Armel DUTEIL
Mission Catholique de MONGO
Août 1997
BP 61
GUECKEDOU (Guinée)
Chers Amis,
Je pense que lorsque vous recevrez cette lettre vos vacances seront déjà terminées ; j'espère qu'elles se seront bien passées et que vous êtes en forme pour démarrer une nouvelle année scolaire. Pour moi, j'ai eu également le temps de me reposer un peu et de préparer l'année prochaine, car c'est la saison des pluies (bien que les pluies aient diminué semble- t-il depuis plusieurs années du fait d'un déboisement trop intensif), et les gens sont donc très pris par les travaux des champs ; ils cultivent essentiellement le riz irrigué ce qui est un travail très dur et quand ils rentrent le soir ils sont épuisés. Avec tout cela, j'ai donc un peu de temps libre et j'en profite pour vous donner quelques nouvelles.
Vous avez dû apprendre que, il y a deux mois, il y a eu un coup d'Etat en Sierra Léone et sans doute qu'on vous l'a simplement annoncé aux informations et que depuis on n'en parle plus. Ainsi,, les militaires ont renversé le président qui avait été élu démocratiquement l'année dernière, et bien plus ils se sont mis ensemble rebelles et militaires. Il y a eu beaucoup de morts et cela a entraîné un nouveau flux de réfugiés, mais plutôt du côté de Conakry, les gens fuyant par la mer depuis FREETOWN la capitale . Maintenant les rebelles et les militaires s'attaquent ensemble aux kamajos , alors que, autrefois les soldats étaient alliés avec eux contre les rebelles. Les kamajos sont un groupe armé qui s'est constitué à partir d'un noyau de chasseurs traditionnels et se sont unis pour lutter contre les exactions des rebelles. En fait, ils voulaient la paix mais en faisant la guerre, ce qui n'est bien sûr jamais une solution. Ici nous disons souvent le proverbe : "si tu veux la paix, prépare la paix" et non pas la guerre. La seule solution serait, à mon avis, la non-violence, mais une non violence active et créatrice. Il y avait déjà eu des programmes d'éducation à la non-violence et à la paix, dans le passé, en Sierra Léone. D'ailleurs j'utilise actuellement un manuel avec les réfugiés qui vient de ce pays. Mais qu'est-ce que cette éducation est devenue ces derniers temps ? Les militaires ont refusé de rendre le pouvoir avant, au minimum, quatre ans, et ils ont rompu les pourparlers de paix en Côte d'Ivoire ; le Président élu s'est réfugié à Conakry. Qu'est-ce que tout cela va donner ? on n'en sait rien, et certainement que, lorsque vous recevrez cette lettre, la situation aura encore évolué. Mais dans quel sens ?
Il y a même un danger que la guerre arrive ici en Guinée. Lorsque nous étions en train de terminer la retraite préparatoire aux Sacrements, à Pâques, le Sous-Préfet de NONGOA était parti rencontrer les rebelles pour essayer de ramener la paix, mais, erreur ou provocation, des coups de feu ont été tirés, le Sous-Préfet a dû s'enfuir et il s'est noyé au cours de la fuite. Depuis, la région est très inquiète et également instable ; on a arrêté des rebelles qui filtraient, venant de Sierra Léone, du Burkina Fasso, mais également des Guinéens dans l'opposition, voulant amener la guerre civile en Guinée après la Sierra Léone. Il y a eu une réaction assez efficace du Gouvernement guinéen et pour le moment la région est calme, mais bien sûr la population, aussi bien réfugiée que guinéenne, est très inquiète, et un grand climat d'insécurité règne. Certains en ont profité pour se mettre à voler et à piller. De plus, la réaction des militaires guinéens (toute l'administration dans la région est tenue par les militaires) a eu comme résultat des arrestations arbitraires et aussi des brimades contre les réfugiés, car les soldats ne font pas toujours la différence entre un réfugié et un rebelle, pour eux ce sont tous des Sierra Léonais et il est sûr que ça n'est pas toujours facile de faire la distinction car certains rebelles se sont dissimulés dans les camps et certaines personnes des camps accueillent des gens qui pousseraient à la guerre. Le résultat c'est que tout cela amène beaucoup de souffrances. Depuis trois mois, avec les réfugiés, nous avons mené dans chaque camp une réflexion sur la guerre et les conséquences de la guerre sur les familles. Voici un certain nombre de choses qu'ils ont dit que je voudrais simplement partager avec vous. Bien sûr ces réflexions ne sont pas très originales, c'est la même chose qui se passe dans toutes guerres, mais elles n'en sont pas moins dramatiques pour autant. La première chose qui revient sans cesse, c'est le traumatisme d'avoir vu ses parents ou ses enfants tués devant soi, sans pouvoir rien faire ; comment oublier de telles choses ! Mais il y a aussi la souffrance de ne pas savoir ce que sont devenus les membres de sa famille qui est très dure à porter : "où sont mes parents ? est-ce qu'ils sont encore vivants ? est-ce que je pourrai les revoir un jour ?" Et encore "mon fils est mort en Sierra Léone et je n'ai même pas pu aller l'enterrer". Quelquefois, mais c'est tellement rare, c'est au contraire une grand joie, comme ce catéchiste qui, le mois dernier, a vu, un soir, arriver dans son camp sa grande soeur dont il n'avait aucune nouvelle depuis cinq ans et qu'il croyait morte ; je vous laisse imaginer leur joie. Beaucoup de réfugiés disent : "nous, nous sommes vivants, mais nous sommes morts dans notre coeur".
Il y a aussi la souffrance de voir le pays cassé : "Il ne reste plus rien, ni usine, ni école, ni hôpitaux. Comment pourrons-nous reconstruire tout cela, et surtout comment ramener la démocratie après ce coup d'Etat des militaires, nous qui avions tellement d'espoir pour le retour à la paix".
Cette souffrance se situe aussi au niveau personnel : "ma maison est brûlée, mon atelier est cassé, les gens ont pris mes terres, même si je retourne, qu'est ce que je vais trouver ? "
Il y a également bien sûr les conditions de vie très difficiles dans les camps de réfugiés, le secteur était déjà très peuplé (200.000 habitants environ pour ma paroisse) et plus de 250.000 réfugiés sont arrivés. Tous les réfugiés veulent travailler ; ils sont, en effet, très courageux ; mais il n'y a pas de terrain disponible pour eux. Alors c'est la faim et la malnutrition avec les maladies qui s'en suivent. Je vous en ai déjà parlé dans ma dernière lettre. Le H.C.R. distribue des vivres du P.A.M. mais c'est nettement insuffisant. Déjà ce n'est pas facile de changer ses habitudes alimentaires : "Maintenant nous sommes obligés de manger des choses qu'on n'avait jamais mangées avant, et même qu'on refusait de manger : certaines étaient même interdites (tabou)".
Il y a aussi la déstabilisation : "autrefois j'étais un chef, maintenant je ne suis plus rien. Autrefois, j'étais riche, maintenant je suis pauvre, et personne ne me respecte plus. J'ai honte". Pourtant certains en tirent des conclusions positives : "maintenant nous sommes tous égaux, c'est l'occasion de nous mettre ensemble".
Il y a encore la tristesse de voir la famille cassée, même quand on n'a pas été tué ni dispersé : " Nous ne pouvons plus nourrir nos enfants, alors ils ne nous respectent plus ; nous ne pouvons plus les faire travailler (faute de terrain et d'argent), ils deviennent paresseux, ils se droguent et ils se saoulent pour oublier leurs problèmes ; comme ils ont faim ils volent même les autres réfugiés dans le camp". Des femmes ont quitté leurs maris parce qu'ils ne pouvaient plus les prendre en charge. De nombreuses femmes se retrouvent chef de famille, puisque le mari est mort. Le positif, c'est que les femmes ont pris beaucoup plus de responsabilités, qu'elles se sont formées et qu'elles ont une place beaucoup plus grande dans la société, et les orphelins sont toujours accueillis par les parents ou les voisins.
Tout n'est pas drôle dans les camps ; certains chefs de camps sont exemplaires, d'autres privilégient leurs parents et leurs amis ou détournent l'argent ou la nourriture. Vivre en paix, ce n'est pas toujours facile dans une telle promiscuité avec des gens d'ethnies différentes.
La grande question : "comment faire comprendre à nos parents, qu'ils soient rebelles, soldats ou kamajo qu'il faut arrêter de se battre ? La guerre, c'est à cause de l'argent, pour avoir les richesses du pays (diamant, etc.) et on commercialise la drogue pour acheter des armes. Dans ces conditions, cela ne pourra plus s'arrêter, il n'y a plus d'espoir. Même ici, nous ne savons pas quoi faire. Faut-il construire ou non ? Cette année beaucoup n'ont pas semé, parce que nous espérions tous retourner au pays ; certains y sont retournés et ils ont été tués." Ce qui me frappe malgré tout c'est que toute cette souffrance est très digne et aussi très calme, elle est vécue avec une très grande force d'âme de la part de la plupart des réfugiés. Certains disent même : "la guerre nous a éduqués, elle nous a appris à vivre avec des personnes différentes de nous ; elle nous a appris à être plus responsables, à ne pas trop penser à l'argent ni à nous attacher à ce que nous avons". D'autres disent : "Ici, nous pouvons envoyer nos enfants à l'école" (des écoles ont été prises en charge par le H.C.R.), alors qu'en Sierra Léone il fallait payer et nous n'avions pas assez d'argent. On a lancé beaucoup de projets, et nos femmes, en particulier, ont appris beaucoup de choses". Et c'est vrai que les religieuses, notamment, venues avec les réfugiés depuis la Sierra Léone, font un travail extraordinaire dans ce domaine. Je vous en parlerai une autre fois. Avec les réfugiés, nous avons cherché à trouver un certain nombre de pistes face à tous ces problèmes. En voici quelques-unes :
Tous disent qu'il faut pardonner et ne pas chercher à se venger ; c'est la seule solution. Et cela m'impressionne beaucoup. Ils sont d'accord pour que nous mettions en place un programme pour la paix, l'unité et la réconciliation avec des ateliers de formation. Nous allons voir comment y arriver.
La deuxième chose qui revient sans cesse, c'est : il nous faut travailler dur pour faire vivre nos familles, malgré nos conditions difficiles et le manque d'argent, d'outils et de terrains. A ce sujet, nous avons mené toute une réflexion sur la nécessité de protéger la terre et en particulier de planter des arbres. En effet, il n'est pas question d'avoir des engrais pour le moment ; mais en plus, on a coupé énormément d'arbres. Peu à peu, les réfugiés prennent conscience que le pays d'accueil dans lequel ils vivent ils en sont responsables autant que les Guinéens, et qu'il s'agit donc de le préserver et, en particulier, par le reboisement. D'ailleurs ces problèmes de terrains et de reboisement ont amené un certain nombre de frictions entre réfugiés et Guinéens.
La troisième chose, c'est l'importance d'éduquer nos enfant à la paix ; ne pas laisser des enfants se battre sans réagir, car c'est là le début de la guerre ; ne pas laisser des enfants frapper un animal, car c'est déjà le début de la torture ; et bien sûr, malgré les conditions difficiles, essayer d'éduquer les enfants le mieux possible. A partir de là les réfugiés ont décidé de faire grandir la paix dans la famille, en disant : "il n'y aura pas de paix possible dans le pays, si nous ne sommes pas d'abord en paix dans nos propres familles". Il s'agit bien sûr ici de la grande famille africaine qui est très large. Et ils demandent aussi à mettre la démocratie et le respect de tous dans les camps ; lutter contre les détournements de nourriture et d'argent ou le favoritisme dont je parlais tout à l'heure; lutter contre le tribalisme, contre la drogue et l'alcoolisme car tout cela prépare la guerre (ceux qui se battent en Sierra Léone commencent par se droguer et se saouler avant de partir au combat). Il y a là énormément de choses à faire ; ça ne sera pas facile, mais c'est la seule solution. Enfin, tous disent que c'est important d'accepter la situation actuelle : "si tu étais riche, accepte ta pauvreté ; si tu étais un chef, ne te mets pas en colère, ne sois pas jaloux, vis en paix avec les autres". Tout cela, ce sont bien sûr des petites choses, mais ce sont des choses concrètes que les gens sont à la fois décidés à mener et capables de mener à bien. Certes je pense qu'il faudrait aller plus loin et, par exemple, arriver à une véritable éducation à la non-violence active. Je remercie tous ceux qui m'ont envoyé des documents, mais ce n'est pas facile de mettre cela en place, surtout quand on travaille dans 67 camps différents, espacés les uns des autres, et qu'on ne peut y passer au maximum qu'une journée tous les trois mois.
Nous avons aussi mené une réflexion pour que les réfugiés se mettent avec les Guinéens pour lutter contre l'insécurité, qu'ils n'acceptent pas que les camps servent de refuge à certains rebelles
ou à certaines personnes qui incitent à la guerre. Mais en même temps nous les avons poussés à réagir contre les injustices et les brimades dont ils sont souvent victimes de la part des policiers et des soldats ( il faut dire que les Guinéens en sont également victimes très souvent). Mais les réfugiés ont beaucoup plus de mal à se faire comprendre et ils peuvent difficilement réagir et intervenir. Avec les responsable du H.C.R. nous nous sommes mis à leur disposition pour voir les autorités lorsque cela sera nécessaire. Un autre point sur lequel il faudrait réfléchir, c'est celui du pardon. La plupart du temps les réfugiés disent : il faut oublier tout ce qui s'est passé. Je comprends bien leurs réactions ; ils ont vécu tellement d'horreurs qu'ils préfèrent oublier, ne plus y penser ; mais est-ce vraiment la solution ? Pardonner, est-ce vraiment oublier ? Ne faut-il pas au contraire se rappeler de ce que l'on a fait, aussi bien du côté des rebelles que du côté des réfugiés ; reconnaître ses torts et le mal que l'on a fait pour en tirer des conséquences et arriver à vivre véritablement ensemble. Oublier les choses ne me semble pas une solution ; mais pour le moment, je ne suis pas arrivé à faire comprendre cela. Jusqu'à maintenant les réfugiés disent : "non, il faut oublier ; si nous n'oublions pas, ce n'est plus possible de vivre". Là aussi la route sera sans doute longue, et la réflexion difficile.
Comme je vous le disais en commençant cette lettre, en ce moment, c'est la saison des pluies ; premièrement il faut préparer les rizières à la main bien sûr ; ensuite il faut faire les pépinières, repiquer le riz puis le surveiller le riz en permanence pour qu'il ne soit pas mangé par les oiseaux. C'est vraiment un travail très dur ; il faudrait pouvoir améliorer les techniques, en particulier pour ne pas épuiser les terres. Mais, où trouver l'argent pour cela ? Le prix de vente du riz ne permet d'acheter ni machine ni engrais. Le déboisement a entraîné non seulement le retard et la diminution des pluies mais également la détérioration des sols, la terre n'étant plus retenue, elle est arrachée par la pluie. Autre conséquence, il y a de moins en moins d'animaux et donc presque plus de viande à manger, ce qui pose un problème de déséquilibre de la nourriture . De mon côté, comme j'ai un peu de temps libre, je continue à apprendre la langue ; cela va très lentement, le kissi est la langue africaine la plus complexe que j'aie rencontrée jusqu'à maintenant et je trouve que mes progrès sont très lents ; malgré tout je ne désespère pas avec l'aide d'un certain nombre de personnes, je fais énormément de traduction, pour préparer les documents de travail de l'année prochaine, et grâce à la machine à photocopier que j'ai pu obtenir, nous pouvons tirer sur place tous ces documents, même si c'est d'une façon très artisanale, car nous n'avons pas d'électricité ici. Et après trente ans, il y a énormément de documents à préparer pour la formation des enfants, des jeunes, des femmes, et des hommes, aussi bien dans le domaine religieux que dans le domaine social et celui du développement. J'ai du travail sur place (Plan international) ; je viens de finir d'imprimer quatre jeux pour l'éducation aux droits des enfants, aussi bien dans les écoles que pour les enfants analphabètes. Deux de ces jeux ont été faits en les adaptant à partir du travail au Sénégal avec Amnesty International ; les deux autres, je les avais déjà en tête mais je n'avais pas eu le temps de les réadapter ; cela m'a demandé beaucoup de travail avec les Guinéens et m'a permis aussi de mieux comprendre la culture et la mentalité et d'avoir des contacts très intéressants. Une autre chose que nous essayons de mettre en place, ce sont les centres communautaires, c'est-à-dire les centres pour les jeunes enfants, non pas des jardins d'enfants ou écoles maternelles, mais des centres plus souples et beaucoup plus simples qui soient pris en charge par toute la communauté du village, d'abord pour éduquer les enfants, et non pas pour leur apprendre le français, tout se fait dans la langue locale, pour les enraciner dans leur culture, et pour que le village tout entier ait le souci de cette éducation des enfants. De nombreuses personnes travaillent dans ce sens. Je pense que je vous en parlerai plus longuement une autre fois.
Chaque trimestre, toutes les communautés de la paroisse se retrouvent, (environ 40 pour le moment car de nouvelles communautés naissent chaque mois, chacune regroupant une quinzaine de villages) pour créer des liens et échanger des idées, avoir un temps commun de réflexion et de formation. En même temps chaque communauté apporte 40.000 francs guinéens (200,00 F français) et on laisse le total à la communauté qui reçoit à tour de rôle ; cela permet d'avoir une somme d'argent suffisante pour commencer à construire une chapelle ou pour lancer un projet de développement, ce qui ne serait pas possible sans cela. Il faut dire que malgré leurs moyens très limités, les Guinéens prennent vraiment leur Eglise en charge ; comme ils n'ont pas assez d'argent liquide pour cotiser, ils paient le denier du culte en nature, en riz ou en huile de palme et ils louent leur travail et mettent l'argent reçu dans la caisse ; ils ont aussi des jardins ou des plantations communautaires pour faire vivre la communauté. Je pense que cela est l'un des résultats positifs de la dictature de Sékou Touré qui a vraiment amené une grande conscience de la dignité et de l'indépendance nationales et cela est resté jusqu'à maintenant ; je fais tout pour l'encourager bien sûr. Au point de vue formation, à la dernière rencontre nous avons réfléchi à la vie de nos communautés à partir du texte des Actes des Apôtres (IV 31-35). Nous avons partagé nos expériences et nos difficultés et avons réfléchi à la mise en place de petites communautés de base bâties sur le modèle de la famille africaine traditionnelle, avec l'aide d'un prêtre Sierra Léonais. Il faut dire que les réfugiés sont beaucoup plus avancés dans cette voie et c'est une occasion pour eux d'apporter quelque chose aux Guinéens, ce qui est très important pour les valoriser et leur redonner confiance. C'est aussi un bon moyen pour arriver à une incarnation et un enracinement des communautés chrétiennes dans la culture du pays, pour une Eglise plus authentiquement africaine.
Dans une deuxième partie, nous avons préparé tous ensemble notre plan pastoral pour l'année prochaine, ce qui a permis à chacun de donner ses idées et son point de vue (il y avait environ 350 délégués), mais bien sûr il reste à préciser et à organiser un certain nombre de choses. Chaque communauté va s'y atteler pour avoir son propre plan pastoral plus concret et plus précis. Ensuite, nous avons abordé un certain nombre de problèmes, en particulier les problèmes de justice et de paix. En effet, il y a dans le pays un certain nombre de choses "qui ne sont pas normales", comme les gens disent. Certaines sont les conséquences de la longue période de dictature où le parti unique et ses différentes structures pouvaient se permettre de tout faire et d'exploiter les gens. D'autres sont la conséquence de la période de libéralisation qui a suivi, marquée par la course à l'argent et où chacun se croit autorisé à faire ce qu'il veut, même si cela doit faire souffrir les autres. Entre ces deux tendances, ça n'est pas facile de construire le pays, et il est important que les communautés chrétiennes y prennent leur part. Un temps a été consacré à ces questions et il l'est chaque semaine au cours de la réunion de la communauté. Voici quelques-uns des points qui ont été soulevés :
- Dans les villages, il y a du favoritisme ; les chefs privilégient leurs parents ou leurs amis, ce n'est pas juste. Il y aussi des histoires de familles qui ne s'entendent pas, et parfois des mensonges et de la calomnie. On nous fait payer l'impôt, mais on ne nous donne pas de reçu, nous ne savons donc pas où l'argent passe et en plus, comme nous n'avons pas de reçu, nous sommes arrêtés par les policiers (en effet, on demande le reçu de leur feuille d'impôt à tous les gens qui circulent). Les vieux sont fatigués, mais les jeunes ne veulent plus travailler pour eux, ils pensent seulement à partir en ville. Dans nos communautés, il y a beaucoup de "fumisterie", les responsables ne s'entendent pas, il y a des personnes douteuses dans les camps de réfugiés, la drogue se répand de plus en plus, de même que la polygamie. Enfin, beaucoup de gens ne remboursent pas leurs dettes. Des gens ont également parlé des mauvaises coutumes, en particulier au moment de la mort ou du mariage, et de la détérioration de ces coutumes ; car même si certaines étaient normales et adaptées à la vie traditionnelle, elles ne le sont plus aujourd'hui. Cela ne veut pas dire que rien ne marche dans les villages, au contraire il y a une vie communautaire très importante, mais simplement qu'il y a un certain nombre de problèmes et qu'il est important de s'y attaquer et d'être lucides si l'on veut bâtir l'avenir.
A partir de là, nous avons réfléchi plus spécialement à deux choses : le problème du pouvoir et les questions d'argent. Nous sommes dans une société très hiérarchisée, ce qui a un certain nombre d'avantages (vie communautaire, ordre et équilibre, etc.) mais aussi certaines limites et en particulier le danger que ceux qui ont le pouvoir fassent sentir leur autorité aux autres et les exploitent. Ainsi, le chef de famille s'impose à ses parents, les grands frères utilisent leurs petits frères sous prétexte du droit d'aînesse, les hommes commandent les femmes et les garçons les filles, etc. Et cela se retrouve également dans les communautés chrétiennes où les catéchistes veulent imposer leur volonté et où les responsables se conduisent souvent comme des chefs. Nous avons réfléchi à cela en cherchant quel est le type de pouvoir que nous propose l'Evangile. Egalement travaillé la question de l'argent, car si les chrétiens guinéens prennent vraiment leur Eglise en charge la gestion n'est pas toujours claire, il y a parfois le danger des détournements ; il est important de réagir dès le départ si l'on ne veut pas arriver à des dérapages et si l'on veut ensuite lutter contre la corruption et tous les problèmes d'argent dans la société, il faut d'abord balayer devant sa porte. Pour la prochaine fois, nous avons décidé de continuer cette réflexion pour la justice et la paix dans le cadre de la préparation du Jubilé de l'An 2000, et comme 2ème point de penser spécialement à nos relations avec les autres religions ; dans un 3ème point, voir comment donner aux jeunes une plus grande place. Je voudrais également souligner l'accueil des Kissiens. Je suis bien sûr logé et nourri non seulement dans chaque village mais même dans chaque camp de réfugiés où je vais. En plus chaque communauté me paie le carburant pour mes déplacements en faisant cotiser chacun de ses membres ou en travaillant tous ensemble. Mais en plus l'accueil des Kissiens est assez extraordinaire ; dès que vous arrivez, il faut d'abord aller voir la maison, avant tout autre chose, et ils ne se contentent pas de vous donner une chambre, ils vous laissent la maison tout entière, avec la clé, et ils vont loger chez les voisins pendant tout le temps où l'étranger est là. Et c'est ce qui se pratique avec chacun des étrangers. Chaque matin et chaque soir, on apporte un seau d'eau chaude (chauffée au bois) pour se laver, et la délicatesse des gens est absolument extraordinaire. Une autre chose qui me frappe aussi, c'est la beauté des femmes kissiennes bien sûr, elles ne sont pas bien habillées ; elles ne cherchent pas à se faire belles ni à être à la mode, ici, il n'est pas question de maquillage ! D'ailleurs elles sont rapidement déformées (physiquement) par des travaux trop durs et des maternités trop précoces et trop rapprochées. Mais elles sont belles parce qu'elles sont sérieuses, solidaires et engagées, et cela dans la simplicité de chaque jour. Je retrouve chez elle un courage et une dignité absolument extraordinaires. Et les Associations des femmes sont celles qui marchent le mieux, avec une grande volonté de se former. Et de même, non seulement pour mieux s'occuper de la maison et des enfants, éducation à la santé, hygiène de la grossesse, etc., mais aussi pour améliorer les techniques agricoles, pour l'alphabétisation, etc. Tout cela est une grande source d'espoir pour moi.
Population : environ 7,3 millions d'habitants, 50 % de jeunes de moins de 15 ans et 52 % de femmes. Plus de 3 millions de Guinéens vivent hors des frontières de leur pays, qui accueille 700.000 réfugiés de Sierra Léone et du Libéria.
Capitale : Conakry, 2 millions d'habitants (estimation).
Ethnies : une vingtaine dont les principales sont les Peulhs, les Malinkés et les Soussous.
Langues : huit langues nationales reconnues : le français est la langue officielle.
Alphabétisation : on estime à plus de 70 % la proportion d'analphabètes. Les enfants de 12 à 17 ans sont scolarisés à 25 %.
Religions : islam : 75 %, chrétiens : 8 %, religions traditionnelles : 17 %.
Monnaie : le franc guinéen ( 1 franc = 0,50 f).
Nature du régime : présidentiel. Depuis le 30 Août 1995, une Assemblée nationale.
Chef de l'Etat : Lansana CONTE (depuis le 5 Avril 1984).
Ouverte sur l'Atlantique par 300 km de côte, la Guinée est entourée de la Guinée-Bissau, du Mali, de la Côte d'Ivoire, du Libéria et de la Sierra Léone. Quatre régions naturelles s'y découpent : la Basse-Guinée au climat tropical ; la Moyenne Guinée ou Fouta-Djallon, qui donne naissance au Sénégal et à la Gambie ; la Haute Guinée, pays de savane ; et la Guinée Forestière, aux grandes précipitations annuelles. Partout d'appréciables possibilités : cultures vivrières et fruitières, élevage de bovins, exploitation de forêts, pêche artisanale et industrielle, souvent freinées par l'insuffisance d'infrastructures. Le sous-sol guinéen regorge de bauxite, de fer, de diamant, de chrome, de manganèse... Alors que les ressources hydroélectriques sont immenses, le manque d'énergie bloque de nombeux projets. Un grand barrage de 75 mégawatts (Garafiri) devrait permettre de lancer des industries attendues et d'améliorer les conditions de vie d'une grande partie de la population.
La Guinée actuelle faisait partie de l'empire du Mali au 13e siècle. Après le déclin de l'empire du Mali se font des essais de reconstituion d'ensembles géopolitiques : le Fouta théocratique du 18e s. des Peulhs Almamy et l'Etat musulman, au 19e, d'El Hadj Oumar Tall.
A partir de 1875, la colonisation française impose toutes ses mutations. De 1900 à 1945 elle renforce son administration pour une meilleure exploitation des richesses.
De 45 à 58 se précise la lutte de libération nationale avec la formation syndicale professionnelle des agents et sous-agents des transmissions de Guinée. Sékou Touré et le Parti démocratique organisent l'accession du pays à l'indépendance.
2 Octobre 58 : L'indépendance : le 28.09.58, la Guinée répond "non" à 94,4 % au référendum du Gl de GAULLE. Le 2.10, elle proclame son indépendance.
Camp BOIRO : prison construite en 1962 dans le camp de la Garde républicaine de Camayenne. Conçue pour l'internement des prisonniers politiques, elle a vu passer, estime-t-on, de 10.000 à 30.000 victimes entre 1965 et 1984. Mgr TCHIDIMBO y vécut 8 ans et 8 mois, de 1970 à 1979. Ce pénitencier politique était aussi le siège du comité révolutionnaire du parti.
Le 27.08.1977, à Conakry, Kindia, Nzérékoré, les femmes guinéennes se soulèvent contre Sékou Touré et son pouvoir totalitaire en décrépitude.
Le 3.04.1984 : avènement de la Deuxième République grâce à la prise du pouvoir par l'armée nationale, une semaine seulement après la mort de Sékou Touré. Le 3 Avril a été proclamé fête nationale.
Excusez la rapidité de la fin de cette lettre, mais la place manque. Merci à tous ceux qui nous soutiennent par leurs prières et leurs lettres ; je vous suis également fidèlement uni.
ARMEL