Armel Duteil

Comptes rendus 2011


Quelques réflexions sur le forum social mondial de Dakar - Février 2011

J’ai eu la chance d’être invité au Forum Social Mondial de Dakar en tant que secrétaire national de Justice et Paix de Guinée. Il s’agissait d’une rencontre d’organisations altermondialistes venues du monde entier, sur le thème « Un autre monde est possible », pour mettre en place une autre société que la société libérale actuelle, basée sur l’argent et le pouvoir de quelques uns. On en a beaucoup parlé dans les media. Voici quelques réactions personnelles.

Premières réflexions : Ce forum a connu un certain nombre de difficultés.

  • D’abord les conditions socio économiques de Sénégal, avec en particulier le problème de coupures de courant électrique (contre lesquelles il y a d’ailleurs eu des manifestations pendant le forum). Mais c’est une très bonne chose qu’un tel rassemblement puisse se passer dans les conditions réelles et les problèmes concrets d’un pays du Tiers Monde. Et avec un budget réduit, puisqu’il avait été décidé de se passer du financement des transnationales et de n’accepter les financements privés que sans contre partie.

  • Ensuite des problèmes internes : Le président Wade n’était pas très chaud pour un tel forum. Et surtout le nouveau recteur de l’université a refusé de respecter les engagements pris par son prédécesseur, si bien que sur les 130 salles promises, seulement 40 environ étaient disponibles, les cours continuant pendant le forum. Résultat : on ne savait pas où se tenaient finalement les rencontres et c’était très désagréable de venir perturber les étudiants pendant leurs cours. Face à cette situation imprévue, j’ai admiré l’esprit d’initiative et d’adaptation des organisateurs et le courage des participants qui devaient se déplacer un peu partout à la recherche des nouveaux endroits où se tenaient les rencontres

  • 3° chose importante : il n’y a pas eu de contrôle à l’entrée, ce qui a permis à de nombreuses personnes, en particulier les étudiants, de participer aux activités et de découvrir l’esprit du forum social mondial et un engagement possible à leur taille dans l’une ou l’autre association ou activité.

Une grande participation : Le Sénégal n’est pas aussi peuplé que le Brésil ou l’Inde. On s’attendait au maximum à 50.000 personnes. Au défilé d’ouverture, on a compté plus de 75.000 personnes. Un dizaine de caravanes y participaient, qui avait d’abord sillonné les pays d’Afrique de l’Ouest environnants. Dans cette participation, on a noté spécialement la présence très active des femmes et de leurs différentes organisations, ce qui est un grand signe d’espoir pour l’avenir. Les jeunes aussi étaient très nombreux, de même que les syndicats et les organisations paysannes.

Parmi les très nombreux ateliers, j’ai remarqué en particulier ceux de l’accaparement des terres, des extractions minières, de la migration avec la proclamation de la charte des migrants et celui de l’eau (on a prévu en 2012 un forum mondial alternatif de l’eau). Plusieurs assemblées ont eu lieu regroupant de nombreuses organisations travaillant sur ces différents thèmes, qui ont abouti à des propositions concrètes. Il y a eu aussi de nombreuses participations à distance (« Dakar étendu »), grâce à des visio-conférences skype.

Il y avait plus de cent stands à visiter et autant de points de rencontres, souvent sous des tentes.

Personnellement, je n’ai pas pu participer à la rencontre des théologiens du Tiers Monde (changement d’horaires et problèmes de déplacement), alors que j’avais longuement travaillé les documents préparatoires trouvés sur Internet.

J’ai apprécié l’atelier organisé par le CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) sur les APE (Accords de Partenariat Economiques entre l’Union Européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique :ACP), en renouvellement des anciens accords de Lomé et de Cotonou. Par ces accords, l’Union Européenne voudrait imposer en Afrique une organisation libérale et commerciale en Afrique, dans la ligne de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), au détriment bien sûr des populations africaines, en particulier les paysans et les petits producteurs : Quand on applique la loi du plus fort et le libéralisme, ce n’est jamais pour la libération des plus faibles et des plus pauvres.

J’ai ensuite participé à une rencontre de réflexion sur l’éducation au Sénégal, avec des propositions intéressantes pour des nouveaux programmes, un nouveau type d’enseignement pour une plus grande participation des élèves et une responsabilisation plus grande des parents.

J’ai apprécié la rencontre de lAEFJN (Africa Europe Faith and Justice Network), qui a regroupé un grand nombre de religieux et religieuses, travaillant au Sénégal mais aussi dans d’autres pays. Le problème est de dépasser la simple information, pour passer à l’action, pour faire passer les informations et défendre les populations à la base.

Enfin, j’ai participé à la rencontre organisée par le Centre Lebret pour une réflexion sur une autre société à construire.

Un atelier en préparation : Après avoir fait le tour de nombreux stands, et avoir rencontré Jérôme au stand des migrants de Mauritanie, je me suis arrêté longuement au stand du CAEDHU (Centre Africain d’Education aux Droits Humains), qui présentait un jeu d’éducation aux droits de l’enfant, où j’ai rencontré plusieurs amis, dont les responsables. J’ai participé au lancement de ce centre quand je travaillais à Saint Louis du Sénégal. Ensemble, nous avons posé la base d’un atelier africain d’éducation aux droits humains en décembre, aussi concret que possible, comportant des échanges d’expériences, dans le but de créer de nouveaux outils pédagogiques adaptés, non seulement pour faire connaître mais pour mettre en pratique les droits humains, par les populations à la base. Nous comptons y inviter des délégués de 14 pays d’Afrique Noire.. ;si nous trouvons les financements nécessaires !

Un atelier sur l’accaparement des terres. Les 4 premiers jours du forum, j’ai participé à cet atelier à Mbour (70 kilomètres de Dakar), organisé par Misereor. C’est une question actuelle et très importante. De plus en plus de pays étrangers viennent acheter de très grandes superficies de terres en Afrique, sous prétexte que ces terres seraient non cultivées et donc libres, pour y lancer des cultures vivrières, non pas au profit des pays africains d’accueil mais pour eux-mêmes. Ou bien pour cultiver des plantes pour fabriquer du bio carburant, avec toutes les conséquences que cela comporte : D’abord la population a de moins en moins de terre à cultiver et cela a des conséquences graves pour l’avenir, en particulier pour les jeunes. De plus, ces plantes épuisent souvent les terres et ont des conséquences très graves sur l’environnement. On cherche ainsi à remplacer le pétrole pour maintenir nos besoins en énergie, au risque de casser complètement la planète, au lieu de se demander sérieusement comment réduire notre consommation et changer notre façon de vivre.

Dans cet atelier, nous avons pu prendre connaissance d’expériences très intéressantes et d’exemples d’actions de résistance des populations, au Népal, au Brésil, au Cambodge ainsi que dans plusieurs pays africains. Nous avons rédigé en conclusion une déclaration. Le même type de réflexion a été mené par d’autres groupes qui se sont ensuite rassemblés au Forum Social Mondial, pour mettre en commun leur réflexion et leurs propositions d’action.

En Guinée, notre nouveau président a promis de ne jamais vendre de terres au pays étrangers. Mais il va falloir rester vigilant. De toutes façons, le danger ne vient pas que des pays étrangers. D’abord, il y a toute la question des grosses sociétés minières, qui accaparent beaucoup de terrains, qui ne sont plus disponibles pour la culture et qui polluent le sol, l’air et les rivières. Sans oublier que ces concessions ont souvent été obtenues par des pressions ou même par corruption des autorités du pays.

Un phénomène tout aussi inquiétant est celui des fonctionnaires et des nouveaux riches de la ville qui achètent des terres dans les villages. Les chefs de famille sont heureux d’obtenir ainsi de l’argent, mais comment leurs enfants vont-ils vivre sans terre à cultiver ? Ces gens de la ville profitent du droit foncier moderne, d’ailleurs en le détournant, car officiellement la terre appartient à l’état, qui devrait donc avoir le souci de défendre ses populations rurales. En effet le droit coutumier n’est pas reconnu par la loi, alors qu’au village tout le monde sait à qui appartiennent les terres et que les familles les cultivent souvent de puis des siècles. Il est donc absolument nécessaire de faire réfléchir les populations par rapport à ces ventes plus ou moins libres de leurs terres et de les aider à s’organiser pour défendre leurs terres. Mais aussi, de faire reconnaître par la loi, le droit coutumier traditionnel de la propriété de la terre.

Derrière tout cela, il y a un problème de fond : traditionnellement, la terre est sacrée. Ce n’est pas seulement un lieu de culture, c’est là où sont enterrés les morts, là où vivent les ancêtres d’où vient notre vie. C’est le lieu de vie de la famille. La terre est notre mère : elle est sacrée et on doit la respecter. Alors qu’actuellement, de plus en plus, elle devient une simple marchandise que l’on peut vendre ou acheter comme une radio ou un vélo. Si on ne réagit pas, c’est tout le sens de la vie et du respect de la terre que l’on va perdre, avec toutes les conséquences que l’on voit déjà aujourd’hui.

Enfin, il y a les tensions toujours présentes et prêtes à éclater entre éleveurs et cultivateurs. Et aussi le cas des veuves souvent chassées avec leurs enfants de la propriété de leur mari défunt. Bien plus, dans beaucoup d’endroits, les femmes ne peuvent pas être propriétaires des terrains qu’elles cultivent. Il y a donc beaucoup de choses à faire, en cherchant des solutions adaptées et réalistes.

Une dernière remarque : Au forum, j’ai eu la joie de rencontrer plusieurs confrères spiritains, en particulier du Nigéria. Mais pas de confrères de la FANO, à part Jérôme. Beaucoup m’ont dit qu’ils n’étaient même pas au courant de l’existence du Forum. N’est-ce pas le signe que nous ne sommes pas suffisamment présents dans les réalités du monde ?