propriété intellectuelle, les pays africains risquent de devoir payer des patentes pour leurs semences et les médicaments vont devenir de plus en plus cher, comme quoi cette organisation internationale du commerce ne se fait vraiment pas en faveur des plus défavorisés, et finalement les déséquilibres vont augmenter, ce qui ne pourra aboutir qu'à des conséquences graves, non seulement pour les pays pauvres mais pour le monde entier, c'est-à-dire pour nous tous et pour chacun d'entre nous, où que nous soyons.
Par ailleurs dans les Accords avec les pays africains, il me semble sain d'exiger une bonne gestion ; cela ne peut d'ailleurs que profiter à leurs populations. A condition que ce soit bien sûr une obligation réciproque et l'on ne peut pas dire que par exemple la Commission européenne qui a été obligée de démissionner pour manque de responsabilité ait donné le bon exemple à ce niveau ; ni que la corruption soit inexistante actuellement en Europe.
J'ai été bien sûr très heureux du Traité d'OTAWA sur l'interdiction des mines antipersonnelles, mais maintenant il faut que ce Traité soit mis en pratique évidemment, et que l'on arrive le plus vite possible à l'interdiction de la vente des armes légères de toutes sortes et aussi au bannissement des mercenaires sans parler de l'interdiction d'engager des enfants de moins de 18 ans dans la guerre ; je sais qu'un certain nombre d'organisations et plusieurs d'entre vous sont engagés dans ce sens, je ne peux que vous apporter mes encouragements et mon admiration. J'ai été également heureux d'apprendre la réduction de la dette publique pour les pays les plus pauvres par le G7 à la dernière rencontre de Cologne, en Allemagne. Cela va éviter que des sommes énormes ne soient détournées des ressources du pays pour rembourser ses dettes et qu'elles puissent être utilisées pour la santé, l'éducation, les investissements productifs, etc. Le Canada, lui, a décidé d'annuler à 100 % les dettes des pays les plus pauvres envers lui. Maintenant il va falloir mettre en place des mécanismes de protection et une autre façon de travailler avec ces pays pauvres, sinon dans deux ou trois ans on se retrouvera dans la même situation. A ce sujet, de notre côté, nous travaillons sans cesse à la base pour une meilleure formation et une meilleure éducation de la population. Il reste le problème de l'éducation des dirigeants, et cela est souvent beaucoup plus difficile. Il reste aussi bien sûr toute la question des dettes privées qui sont très importantes. Pour nous l'exigence, c'est également de travailler dans la mesure de toutes nos possibilités pour que l'argent correspondant aux dettes annulées puisse véritablement être utilisé au service des populations à la base ; mais nos moyens d'action et notre influence au niveau du pays sont souvent très limités dans ce domaine, malheureusement.
Par ce jeu les droits de l'enfant ont été mis en lumière ; autrefois au village ils étaient mal connus et négligés. Par ex. le droit à un environnement sain. Par ce jeu les enfants ont découvert et ils ont fait découvrir autour d'eux, en commençant par la famille, que l'enfant doit vivre dans un environnement sain et adapté à son âge.
Pour la mise en pratique nous avons décidé d'utiliser les moyens suivants : des réunions de village, du théâtre, des conférences-débats, des contacts personnels. Les droits que nous voulons mettre en pratique sont en priorité : le droit à la santé, le droit à la paix, le droit à l'information, le droit à la protection, le droit à un environnement sain. La vulgarisation se fera en formant des groupements pour les droits de l'enfant. Nous visons en premier lieu les femmes, les soeurs et les mères de famille. Pour la santé nous agirons d'abord pour l'assainissement des lieux publics, la destruction des nappes d'eau pouvant abriter des moustiques ; cela se fera dans chaque famille avec les enfants, leurs soeurs et leurs mamans ; en particulier au début de la saison des pluies. Pour un environnement sain, nous allons organiser des journées de travail bénévole et communautaire ; nous voulons lutter en premier contre le paludisme et la diarrhée qui tuent beaucoup de bébés. Nous présenterons nos actions pendant des fêtes, au cours de marchés, et dans des manifestations dans des écoles et autres lieux de rencontre.
Les Centres communautaires pour la petite enfance, lancés il y a deux ans par l'ONG "Plan Guinée" était une bonne expérience. Malheureusement cela n'a pas marché. En effet la mobilisation communautaire est difficile et surtout les parents veulent qu'on enseigne le français à leurs enfants. Ils disent : "Si c'est pour leur enseigner notre langue, nous pouvons le faire nous-mêmes". Enfin, c'est difficile pour les parents de prendre en charge les enseignants de ces jardins d'enfants.
C'est pourquoi cette année nous avons pris une autre approche, sans renoncer pour autant aux objectifs de l'année dernière. Comme beaucoup de communautés ont lancé par elles-mêmes des jardins d'enfants, nous avons préféré partir de ce qui existe déjà, sans distinction, que ces jardins d'enfants soient protestants, catholiques ou laïcs. Le problème de ces jardins d'enfants c'est que les enseignants sont souvent des gens qui cherchent du travail et qui enseignent pour gagner de l'argent ; ce qui est normal. Mais la difficulté, c'est qu'ils n'ont aucune formation pour ce travail (ce sont par ex. des étudiants ou des agents agronomes deflatés). Nous avons donc cherché à leur donner en premier lieu une formation en pédagogie et sur la psychologie de l'enfant et à leur donner des techniques et moyens de travailler simples qu'ils peuvent fabriquer eux-mêmes dans leurs villages, avec l'aide de personnes ressources, comme Maurice SAKHO, de Kankan, ou Mme Gilberte MOUILLEZ qui vient régulièrement de France pour nous aider.
Pour répondre aux désirs des parents de préparer les enfants à entrer à l'école primaire, nous avons décidé d'enseigner les premiers éléments du français, mais à partir du kissien, et toujours en traduisant, pour que les enfants comprennent ce qu'ils apprennent. Nous n'apprenons pas aux enfants à lire et écrire, c'est trop difficile pour des enfants de 3-5 ans, mais nous leur apprenons à tenir un crayon ou un bic, à tracer des droites et des lignes. Et des éléments de calcul, à partir de jeux également. Et aussi la précision des gestes, le sens de l'espace, colorier des dessins.
Mais en faisant, nous continuons à chercher une éducation des enfants (et pas seulement un enseignement dans leur culture kissienne). Et nous insistons sur la prise en charge communautaire.
Le problème qui reste, c'est celui de la prise en charge de ces éducateurs. Et c'est vrai que c'est assez difficile pour les communautés de prendre en charge un enseignant pendant toute l'année. Ils le font pendant quelques mois et ensuite ils se découragent. Je pense qu'un soutien de motivation serait le bienvenu et serait justifié dans la mesure où ces enseignants assurent un travail réel au sein de la communauté, de même qu'une motivation (150.000 F guinéens par an, soit environ 700 F français) a été prévue pour les enseignants des écoles primaires qui utilisent les jeux pédagogiques sur les droits de l'enfant que j'ai composés.
On pourrait aussi prévoir une aide pour fournir le matériel pédagogique (simple et adapté) nécessaire. Assurer des sessions de formation régulières ; je suis d'accord pour les prendre en charge ou y participer. Assurer une supervision (passage dans les jardins d'enfants) : je peux aussi le faire pour Mongo.
Je tiens à remercier en particulier Jocelyne BONNET qui tape régulièrement ces circulaires depuis de très nombreuses années, et également Marie-Cécile DAVID et son équipe missionnaire qui en assurent la multiplication et l'expédition ; cela est un gros travail.
Merci aussi à tous ceux qui nous aident, bien sûr ; d'abord, par leur amitié et, pour les croyants, par leur prière ; et également pour leur soutien matériel (habits, médicaments, etc.). A ce sujet, pour les fournitures scolaires c'est plus difficile car les expéditions coûtent cher et on peut déjà en trouver sur place beaucoup moins cher qu'en Europe ; ce qui nous manque, c'est simplement l'argent pour en acheter. Pour les chrétiens, quelques aubes nous seraient utiles pour les catéchistes et les responsables de prières. Si vous pouvez en trouver encore en bon état dans vos paroisses, vous pouvez me les envoyer par colis postal, à mon adresse ; cela ne pèse pas lourd et est donc facile à envoyer.
Je vais vous laisser pour aujourd'hui en regrettant de ne pouvoir écrire à chacun d'une façon personnelle, mais soyez sûrs que le coeur y est ; tout en rédigeant cette circulaire, je pense à chacun d'entre vous, à vos familles, et à vos amis, et à tous ceux avec qui vous vivez. Merci pour toutes les nouvelles que vous m'envoyez ; cela me soutient dans notre travail qui n'est pas toujours facile et me permet de garder le moral. Je souhaite que vous ayez bien redémarrer vos activités après ce temps de vacances et que cette lettre vous trouve en bonne santé et avec le moral. Je souhaite à chacun bon courage dans ses engagements, qu'ils soient grands ou petits, et dans sa vie de tous les jours ; que nous soyons capables de voir le positif malgré tout et de partager notre espérance avec ceux qui nous entourent. Que nous ayons la force de résister à la violence et le courage de refuser rancune et vengeance quoi qu'il en coûte, et tous les mouvements de colère jusque dans les petites choses pour bâtir la paix autour de nous et par tous les moyens à notre portée. Que nous soyons capables de garder une porte ouverte et un coeur accueillant à tous. Ce sont ces valeurs et encore beaucoup d'autres auxquelles les réfugiés m'ont rendu plus sensible et qu'ils m'aident à vivre ici, et c'est pour cela que je vous les souhaite à vous aussi.
Avec toute mon amitié.
ARMEL